Dans la salle d’urgence d’un grand hôpital de Beyrouth, trente patients atteints du coronavirus reçoivent les soins nécessaires en attendant qu’un lit se libère. Dans un autre établissement, les patients sont traités dans leurs véhicules ou assis sur des chaises devant le bâtiment… dans l’attente également d’un lit.
Depuis quelques jours, la situation dans les hôpitaux dotés d’unités de Covid-19, toutes régions confondues, ressemble à des scènes d’un film apocalyptique : des médecins et un corps infirmier débordés, au bord du burn-out, qui courent dans tous les sens pour administrer les soins aux patients, craignant de ne plus pouvoir les soulager tous.
Le tableau est tout aussi sombre du côté de la Croix-Rouge libanaise dont les secouristes passent systématiquement plusieurs heures avant de pouvoir trouver un hôpital à un patient du Covid-19 en détresse.
Face à cette « catastrophe » et au comportement « irresponsable » de nombreux citoyens qui continuent à agir dans un déni total de l’épidémie, les voix se sont élevées hier encore appelant à « un bouclage total d’au moins deux à trois semaines », avec annulation des exemptions accordées aux secteurs « non vitaux », « pour essayer de contenir une situation devenue presque incontrôlable », comme le déclare à L’Orient-Le Jour le président de l’ordre des médecins, Charaf Abou Charaf. Un appel dans ce sens a également été lancé par le chef des Forces libanaises, Samir Geagea.
« Nous avons franchi le seuil interdit », déplore le Dr Abou Charaf. À juste titre : depuis quelques jours, la courbe des contaminations poursuit sa montée vertigineuse. Rien que le week-end écoulé, le pays a enregistré 9 157 nouvelles contaminations (5 414 le samedi et 3 743 hier) et 36 décès (20 samedi et 16 hier). Ce qui fait grimper à 215 553 le nombre cumulé des contaminations depuis la détection du premier cas du virus en février 2020, au nombre desquelles 1 590 décès et 140 597 guérisons. Parmi les cas toujours actifs, 1 425 personnes sont hospitalisées, dont 535 en soins intensifs. Cela équivaut à 74 hospitalisations de plus en 48 heures (39 samedi et 34 hier) et 34 admissions supplémentaires en soins intensifs (dix samedi et 24 hier).
« Il faut que le bouclage soit ferme et sérieux, au risque de nous retrouver dans une situation encore plus catastrophique, met-il en garde. Nous avons beaucoup de cas parmi le corps médical. Vingt d’entre eux sont en soins intensifs et près de 300 autres en isolations chez eux. Les chiffres sont plus importants parmi le corps infirmier. Il y a du mal à leur trouver des remplaçants, d’autant qu’ils travaillent sans relâche depuis plusieurs mois déjà. Ils sont épuisés. Un grand nombre d’entre eux a aussi émigré. Il est important donc de les protéger et de les décharger un peu pour qu’ils puissent continuer. D’où la nécessité de former de nouveaux infirmiers et infirmières à la prise en charge des patients du Covid-19. »
Durant cette fermeture, « les hôpitaux privés qui n’ont pas encore mis la main à la pâte doivent se doter d’unités de Covid-19 », insiste encore le Dr Abou Charaf, appelant également le ministère de la Santé à équiper davantage d’hôpitaux gouvernementaux pour faire face à la pandémie… « jusqu’à l’arrivée du vaccin ».
Plus de mille infirmiers fraîchement diplômés
La question de doter les hôpitaux d’unités de Covid-19 ou d’agrandir celles déjà existantes n’est pas nouvelle. Cela fait plus de dix mois, depuis le début de l’épidémie le 21 février dernier, que de telles demandes sont formulées et renouvelées à la veille de chaque bouclage, qui devrait servir en premier lieu à ces établissements à se préparer à accueillir davantage de cas en soins intensifs. Mais seuls 580 lits dans les secteurs privés et publics ont été aménagés à ce jour, selon une source du ministère de la Santé, qui souligne à L’OLJ « que le problème ne se pose pas uniquement au niveau des lits, mais de toute l’infrastructure qui va avec, comme le haut débit d’oxygène, la pression négative, les respirateurs… et les effectifs ».
Dans les chambres à pression négative, la pression atmosphérique est inférieure à celle qui se trouve dans le reste du bâtiment, ce qui empêche les particules infectieuses qui s’y trouvent de circuler vers l’extérieur.
Mirna Doumit, présidente du syndicat des infirmières et infirmiers du Liban, nous affirme que le secteur ne manque pas d’effectifs. « Nous avons 1 200 infirmières et infirmiers fraîchement diplômés qui ne demandent qu’à travailler, indique-t-elle. Mais les infirmiers ont tellement été maltraités dans de nombreux établissements qui les ont soit renvoyés, soit omis de leurs payer leurs salaires ou leur ont versé des demi-salaires, qu’ils ont fini par chercher fortune ailleurs. Il faut les motiver pour les garder. Ces infirmiers sont capables de s’occuper des patients du Covid-19. Il faut par contre les entraîner au travail en soins intensifs. »
Quid des hôpitaux de campagne? « Ces hôpitaux doivent être une extension aux hôpitaux du pays, d’autant que la gestion des dossiers hospitaliers est compliquée, explique la source ministérielle précitée. Le concept d’un hôpital de campagne est de traiter les cas dans le cadre d’une catastrophe le temps de les transporter dans un hôpital. Si ces hôpitaux vont faire office d’hôpitaux permanents, il faut qu’ils aient l’infrastructure adéquate. Nous sommes toujours en train de chercher des hôpitaux auxquels ils seront rattachés. »
Un scandale
« Sur les 160 hôpitaux du pays, ils n’ont pas trouvé un seul établissement qui a accepté de le faire ? » s’insurge le Dr Salim Adib, professeur d’épidémiologie et de santé publique à l’Université américaine de Beyrouth. « C’est un scandale », poursuit-il à L’OLJ, dénonçant « l’échec de l’administration à gérer le Covid-19 ».
« L’épidémie est dangereuse, mais elle n’est pas fatale », ajoute le Dr Adib, constatant dans ce cadre que près de 1 600 décès ont été enregistrés depuis le début de l’épidémie jusqu’à présent, « soit moins de 1 % de taux de mortalité », « sachant que selon mes calculs, près d’un million de la population a déjà contracté le virus ». Il souligne ainsi que les cas déclarés ne sont que le sommet de l’iceberg. Il faut les multiplier par au moins cinq pour avoir le chiffre réel.
Pour le Dr Adib, « d’ici à fin mars, le Liban aurait atteint le seuil d’immunité collective qui permet d’arrêter l’évolution de la maladie ». Même avec le nouveau variant ? « Il semble, selon les études parues en Grande-Bretagne, que ce nouveau variant se propage plus rapidement, mais il n’est pas à l’origine de réinfections, répond-il. Selon les études aussi, le vaccin est efficace contre cette souche. »
En attendant l’arrivée du vaccin – « ce dossier est un échec supplémentaire de l’administration » – et la formation de l’immunité collective, « la courbe des contaminations poursuivra son ascension jusqu’à la fin du mois courant », estime l’épidémiologiste, soulignant qu’il s’agit des conséquences néfastes « du débordement comportemental observé durant les fêtes ». « D’ici à fin mars, il faudrait continuer à prendre beaucoup de précautions et de protéger nos aînés », recommande-t-il.
Renforcement des mesures de bouclage
Face à l’urgence de la situation, le chef de l’État Michel Aoun a convoqué le Conseil supérieur de défense pour une réunion extraordinaire cet après-midi à 15h pour décider des mesures à suivre. Tout semble indiquer toutefois que les mesures de bouclage seront renforcées. En effet, la commission nationale chargée de la lutte contre le Covid-19, qui s’était réunie hier virtuellement, a émis des mesures en ce sens. Selon une source proche, le bouclage englobera pratiquement tous les secteurs, ainsi que l’Aéroport international de Beyrouth qui sera fermé pendant une semaine. Seuls seraient exemptés les professionnels des corps médical et infirmiers, ainsi que les boulangeries. Ce qui a poussé le président du syndicat des journalistes, Joseph Kossaïfi, à demander à la ministre sortante de l’Information Manal Abdel Samad d’englober aussi les journalistes dans cette décision. Dans un communiqué, il a précisé que « la majorité des journalistes doivent se déplacer pour accomplir leur travail ».
La commission interministérielle chargée de lutter contre la pandémie devrait se réunir ce matin afin de soumettre ses recommandations au Conseil supérieur de défense.
commentaires (7)
Les infirmières et infirmiers mal traités ils n'ont qu'à venir en Europe , nous en avons besoin meme des médecins
Eleni Caridopoulou
16 h 56, le 11 janvier 2021