La formation du gouvernement étant au point mort, le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, se lance dans une nouvelle fuite en avant, jetant cette fois-ci dans la mare le pavé du changement du système politique. Il ne précise pour autant pas sa pensée à ce sujet et donne très peu d’indications sur ce qu’il conviendrait selon lui de changer, se contentant d’évoquer quelques généralités comme « l’État civil » et la « décentralisation administrative », deux notions qui, du moins en théorie, ne constituent en soi aucun changement par rapport au système en vigueur.
« Nous appelons à la tenue d’un dialogue national qui déboucherait sur un nouveau système politique à même de garantir la stabilité du pays », a lancé M. Bassil lors d’une longue conférence de presse tenue hier. Il ne s’est pourtant pas aventuré sur le chemin tracé il y a quelques années par le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, lorsque ce dernier avait appelé explicitement à la mise en place d’une Constituante pour ouvrir la voie à une nouvelle république, se contentant de noter que les problèmes de l’État libanais ne se limitent pas au parti chiite. « Chercher à contourner les problèmes structurels de notre système et prétendre que le Hezbollah est seul responsable de l’effondrement de l’État, c’est ne pas vouloir régler le problème en profondeur », a-t-il déclaré rappelant la lutte aouniste pour un « État civil » où serait appliquée une décentralisation administrative élargie.
Mais tout en ménageant ainsi le parti de Dieu, le leader du CPL n’en a pas moins abordé des questions taboues pour cette formation, avec laquelle les rapports aounistes sont perturbés depuis des mois pour plusieurs motifs.
« Les dossiers de la stratégie de défense, des armes du Hezbollah, des relations du Liban avec les autres pays et de la neutralité sont des questions existentielles qui devraient également être intégrées dans ce dialogue national », a dit M. Bassil. Cet appel, qui rejoint la position de tous les adversaires du Hezb, sera-t-il suivi d’effet? Rien ne permet de le dire, d’autant qu’il y a deux ans et demi, avant les élections législatives de mai 2018, le président de la République Michel Aoun avait promis de conduire un dialogue national consacré à la stratégie de défense, pour aussitôt changer d’avis sur ce dossier.
Quoi qu’il en soit, et comme pour ne pas rompre complètement avec le parti chiite, Gebran Bassil a pris le soin d’annoncer que le CPL s’est entendu avec lui pour mener un dialogue bilatéral. Objectif ? Tenter de normaliser leurs rapports. Selon M. Bassil, ce dialogue devrait porter sur les « différentes questions, notamment l’axe international et l’édification de l’État, parce que pour le moment, cela (l’entente entre les deux partis) ne fonctionne pas ».
Le gouvernement
L’appel du chef du CPL intervient dans un contexte politique tendu, marqué surtout par l’échec à former un nouveau gouvernement, alors que le pays continue de s’enfoncer dans une crise économique et politique sans précédent. Les tractations sont, on le sait, surtout bloquées à cause du bras de fer opposant les haririens aux aounistes autour du rôle de la présidence de la République dans la mise en place du cabinet, mais aussi autour de la forme et de la composition de la future équipe.
Dans une volonté de se conformer à l’initiative française en faveur du Liban, Saad Hariri se dit déterminé à ce que son gouvernement soit composé de spécialistes non affiliés aux partis politiques décriés par le mouvement de contestation. Une vision que le tandem Baabda-CPL ne partage pas, contestant au Premier ministre désigné le droit d’être à la tête d’un gouvernement d’indépendants alors qu’il est lui-même un leader politique. À cet argument, les partisans de M. Hariri rétorquent que ce dernier doit être considéré au même niveau que le chef de l’État et le président de la Chambre, qui sont eux aussi des chefs politiques.
« Nous avons accepté l’initiative française et qu’un gouvernement de technocrates soit formé », a déclaré M. Bassil, soulignant qu’à ses yeux, autant le Premier ministre que les ministres devraient être des « technocrates ». « En quoi le Premier ministre désigné actuel est-il technocrate ? » s’est-il interrogé. Et de souligner que cette condition de nommer des « spécialistes » est également mise à mal « lorsqu’il est proposé que plusieurs ministères soient tenus par une seule personne ». Il a laissé ainsi entendre, une fois de plus, qu’il est pour un gouvernement élargi, une option que le courant aouniste défend depuis le début du processus afin notamment de pouvoir intégrer le chef du Parti démocratique libanais, Talal Arslane, à la future équipe, pour faire pendant au leader du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt. M. Bassil a encore reproché à Saad Hariri de « manquer de cohérence lorsqu’il prône la rotation des portefeuilles entre les différentes communautés mais permet aux chiites de conserver les Finances ». Et c’est précisément à ce stade que se manifeste la difficulté, pour M. Hariri, de former son équipe dans un avenir proche.
Pour se laver les mains du blocage ministériel, Gebran Bassil a réaffirmé que son parti ne voulait pas prendre part au gouvernement. Sauf que cela ne signifie aucunement que le chef du CPL entend permettre à M. Hariri de former le cabinet comme bon lui semble. C’est ce qui explique le fait qu’il soit revenu à la charge pour rappeler que le Premier ministre désigné n’a pas le droit de nommer les ministrables chrétiens, et que le rôle du chef de l’État n’est pas simplement de signer le décret de formation du cabinet. Des prises de positions qui donnent à penser que Michel Aoun n’est pas favorable à la mouture que Saad Hariri lui avait remise le 9 décembre dernier. « Le gouvernement ne sera pas formé prochainement parce que nous ferons barrage aux tentatives de modifier les équilibres confessionnels », commente Eddy Maalouf, député CPL du Metn, soulignant que c’est en raison de cette situation que M. Bassil a ravivé le débat autour d’un nouveau système politique.
De leur côté, les haririens campent sur leur position traditionnelle : « Pas de gouvernement sauf si Michel Aoun accepte que le cabinet soit formé de spécialistes indépendants, comme le prône Saad Hariri », martèle Moustapha Allouche, vice-président du courant du Futur, dans une déclaration à L’OLJ. Selon lui, « Gebran Bassil ne fait que faire monter les enchères pour obtenir le tiers de blocage au sein du futur cabinet. Et cela est impossible ».
commentaires (11)
Une seule solution s'impose : proclamer l'indépendance d'un Liban modèle 2021 composé des chrétiens, des sunnites et des druzes, tout en prenant soin d'écarter le CPL co-signataire des accords de Chiyah en 2006 qui a livré le Liban à l'Iran comme les accords du Caire de 1969 qui avaient livré le pays aux Palestiniens.
Un Libanais
21 h 30, le 11 janvier 2021