Entre le Courant patriotique libre et le Hezbollah, il y avait déjà le problème du président de la Chambre Nabih Berry que le premier considère comme un obstacle face à la lutte contre la corruption, alors que le second refuse de défaire l’alliance dite du tandem chiite. Il faut désormais y ajouter le Premier ministre désigné Saad Hariri. Dans son discours de vendredi consacré à la situation intérieure, le secrétaire général du Hezbollah a essayé d’adopter une position médiane entre Michel Aoun et Saad Hariri. Il a ainsi qualifié le problème entre les deux responsables chargés de la formation du gouvernement de « crise de confiance aiguë », les invitant chacun de son côté à comprendre les appréhensions de l’autre.
Hassan Nasrallah a clairement expliqué la crainte du Premier ministre désigné d’accorder à des personnes désignées par le chef de l’État les portefeuilles de l’Intérieur et de la Justice, sachant que ces deux ministères ont un rôle-clé dans la lutte contre la corruption, considérée comme primordiale par Michel Aoun, qui voudrait achever son mandat en tenant cette promesse faite aux Libanais dans son discours d’investiture. Le secrétaire général du Hezbollah a même précisé que le Premier ministre désigné craint que le ministre de la Justice choisi par le chef de l’État demande au parquet d’ouvrir certains dossiers et que le ministère de l’Intérieur se chargerait alors d’exécuter les mandats éventuels d’amener. Il a donc invité les deux protagonistes à comprendre leurs appréhensions réciproques pour tenter de les apaiser et de parvenir à un accord.
Cette position qui se veut modérée et à égale distance des deux responsables pourrait toutefois déplaire aux deux parties. D’une part, le chef de l’État pourrait estimer qu’il n’y a aucun compromis possible dans la lutte contre la corruption. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il continue d’insister et de lutter pour obtenir l’audit juricomptable des comptes de la Banque du Liban, en dépit de tous les obstacles qui se dressent face à ce projet. Il s’emploie ainsi à relancer, par le biais du ministre des Finances Ghazi Wazni, la société Alvarez & Marsal qui devrait réaliser cet audit. Hassan Nasrallah a certes déclaré que le Hezbollah est favorable à la réalisation de cet audit, tout comme il est pour la lutte contre la corruption. Mais en même temps, il a demandé que cette démarche se fasse dans la plus grande prudence pour éviter certaines initiatives qui pourraient diviser encore plus les Libanais. Ces réserves et ces nuances ne devraient pas plaire au camp présidentiel, qui refuse jusqu’à présent tout compromis au sujet des affaires de corruption. De plus, dans son approche du dossier gouvernemental, le leader chiite a estimé que les entraves sont uniquement internes, excluant ainsi d’éventuelles interférences étrangères, alors que certaines parties proches du CPL estiment que l’une des entraves réside dans la menace américaine d’imposer des sanctions au Premier ministre désigné s’il n’exclut pas le Hezbollah du gouvernement en gestation.Du côté du camp du courant du Futur, la position de Hassan Nasrallah pourrait être considérée comme acceptable si elle ne mettait pas les appréhensions au sujet des affaires de corruption dans le camp de Saad Hariri et de ses proches. En évoquant « la crise de confiance » entre le chef de l’État et le Premier ministre désigné, le secrétaire général du Hezbollah a expliqué que ce dernier craint l’ouverture de dossiers qui pourraient mettre en cause ses proches. Hassan Nasrallah sous-entend ainsi qu’il serait le seul à avoir de telles craintes, ou qu’il aurait le plus grand nombre, parmi les leaders, de proches qui pourraient être impliqués dans des affaires de corruption.En voulant se placer dans une position médiane et en essayant de comprendre les deux parties impliquées dans la formation du gouvernement, le dirigeant chiite n’a donc satisfait personne. Il n’a pas non plus proposé d’effectuer une médiation entre les deux parties, refusant jusqu’à présent d’intervenir directement dans ce dossier.
Mais ce que Hassan Nasrallah n’a pas dit et que les milieux proches du Hezbollah pensent, c’est qu’à cette crise de confiance entre Michel Aoun et Saad Hariri, il faudrait aussi ajouter un malentendu profond entre les deux hommes. En effet, les proches du chef de l’État semblaient au départ convaincus que le Premier ministre désigné n’était appuyé par aucune partie extérieure et,par conséquent, ils pensaient qu’il ne serait pas exigeant dans la formation du gouvernement, alors que le chef du courant du Futur pensait de son côté que le chef de l’État et son camp sont désormais affaiblis et qu’il ne devrait pas être difficile d’imposer ses propres conditions dans la formation du cabinet. Selon les milieux proches du Hezbollah, les deux parties se sont ainsi trompées. S’il est probable que Saad Hariri ne bénéficie actuellement du soutien clair d’aucune partie régionale ou internationale, il n’en possède pas moins une carte très importante qui lui donne de la force, c’est l’appui de la rue sunnite libanaise dont il continue à être le principal leader. De son côté, le camp présidentiel et le CPL en particulier sont peut-être affaiblis, mais le chef de l’État est plus que jamais déterminé à lutter contre la corruption et à montrer aux Libanais qu’en dépit de la succession de drames, il souhaite autant que possible tenir les promesses de son discours d’investiture.
Selon cette analyse, chacun des deux protagonistes aurait donc sous-estimé la détermination de l’autre et sa volonté de former un gouvernement qui réponde à ses projets pour les deux dernières années du mandat Aoun. Le déblocage gouvernemental devrait donc passer par une approche plus réaliste de la part du chef de l’État et du Premier ministre désigné. En partageant les responsabilités du blocage entre les deux camps, Hassan Nasrallah voulait peut-être faire avancer les choses, mais pour l’instant le processus tourne en rond...
commentaires (8)
dans un de ses discours, M. Nasrallah a pronconé cette très belle phrase " la sincérité est la clef de toute chose". A l'heure des choix, il faut qu'il s'en souvienne.
NASSER Jamil
15 h 38, le 18 janvier 2021