Lors de son discours dimanche dernier, le chef du Courant patriotique libre (CPL) Gebran Bassil s’est voulu catégorique : il ne « trahira jamais » le Hezbollah. Sanctionné par les États-Unis pour « son rôle dans la corruption au Liban », le gendre du président a beau jeu de souligner que ce sont ses liens politiques avec le parti chiite, à qui il offre une couverture chrétienne, qui lui valent d’être sur la liste noire américaine. Cette alliance, contestée au sein même de son parti, hypothèque aujourd’hui sérieusement son avenir politique, en particulier son ambition d’accéder un jour à la présidence de la République. Et pourtant Gebran Bassil prétend s’y accrocher dur comme fer, comme si c’était un élément constitutif de son identité politique, alors même que les relations avec le Hezbollah n’ont cessé de se dégrader ces derniers temps.
Pourquoi ? « Par sens du sacrifice », comme il l’affirme ? Ou par simple opportunisme, le leader du CPL étant prêt à s’allier au plus offrant, comme le disent ses détracteurs ? « Il est probablement parvenu à la conclusion que cette alliance perdurait déjà depuis 15 ans et que la rompre brutalement sous la pression américaine lui aurait peut-être fait perdre sur les deux tableaux », décrypte Karim Émile Bitar, directeur de l’Institut des sciences politiques à l’Université Saint-Joseph. « Le CPL a été tellement loin que s’il se met le Hezbollah à dos, il risque de perdre son soutien pour sa campagne présidentielle sans forcément regagner la virginité politique dont il aurait eu besoin auprès des adversaires du parti chiite. »
Le gendre du président entretient aujourd’hui des relations houleuses avec la majorité des leaders du pays. Son partenariat avec Saad Hariri se traduit par un bras de fer permanent entre les deux hommes. Son alliance avec Samir Geagea a fait long feu. Ses rapports avec Nabih Berry, Sleimane Frangié ou encore Walid Joumblatt peuvent être qualifiés, au mieux, de conflictuels. L’homme fort du sexennat est isolé politiquement, même s’il reste incontournable en raison de la force de son groupe parlementaire et de sa relation privilégiée avec Michel Aoun. Malgré les désaccords avec le Hezbollah, et ils sont nombreux, il peut difficilement se permettre aujourd’hui de s’éloigner du parti chiite. Pour accéder à Baabda ? « Comment peut-il encore y aspirer avec les sanctions américaines? » rétorque Eddy Maalouf, député du groupe du Liban fort. Peut-être pas pour la présidence pour le moment, mais au moins pour peser politiquement dans un environnement complexe et évolutif. « Nous ne poignarderons aucun Libanais dans le dos pour servir des intérêts étrangers », avait martelé dimanche Gebran Bassil qui a habilement recouru à un langage auquel le parti chiite est extrêmement sensible. « La notion de fidélité est sacrée aux yeux du Hezbollah. Si l’élection présidentielle devait avoir lieu aujourd’hui, je peux vous assurer que Gebran Bassil l’aurait remportée », avance Kassem Kassir, un analyste proche du Hezbollah.
« Un fardeau pour le Hezbollah »
Gebran Bassil semble considérer qu’il a beaucoup plus à perdre qu’à gagner en rompant ses liens avec le parti chiite. Pour expliquer son choix, il fait référence à la nécessité de défendre « la paix civile ». « Affaiblir le CPL pour affaiblir le Hezbollah ne donnera pas le résultat escompté et poussera le Hezbollah à se défendre et les chrétiens à l’exode. Ce projet de chaos ne doit pas se répéter au Liban. Il y a là tous les ingrédients d’une guerre au Liban », avait-il affirmé lors de son discours dimanche. Le leader du CPL mettait le doigt sur un argument de poids : peut-on tourner le dos à un parti qui représente un quart, si ce n’est plus, de la population libanaise, et cela ne risque-t-il pas d’accroître encore plus les tensions sur la scène locale? Mais ses adversaires pourraient lui opposer la logique inverse : est-ce une raison pour accorder une couverture politique à un parti dont les activités peuvent être considérées comme déstabilisatrices pour le Liban ?
Si l’on en croit l’ambassadrice des États-Unis Dorothy Shea, le gendre du président est en tout cas moins attaché à son alliance avec le Hezbollah qu’il ne le prétend. « Gebran Bassil a exprimé sa volonté de rompre avec le parti chiite à certaines conditions », a-t-elle déclaré lundi. Des propos mensongers, assurent des proches du Hezbollah. Il n’empêche : le chef du CPL ne cache pas sa volonté de redéfinir son partenariat avec le parti chiite, qui ne repose pas sur des bases idéologiques à son avantage. « Nous avons convenu avec le chef du Hezbollah (Hassan Nasrallah) d’améliorer le document d’entente avec le parti, car les gens ont des attentes », avait-il dit dimanche dans un message destiné à rassurer sa base populaire. À maintes reprises, il avait attisé le courroux de son partenaire chiite, tantôt en évoquant le droit d’Israël à la sécurité, tantôt en cherchant, comme récemment, à imposer un interlocuteur civil dans les négociations entre Tel-Aviv et Beyrouth pour la délimitation des frontières maritimes.
Une ligne rouge pour la formation chiite pour qui les pourparlers devaient avoir lieu uniquement entre militaires pour ne pas donner l’impression d’une volonté quelconque de normalisation avec « l’ennemi ». « Nous ne sommes pas toujours d’accord avec le Hezbollah sur les questions internes, notamment économiques ou financières, ou encore au sujet de l’électricité », admet Eddy Maalouf. « La question de la paix avec Israël ne nous pose aucun problème. Nous sommes avec l’initiative de paix de 2001 (en référence à l’initiative arabe lancée au cours du sommet de Beyrouth) », ajoute-t-il. Le Hezbollah tolère les écarts de son allié, car il en a besoin pour ne pas être uniquement perçu comme un parti ne défendant que les intérêts des chiites. Mais il pourrait également finir par se lasser d’un partenaire de plus en plus difficile à gérer. « Bassil est devenu un fardeau pour le Hezbollah depuis qu’il est carbonisé par la contestation populaire », conclut Karim Bitar.
Décevant et frustrant que le pays n'ait a offrir que Bassil a la présidence, n'y auraient-il pas d'autres candidats en dehors de ce grand opportuniste?
07 h 12, le 12 novembre 2020