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Agenda - Hommage

Richard Chemaly, un bel esprit ne s’éteint pas

Durant des décennies, le nom de Richard Chemaly a été assimilé à la faculté de droit de l’Université Saint-Joseph : doyen durant les années les plus sombres, quatre mandats quadriennaux successifs à partir de 1985 (record jamais égalé, démontrant son irremplaçabilité), déménagements et errances des locaux au gré des combats puis reconstruction, pérennité de l’institution dans un pays en déliquescence, refus de tout compromis dans la qualité de la formation. Malgré la tempête qui a fait chavirer bien des institutions, « sa » faculté a gardé le cap et les promotions successives ont démontré partout, dans les plus grandes universités et chez les employeurs du monde entier, que la qualité du sceau qu’elles ont reçu n’avait pas été altérée.

Sévérité de façade qu’un beau sourire et des yeux étincelants écartaient rapidement. Juriste d’une finesse exceptionnelle qui maîtrisait les matières les plus complexes, donc les plus intellectuellement stimulantes, du droit civil au droit international privé (il avait été l’assistant de l’immense Henri Batiffol, à l’Université de Paris 2), et bien entendu le droit des sociétés dont il a brillamment occupé la chaire malgré l’énormité de la charge décanale en ces temps troublés. La porte de son bureau était toujours ouverte, aussi bien aux étudiants qu’aux enseignants, et toute personne qui entrait était sûre d’être écoutée ; aucun problème n’était trivial pour lui et il portait la même attention bienveillante, courtoise et vigilante à tous.

Mais Richard Chemaly n’était pas seulement un juriste de pointe, que la France a reconnu et honoré en le nommant au grade de chevalier de l’ordre national du Mérite, et que ses pairs des universités françaises saluaient avec respect et amitié, mais c’était un classiciste que la littérature, la philosophie et la musique intéressaient au plus haut point. Ce n’est pas sans sourire que nous nous souvenons de son énervement, vite contenu, à chaque fois qu’un étudiant prononçait une locution latine à « l’anglaise », ce qui était pour lui un signe de l’abâtardissement de la culture.

Dans sa retraite, il refusait de donner des consultations et de participer à des arbitrages, malgré les incessantes sollicitations que son renom et sa droiture suscitaient, nous rappelant qu’il avait assez donné au droit, et qu’il voulait consacrer le reste de ses jours au plaisir de lire et d’écouter de la musique. Mais la maladie a été un compagnon fidèle, que son humour et sa force de caractère tenaient toujours en respect : « Je n’aurais jamais imaginé que le corps humain pouvait supporter tellement de souffrances », a-t-il lâché une fois que nous demandions de lui.

Sa profonde et sereine croyance religieuse lui était d’un soutien indéfectible. Un jour que nous discutions de l’une des Passions de J.-S. Bach, le propos de Cioran que nous lui avons cité pour illustrer la qualité divine de cette musique et selon lequel s’il y a quelqu’un qui doit tout à Bach, c’est Dieu, nous a valu un rapide rappel à l’ordre : « Bach n’était qu’un instrument entre les mains de Dieu, le meilleur sans doute, mais un instrument quand même ; sans Dieu pas de musique ni de Bach ; il ne faut pas renverser les valeurs. » Un tel esprit ne s’éteint pas. Ceux qui l’ont connu ont eu beaucoup de chance.


Durant des décennies, le nom de Richard Chemaly a été assimilé à la faculté de droit de l’Université Saint-Joseph : doyen durant les années les plus sombres, quatre mandats quadriennaux successifs à partir de 1985 (record jamais égalé, démontrant son irremplaçabilité), déménagements et errances des locaux au gré des combats puis reconstruction, pérennité de...