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Nos Lecteurs ont la Parole

Osons la haute trahison...

Pour tout vous dire, il y a de fortes chances que la double déflagration du 4 août 2020 disparaisse de la mémoire des hommes, maintenant que la Chambre des députés compte se saisir du dossier ! Les appréhensions du patriarche maronite semblent fondées, lui qui dit craindre « la mort de l’enquête si l’affaire était déférée devant le Parlement ».

Au fait, ce ne serait qu’un déni de justice de plus dans nos annales judiciaires libanaises, et elles en regorgent. À la faveur d’une autre cause célèbre, un historien du Mont-Liban, fin observateur, aurait dit à peu près ceci : il n’y aura jamais de véritable justice rendue, ni de sentence prononcée ni de peine purgée ; l’affaire s’achèvera dans la confusion et le refoulement, et non en un « triomphe démonstratif » de l’égalité devant la loi. (1)

N’y aurait-il donc en notre pays de justice qu’internationale ? On imagine aisément le sort réservé à l’attentat du 14 février 2005, n’était-ce l’intervention du Conseil de sécurité et l’instrumentalisation, bénéfique pour une fois, de l’affaire par certaines puissances occidentales !

Or voici que les voix de certains élus de la nation s’élèvent pour invoquer le privilège de juridiction qu’accorde l’article 70 de la Constitution. En effet, ce dernier dispose que la Chambre des députés a le droit de mettre en accusation le président du Conseil comme les ministres pour haute trahison comme pour manquement grave aux devoirs de leur charge. Subterfuge pour barrer le chemin à l’instruction, me diriez-vous ! Oui, semble-t-il, mais qu’y pouvons-nous ? C’est le texte de la Constitution qui prévaut. Rien ne nous empêche cependant de nous écrier : « Au nom de quoi un ministre corrupteur ou corrompu doit-il être jugé par une instance où ses pairs, membres de la classe politique, sont majoritaires ? » (2)

« Touche pas à mon poste »

Il n’empêche que nous assistons en ce moment à un branle-bas de combat : un Parlement dévitalisé qui soudainement a repris du poil de la bête et une classe politique qui « contre-attaque et cherche à limiter le champ de l’enquête aux seuls éléments techniques ». Et même que Saad Hariri s’est porté à la rescousse de Hassane Diab, le chef du gouvernement démissionnaire, de l’air de dire, à qui veut l’entendre, « touche pas à mon poste » de président du Conseil. Par ailleurs, deux ex-ministres cherchent à récuser le magistrat instructeur (al-mouhaqqeq al-aadli) au motif de « suspicion légitime d’incompétence », alors qu’ils venaient tout juste de tomber sous le coup d’une inculpation.Sa Béatitude n’a pas eu le temps de nous dire que tout ce tapage histrionique autour d’une question de compétence risque de nous détourner de la question essentielle, à savoir celle de la qualification juridique de l’attentat. On nous parle de négligence, comme si cette qualification allait de soi, comme si personne n’allait la remettre en cause.

Or les choses sont plus complexes, et en l’occurrence deux scénarios peuvent nous interpeller.

Boucliers humains et crime de guerre ?

1-Première hypothèse : imaginons l’improbable scénario d’après lequel Israël aurait opéré une frappe préventive, visant un arsenal ou des ateliers de montage du Hezbollah. Le nitrate entreposé dans l’enceinte du port de Beyrouth aurait pris feu et la catastrophe se serait ensuivie.

On ne fait pas de nos paisibles Beyrouthins des boucliers humains (human shields). Le Liban est en état de belligérance avec Israël. L’article 51-7 du Protocole I additionnel aux Conventions de Genève dispose que la présence de personnes civiles ne peut être utilisée pour mettre certaines zones à l’abri d’opérations militaires, pas plus que pour « tenter de mettre des objectifs militaires à l’abri d’attaques ».

D’après l’article 8 du Statut de Rome de 1998 (mais le Liban n’en est pas signataire), seraient coupables de crime de guerre, non point les agresseurs étrangers, mais les responsables nationaux qui auraient accepté d’entreposer les matières dangereuses en milieu densément peuplé, de même que ceux qui ont fermé les yeux par complaisance, crainte, intérêt ou pour toute autre raison inavouable.

Une haute trahison ?

2-Seconde hypothèse : à supposer que l’on ne puisse relever la trace d’une incursion israélienne et que l’on ne puisse déplorer qu’un concours malheureux de circonstances, est-ce à dire qu’on doit retenir la qualification de négligence, pour simple « manquement grave des justiciables aux devoirs de leur charge » ? Non, car ce serait sous-estimer les responsabilités qui pèsent à tous les niveaux de l’administration : on ne stocke pas des centaines de tonnes de nitrate d’ammonium, en un quartier à forte concentration urbaine, au prétexte qu’on ne sait pas quoi en faire ou parce que la marchandise a été saisie suite à une décision de justice.

En l’espèce, il n’y a qu’une qualification adéquate, et c’est celle de la haute trahison, car la félonie commise constitue un attentat contre la sûreté de la République. Entreposer des matières hautement inflammables et explosives en zone habitée, c’est trahir sciemment les intérêts du Liban au profit d’une puissance étrangère ou d’une « entreprise ou organisation étrangère, ou sous contrôle étranger ». (3)

Messieurs les Ministres, vous êtes enfermés dans une alternative binaire et le choix du couperet qui va s’abattre sur vous ne vous appartient pas. En somme, c’est l’inconnue israélienne qui décidera si vous êtes poursuivis pour crime sanctionné internationalement ou pour haute trahison qui vaut indignité nationale. Messieurs, vous qui faisiez du coude pour occuper les premiers rangs, avez de belles perspectives devant vous.

Quant à nous Libanais, ramenons sans cesse la question de la haute trahison sur le tapis ! Osons le coup de grisou !

1- Bernard Heyberger, « Hindiyya-Mystique et criminelle (1720-1798), Paris, 2001, p. 334.

2- Alain Minc, « Au nom de la loi », Paris, 1998, p.73, sauf que dans le cas libanais, la Haute Cour de justice comprend 7 députés et huit magistrats de carrière. Mais dans les faits, cela revient au même.

3- S’il est permis de s’inspirer de l’article 411-5 du code pénal français.

Pour tout vous dire, il y a de fortes chances que la double déflagration du 4 août 2020 disparaisse de la mémoire des hommes, maintenant que la Chambre des députés compte se saisir du dossier ! Les appréhensions du patriarche maronite semblent fondées, lui qui dit craindre « la mort de l’enquête si l’affaire était déférée devant le Parlement ». Au fait, ce ne serait...

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Mais bien sûr, c’est de la haute trahison, et les craintes du patriarche se justifient pour un enterrement de première classe de l’enquête. Celle-ci est en cours, et pas question de commenter, ni du pouvoir du parlement et des députés, s’ils jouissent d’une immunité, sans sa levée, ils ne seront pas poursuivi, ou bien de la séparation des pouvoirs, ou d’erreur tactique du juge d’instruction face au parlement. On peut penser que les quelques politiciens (pas tous), surtout ceux qui ont fait "carrière" pendant la guerre, jouissent d’une immunité due, non pas au vaccin du Covid, mais à une certaine culture de l’impunité. N’a-t-on pas vu un condamné à mort pour des faits, horresco referens, sordides, et qu’on le croyait brûlé vif en politique, s’est réveillé pendant la deuxième autopsie, pour refaire… de la politique. En bref, ces quelques responsables, n’auraient dû jamais être là comme le stock sur le port non plus. Le bon sens et un peu d’histoire militaire, pour ne pas remonter au déluge mais à la guerre d’Espagne, il y a un siècle déjà, quand les Républicains cachaient leurs armes loin des habitations, non pas par crainte de Franco, mais pour épargner la vie des civils.

L'ARCHIPEL LIBANAIS

04 h 41, le 31 décembre 2020

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Commentaires (1)

  • Mais bien sûr, c’est de la haute trahison, et les craintes du patriarche se justifient pour un enterrement de première classe de l’enquête. Celle-ci est en cours, et pas question de commenter, ni du pouvoir du parlement et des députés, s’ils jouissent d’une immunité, sans sa levée, ils ne seront pas poursuivi, ou bien de la séparation des pouvoirs, ou d’erreur tactique du juge d’instruction face au parlement. On peut penser que les quelques politiciens (pas tous), surtout ceux qui ont fait "carrière" pendant la guerre, jouissent d’une immunité due, non pas au vaccin du Covid, mais à une certaine culture de l’impunité. N’a-t-on pas vu un condamné à mort pour des faits, horresco referens, sordides, et qu’on le croyait brûlé vif en politique, s’est réveillé pendant la deuxième autopsie, pour refaire… de la politique. En bref, ces quelques responsables, n’auraient dû jamais être là comme le stock sur le port non plus. Le bon sens et un peu d’histoire militaire, pour ne pas remonter au déluge mais à la guerre d’Espagne, il y a un siècle déjà, quand les Républicains cachaient leurs armes loin des habitations, non pas par crainte de Franco, mais pour épargner la vie des civils.

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    04 h 41, le 31 décembre 2020

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