Les craintes des adversaires du camp aouniste quant au déclenchement d’une chasse aux sorcières, sous le label de la lutte contre la corruption, qui les ciblerait exclusivement et qui découlerait de la prise de contrôle des appareils judiciaire et sécuritaire par les partisans du président de la République, semblent être devenus un enjeu principal des tractations en vue de la formation du gouvernement et, en tout cas, la cause derrière l’échec enregistré hier à ce sujet.
C’est ce qui ressort des informations rapportées hier à l’issue d’un nouvel entretien entre le chef de l’État, Michel Aoun, et le Premier ministre désigné, Saad Hariri, par notre correspondante Hoda Chédid. À en croire une source informée, le prochain gouvernement buterait ainsi essentiellement sur l’attribution des portefeuilles de l’Intérieur et de la Justice, alors que la question avait, semble-t-il, été réglée mardi.Il avait en effet été question de laisser la Justice à un proche du président en contrepartie d’un compromis sur l’Intérieur, aux termes duquel le chef de l’État proposerait lui-même pour ce ministère le nom d’un chrétien qui serait considéré comme faisant partie du lot haririen. Mais d’un jour à l’autre, cet accord a manifestement été remisé. Le bras de fer entre Baabda, à qui le ministère de la Défense est déjà acquis, et la Maison du Centre se déroule à l’heure où les critiques contre l’action de la justice et des appareils de sécurité, mais aussi contre la présidence de la République se multiplient. « Ce sont leurs actes qui nous font craindre l’État policier », déclare un proche de M. Hariri à L’Orient-Le Jour, dans une claire allusion aux poursuites engagées récemment en justice contre des journalistes et activistes hostiles au pouvoir en place. Un point de vue auquel adhère Joseph Bahout, directeur de l’Institut Issam Farès au sein de l’Université américaine de Beyrouth. « Il est évident que les poursuites et arrestations de journalistes et activistes hostiles au pouvoir font craindre à Saad Hariri d’accorder la Justice et l’Intérieur à Michel Aoun », déclare M. Bahout à L’OLJ. Mais au-delà de la question de la défense des libertés, il y a surtout les craintes qui ont émergé depuis notamment les sanctions annoncées le 6 novembre par les États-Unis contre le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, soupçonné par ses adversaires politiques d’avoir réorienté sa stratégie et de préparer des dossiers judiciaires, sous couvert de lutte contre la corruption, qui les cibleraient exclusivement à eux. Ces craintes se font sentir chez des protagonistes tels que le président de la Chambre, Nabih Berry, le Parti socialiste progressiste de Walid Joumblatt et les Marada de Sleimane Frangié, qui œuvrent, aux côtés de Saad Hariri, à constituer un front d’opposition au mandat Aoun.
Évoquant la répartition des portefeuilles, le leader druze Walid Joumblatt avait tenu des propos significatifs concernant l’Intérieur et la Justice. Dans un entretien accordé début décembre à la chaîne panarabe Sky News, il avait mis en garde contre l’octroi de ces deux ministères au camp présidentiel. Selon lui, la présidence « contrôlerait ainsi les instances de l’État ». Plus récemment, la chaîne NBN, gravitant dans l’orbite de Aïn el-Tiné, s’en était prise à Michel Aoun, avec en toile de fond les nominations et permutations judiciaires, que le président refuse toujours de signer.
C’est donc pour faire face à ce que plusieurs parties perçoivent comme une tentative de Baabda de mettre la main à la fois sur le pouvoir judiciaire et les appareils de sécurité que Saad Hariri refuse que l’Intérieur et la Justice relèvent du lot présidentiel.
Baabda s’en prend à Hariri
Du côté de Baabda, on préfère ne pas répondre à ces accusations. Un proche de la présidence, contacté par L’OLJ, explique que les motifs du bras de fer actuel vont au-delà de la répartition des portefeuilles et portent sur les règles et critères à respecter dans le cadre du processus gouvernemental. « Aucun texte ne stipule qu’une communauté bien définie devrait contrôler deux piliers de l’État », souligne-t-il à L’OLJ. Or, a-t-il noté, les directeurs des appareils judiciaires et sécuritaires appartiennent à une même communauté (sunnite). « Le président de la République doit avoir son mot à dire dans tous les ministères », ajoute le proche de Baabda, avant d’expliquer : « Il ne s’agit pas d’opter pour la pratique de partage du gâteau, mais de consacrer le rôle du chef de l’État en tant que partenaire dans la formation du cabinet. » D’ailleurs, pour sortir de l’impasse actuelle, Baabda ne voit qu’un seul moyen : « Le Premier ministre désigné doit comprendre qu’il y a des points de repère qui devraient être respectés lors de la formation du cabinet. Il s’agit bien entendu de respecter la Constitution, de veiller à la bonne représentativité, de s’associer au président de la République et d’abandonner les peurs et les craintes », explique le proche de la présidence.
En face, les sources de la Maison du Centre assurent que M. Hariri respecte ces principes, ainsi que l’initiative française, en nommant des spécialistes non affiliés à des partis politiques, contrairement au président Aoun. Selon ces sources, Baabda opterait pour des personnalités politiques.
La bataille autour des ministères de la Justice et de l’Intérieur se joue aussi à l’heure où la sécurité et la justice sont au centre de l’actualité, notamment avec l’enquête autour de la tragédie du 4 août, suspendue depuis près d’une semaine et rapidement noyée dans les querelles de la politique politicienne. Cette lutte intervient également à l’heure où la bataille portant sur la loi électorale bat son plein. Cela fait dire à Joseph Bahout que « Baabda œuvrerait pour obtenir l’Intérieur dans la perspective des législatives de 2022 ». « Certaines parties voudraient également faire barrage à la reddition des comptes dans la catastrophe du 4 août », estime-t-il.
La Maison du Centre accuse l’entourage de Baabda de jouer les trouble-fêtes
Le palais de Baabda aurait-il fait circuler des rumeurs sur l’échec de la réunion, hier, entre le Premier ministre désigné Saad Hariri et le président Michel Aoun, avant même que celle-ci n’ait eu lieu, dans l’objectif de nuire à ses chances de succès ? C’est ce que pensent des sources de la Maison du Centre, qui rappellent que l’optimisme affiché la veille par Saad Hariri répondait à une demande du président Aoun. Toutefois, ce que ces sources appellent les « hommes de l’ombre » du palais, en référence à l’entourage du président, « se sont activées la nuit afin de jouer les trouble-fêtes et entamer un nouveau round de complications, comme cela est le cas depuis la nomination » de M. Hariri.
Selon elles, le Premier ministre désigné ne modifiera pas la position qu’il a affichée avant et après sa désignation, celle de la nécessité de former un gouvernement de spécialistes indépendants, qui puisse s’attaquer aux réformes dans tous les secteurs et mettre un frein à l’effondrement économique et social. Les tentatives visant à imposer une mouture dans laquelle les partis auront leur mot à dire n’aboutiront pas, malgré tous les efforts, ajoutent-elles.
Plus tôt dans la journée, le ton adopté par Saad Hariri après son entretien avec le chef de l’État, Michel Aoun, était nettement plus pessimiste que la veille quant à la naissance prochaine d’un gouvernement. Ainsi, après avoir dit espérer mardi pouvoir trouver « une formule avant Noël » pour atteindre son objectif, le Premier ministre désigné a fait état d’« obstacles clairs » qui entravent selon lui le processus. Il a toutefois espéré que le gouvernement soit formé « après le Nouvel An ».
« Je souhaite qu’il y ait un gouvernement mais il y a encore des obstacles clairs. Les problèmes politiques existants sont clairs », a reconnu M. Hariri lors d’une brève allocution à sa sortie du palais de Baabda. « Que personne ne dise qu’on ne peut pas stopper l’effondrement. Mais pour cela, nous avons besoin d’un gouvernement formé d’experts pour mettre en œuvre les réformes. Je suis toujours attaché à la formation d’un tel cabinet d’experts. Il faut regagner la confiance et il n’y a plus de temps à perdre, car le pays s’effondre rapidement », a mis en garde M. Hariri. « Nous, Libanais, sommes les seuls à pouvoir stopper l’effondrement, mais pour cela, nous devons faire preuve de modestie, car le Liban mérite qu’on lui fasse des sacrifices », a-t-il ajouté. « Nous accusons du retard, peut-être, dans le processus de formation, et cela exerce une pression sur le pays. Mais le président Aoun et moi-même sommes attachés à la formation du cabinet. »
"L’Intérieur et la Justice au cœur de la bataille entre Aoun et ses adversaires" je ne comprend pas le problème: l'intérieur est vide et entre les mains du hezb et la justice est aveugle... pourquoi on s'énerve?? Walaw.
21 h 53, le 25 décembre 2020