L'enquête sur l'explosion meurtrière et dévastatrice du port de Beyrouth a été temporairement suspendue, deux députés et ex-ministres accusés ayant réclamé la récusation du magistrat en charge de l'enquête, le juge d'instruction près la Cour de justice, Fadi Sawan.
Le 4 août, une explosion au port de Beyrouth dans un entrepôt où se trouvaient des tonnes de nitrate d'ammonium, stockées sans mesures de précaution depuis des années, a fait plus de 200 morts et 6.500 blessés. Une partie de la capitale a été entièrement ravagée. Chargé de l'enquête, le juge Sawan avait inculpé le 10 décembre le Premier ministre démissionnaire, Hassane Diab, et trois anciens ministres, Ali Hassan Khalil (Finances), Ghazi Zeaïter et Youssef Fenianos, qui avaient tous deux dirigé le ministère des Travaux publics et des Transports. Les quatre sont accusés de "négligence et d'avoir causé des centaines de décès". Il s'agit des premières inculpations d'hommes politiques annoncées quatre mois après le drame. Plusieurs responsables sécuritaires et portuaires, notamment l'ancien directeur de la société qui gère le port, ainsi que le directeur des douanes, sont déjà sous les verrous. Fin octobre, l'Ordre des avocats de Beyrouth a déposé près de 700 plaintes devant la justice au nom de personnes affectées par ce drame.
Ces inculpations ont toutefois provoqué une levée de bouclier au sein de la classe politique. Les mis en cause affirment que l'inculpation doit se faire à travers un vote du Parlement. Mais le juge d'instruction, dont une requête au Parlement allant dans ce sens avait été ignorée en novembre, estime qu'il a la prérogative, puisqu'il s'agit d'une affaire pénale.
Convoqués cette semaine pour être interrogés par le juge d'instruction, aucun d'eux n'a été interrogé. Prévu vendredi, un interrogatoire de M. Diab a été annulé. Le Premier ministre avait déjà refusé lundi de recevoir le procureur au Sérail et avait, la veille, regagné son appartement de Tallet el-Khayat. "Je ne me suis pas présenté devant le juge car aucune audience ne m'a été fixée aujourd'hui", s'est défendu pour sa part Youssef Fenianos dans un entretien à l'Agence nationale d'information (Ani, officielle).
"Toutes les procédures suspendues"
Quant aux députés et anciens ministres Ali Hassan Khalil et Ghazi Zeaïter, ils ont présenté un recours en suspicion légitime d’incompétence contre le juge Sawan, dont ils réclament le remplacement, devant la Cour de cassation. Ils accusent d'avoir violé la Constitution avec ses procédures engagées à l'encontre d'anciens ministres et de députés. En attendant, "le juge Sawan a suspendu toutes les procédures de l'enquête", souligne une source judiciaire interrogée par l'AFP. Selon l'Agence nationale d'information (Ani, officielle), cette suspension durera dix jours, le temps que le juge Sawan réponde au recours présenté contre lui par les deux députés.
Une source judiciaire informée, interrogée par L'Orient-Le Jour, précise que "la décision prise sera sans appel". Et la source de mettre en doute le succès d’une telle démarche, destinée avant tout à gagner du temps, et sans doute à pousser le magistrat instructeur à se récuser. "Ce serait là un grave coup porté à la justice", avertit-elle.
En outre, l'audition du directeur général de la Sécurité de l’État, Tony Saliba, qui s'est présenté jeudi au Palais de justice de Beyrouth pour être questionné par le juge Sawan, a été reportée à une date ultérieure en raison du recours présenté par MM. Khalil et Zeaïter. "Le face-à face qui était également prévu entre le général Saliba et l'officier Joseph Naddaf a été reporté", a rapporté l'Agence nationale d'information (Ani, officielle). Actuellement en détention, l'officier Naddaf, qui est sous les ordres du général Saliba, assure avoir adressé plusieurs lettres à son supérieur hiérarchique pour le mettre en garde contre la capacité de nuisance du nitrate d’ammonium qui a provoqué le drame du 4 août.
Sur le terrain, des manifestants ont tenu jeudi soir un sit-in en soutien au juge Sawan devant son domicile dans le quartier d'Achrafieh, à Beyrouth, en brandissant des pancartes et en réclamant que justice soit rendue. "Nous avons le droit de savoir qui nous a tués" et "que tombe l'immunité avec les victimes du 4 août", en référence à l'immunité parlementaire invoquée par les deux députés inculpés. "Jugez tous les responsables politiques, jugez les chefs militaires, traînez-les tous devant la justice", ont crié les manifestants.
Près de 700 conteneurs abandonnés
Par ailleurs, l'armée libanaise a commencé à inspecter jeudi matin près de 700 conteneurs abandonnés dans le port de la capitale, pour certains depuis 2005, dans ce qui montre encore une fois de graves lacunes sécuritaires dans ce port.
Mardi, la chaîne locale LBCI avait diffusé un reportage faisant mention de ces conteneurs, en tirant la sonnette d'alarme contre une potentielle nouvelle catastrophe. La télévision indiquait que ni l'identité des propriétaires des conteneurs, ni le contenu de ceux-ci, n'étaient connus. Elle expliquait ensuite que l'armée n'était pas autorisée à ouvrir ces conteneurs, une tâche qui relève du service des douanes. Celui-ci a finalement transféré cette tâche aux militaires, sur ordre du ministère sortant des Finances, Ghazi Wazni, jeudi matin.
Le bureau de presse du ministère des Finances a ainsi fait savoir que le 16 décembre, la question de l'inspection de ces conteneurs par l'armée en coopération avec les douanes a été abordée lors d'un appel téléphonique entre M. Wazni et le commandant en chef de l'armée, le général Joseph Aoun, "afin d'inspecter les conteneurs abandonnés et traiter cela immédiatement". Une réunion entre M. Wazni et les responsables portuaires concernés a également eu lieu. L'armée a ainsi débuté en matinée l'inspection, en coopération avec la direction des douanes et les représentants de l'administration portuaire, en vue de prendre les mesures nécessaires contre tout éventuel danger qui pourrait en résulter.
Mi-novembre, un accord avait été signé avec une société allemande afin qu'elle "traite 52 conteneurs contenant des matières dangereuses en utilisant des méthodes scientifiques sûres et appropriées". L'armée ne précisait toutefois pas la nature de ces matières dangereuses.
commentaires (9)
Après le recours de Khalil et Zeaïter contre Sawan, l'enquête suspendue : allah est grand tout ca est prévu par la constitution divine ( chiite, sunnite maronite ou druze)
youssef barada
23 h 09, le 17 décembre 2020