Un coup de frein sera donné à partir d’aujourd’hui à l’enquête sur la tragédie de la double explosion du port, le 4 août dernier, conduite par le juge d’instruction et procureur général près la Cour de justice Fadi Sawan. En effet, une source judiciaire informée a confié à L’OLJ que « les deux députés et anciens ministres Ali Hassan Khalil (Finances) et Ghazi Zeaïter (Transports et Travaux publics) présenteront demain (aujourd’hui), si ce n’est déjà fait, un recours en suspicion légitime d’incompétence contre le juge Fadi Sawan, dont ils réclament le remplacement, devant la Cour de cassation ». « Ce recours l’oblige en droit à suspendre provisoirement son action, en attendant que la Cour de cassation se prononce », a ajouté la source citée qui estime que « ce sera l’affaire de quelques jours » et précise que « la décision prise sera sans appel ». Et la source de mettre en doute le succès d’une telle démarche, destinée avant tout à gagner du temps, et sans doute à pousser le magistrat instructeur à se récuser. « Ce serait là un grave coup porté à la justice », avertit-elle.Le recours en question a été interprété comme faisant partie d’une stratégie délibérée d’obstruction à la justice des députés et anciens ministres, ce dont s’est défendue une source parlementaire qui assure au contraire qu’il s’agit de respecter, ce faisant, le principe de la séparation des pouvoirs. Toujours est-il que, réuni à Aïn el-Tiné sous la présidence du chef du législatif, Nabih Berry, pour préparer l’ordre du jour de la séance plénière prévue le 21 décembre à l’Unesco, le bureau de la Chambre s’est attardé hier sur la lettre adressée, fin novembre, par le juge Sawan à la Chambre des députés.
« Certains soupçons »
Dans ce message, Fadi Sawan avait informé la Chambre que son enquête dans l’affaire du port avait débouché sur « certains soupçons » concernant la responsabilité de tous les chefs de gouvernement, et les ministres des Finances, de la Justice et des Travaux publics qui se sont succédé depuis 2013 du stockage du nitrate d’ammonium au port. Il s’agissait pour le juge d’exhorter le Parlement à s’acquitter de ses responsabilités, en saisissant la Haute Cour de justice, chargée de poursuivre les chefs d’État et membres du gouvernement en justice.
Et c’est principalement sur ce dernier point que s’articule le différend opposant actuellement le Parlement au juge Sawan. Contacté par L’Orient-Le Jour, Élie Ferzli, vice-président de la Chambre, explique que dans sa lettre datée de novembre, le juge s’était contenté de faire savoir que tous les chefs de gouvernement et ministres des Finances, de la Justice et des Travaux publics assument une part de responsabilité. Mais il s’est abstenu de nommer les personnes concernées. « Or nous ne pouvons pas procéder à un vote portant sur la levée de l’immunité parlementaire sans avoir les noms des députés concernés et les documents sur la base desquels ces personnalités ont été suspectées et que M. Sawan ne nous a toujours pas remis », souligne-t-il. M. Ferzli tient, par ailleurs, à assurer que cette position du bureau de la Chambre ne saurait être interprétée comme une manière d’entraver le cours de la justice. « Nous ne sommes pas contre les poursuites. Mais nous ne faisons qu’affirmer notre attachement à nos prérogatives constitutionnelles, notamment en matière d’accusation des députés et des ministres », explique M. Ferzli, dans ce qui sonne comme une pique en direction de Fadi Sawan, ce dernier ayant inculpé le Premier ministre démissionnaire, Hassane Diab, et trois ex-ministres (Ali Hassan Khalil, Ghazi Zeaïter et Youssef Fenianos), jeudi dernier. Même son de cloche dans certains milieux parlementaires. On y estime que le juge s’est noyé dans la contradiction flagrante. « Dans un premier temps, Fadi Sawan a renvoyé la balle dans le camp du Parlement. Mais il n’a pas voulu attendre la Chambre avant d’engager les poursuites. » Et c’est autour de ce point que s’est articulée la lettre adressée aujourd’hui au juge Sawan (par l’intermédiaire, bien entendu, de la ministre de la Justice).
Quoi qu’il en soit, Élie Ferzli s’est exprimé à l’issue de la réunion du bureau de la Chambre, et s’est voulu très clair. « Nous (le bureau de la Chambre) n’avons trouvé aucun soupçon contre les anciens Premiers ministres auxquels le juge avait fait référence. Leurs noms ne figurent même pas dans le message de M. Sawan, de même que les ex-ministres : Mohammad Safadi, Ghazi Aridi, Ali Hassan Khalil, Chakib Cortbaoui, Salim Jreissati et Albert Serhane. »
Élargissement du champ des mises en examen
Pour sa part, le magistrat instructeur n’est pas resté passif hier. Il a ainsi décidé d’élargir le cercle de ses mises en examen et d’inculper la compagnie de gestion du port, comme personne morale, dont le directeur, Hassan Koraytem, est déjà sous écrou.
Dans les années 90, l’État avait repris l’administration du port, jadis exploitée par une compagnie concessionnaire, et lui avait assigné un statut temporaire…qui dure depuis 30 ans, sous la direction d’un comité présidé par M. Koraytem.
En outre, M. Sawan a cité à comparaître le directeur général de la Sécurité de l’État, Tony Saliba, qu’il compte confronter au témoignage d’un des officiers sous ses ordres, Joseph Naddaf. Ce dernier assure avoir adressé plusieurs lettres à son supérieur hiérarchique pour le mettre en garde contre la capacité de nuisance du nitrate d’ammonium.
Aux dernières nouvelles, Tony Saliba a également refusé de se rendre devant le juge, estimant que la convocation aurait dû lui parvenir conformément aux usages, ce qui pourrait impliquer, selon des sources citées par la chaîne LBCI, qu’elle soit envoyée au Conseil supérieur de défense. On sait par ailleurs que Joseph Naddaf est… en prison.
Par ailleurs, le juge Sawan a interrogé hier matin l’ancien chef d’état-major, le général Walid Salmane, en tant que témoin. Enfin, le magistrat instructeur a fixé au 4 janvier 2021 un nouveau rendez-vous à Ghazi Zeaïter et Ali Hassan Khalil, ces derniers ne s’étant pas présentés à son bureau conformément à sa convocation, arguant de leur triple immunité d’avocats, de députés et de ministres et invoquant les articles 40 et 70 de la Constitution.
Par ailleurs, on estimait improbable hier que Hassane Diab réponde à la convocation qui lui a été faite pour demain, vendredi, et reçoive le magistrat au Grand Sérail, où il ne se rend plus depuis qu’il a été convoqué.
En revanche, également mis en examen dans cette affaire, l’ancien ministre des Transports et des Travaux publics Youssef Fenianos pourrait être entendu aujourd’hui, après s’être trompé de jour et s’être rendu à son bureau mardi, faisant ainsi preuve de coopération. Mais la demande déposée par les deux anciens ministres pour « suspicion légitime » pourrait prendre de vitesse le juge Sawan et freiner son action durant quelques jours.
commentaires (9)
Et ça continue! Tout nos valeureux inutiles se tournent maintenant vers la loi écrite et ses détails inutiles et qu'ils, il y a même pas quelques instants, rejetaient du revers de leurs langues! L'hypocrisie de cette sans-classe assassine le pays et le peuple!!
Wlek Sanferlou
13 h 56, le 17 décembre 2020