En fin de journée, ce vendredi 11 décembre, Wassef Haraké reçoit L’Orient-Le Jour dans ses bureaux de Ghobeyri, dans la banlieue sud de Beyrouth, fief du Hezbollah, vitres fermées et rideaux tirés. « Cela fait près de trois mois que je n’avais pas mis les pieds ici, c’était impossible à cause des menaces. » Celui qui peut se targuer d’être l’un des activistes les plus connus de la thaoura, suivi par près de cent mille personnes sur les réseaux sociaux, a subi deux agressions physiques au cours de ces derniers mois. L’une en juillet, quand il a été rossé à la sortie de la station de radio Sawt Loubnan par des hommes cagoulés et armés. L’autre plus récente, le 4 décembre, à la suite d’une altercation avec les forces antiémeute alors qu’il venait manifester devant l’École supérieure des affaires (ESA) contre la venue de Riad Salamé, le gouverneur de la Banque du Liban. Pas de quoi l’intimider pour autant. « Quand je suis persuadé d’être dans mon droit, je ne sens même pas la douleur des coups. Notre combat s’inscrit dans le temps long et notre volonté de changer ce pays est intarissable. »
L’homme est un combattant, dans tous les sens du terme. Contre l’injustice, contre l’oppression, contre tout ce qui incarne la domination des uns sur les autres, quoi qu’il en coûte à sa vie professionnelle et personnelle. Avec son physique trapu et son regard perçant, Wassef Haraké a des airs de Don Quichotte. De confession chiite, celui qui n’hésite pas à critiquer frontalement Amal et le Hezbollah est accusé par ses détracteurs d’être l’homme des ambassades étrangères. « Je représente une menace seulement pour les personnes qui profitent de ce régime corrompu », se défend-il. Signe que le sujet est sensible, personne dans les milieux des deux partis chiites n’a souhaité répondre à nos questions. « Wassef est le militant politique par excellence. Il a eu le courage de se présenter contre le Hezbollah aux élections législatives de 2018 et c’est ce qui lui a donné du poids politique », avance Mohammad Serhan, membre du Bloc national.
S’il n’a pas la langue dans sa poche quand il s’agit de défendre la veuve et l’orphelin, il devient nettement plus réservé au moment d’évoquer sa famille et sa vie privée. Il se dit très marqué par l’invasion israélienne de 1982 et ses bombardements incessants. Il avait alors onze ans. Son père était lui aussi engagé dans la politique auprès de Fouad Boutros lorsque ce dernier était ministre des Affaires étrangères. Travaillant dans les associations de quartier, laïc et patriote, il a même été emprisonné en Syrie pour son activisme. Dès l’adolescence, l’avocat s’engage avec les jeunes du quartier pour le développement de Ghobeyri, créant de multiples initiatives locales. Durant ses études à l’Université arabe de Beyrouth, il est en première ligne des mouvements contre la présence syrienne au Liban. En 1998, il fait partie de la liste municipale qui s’oppose au Hezbollah à Ghobeyri, puis rebelote aux législatives de 2018. L’objectif est clair et précis : présenter un front uni contre tous les partis confessionnels et miliciens du pays, sans aucune exception. « Kellon yaané kellon » (tous ça veut dire tous), souligne-t-il, reprenant le slogan phare du mouvement de révolte du 17 octobre 2019.
« Rien de pire que de perdre l’espoir »
Malgré de nombreux tiraillements internes entre les groupes de la révolution d’octobre, Wassef Haraké semble faire l’unanimité. « C’est un homme honnête. Il est sur le terrain depuis de longues années et nous partageons les même objectifs », dit Mahmoud al-Natour, représentant du groupe Ana Khat Ahmar. Mais les priorités ne sont pas forcément les mêmes. « Wassef est focalisé principalement dans la lutte contre la corruption, nous pensons qu’il faut se battre pour la souveraineté du pays et les droits civiques avec la même ardeur. »
Profondément laïc, l’activiste est convaincu que le progrès passe par la construction d’une citoyenneté libanaise et d’un État fort, capable de subvenir aux besoins primaires de la population. S’il est parfois caricaturé comme un militant d’extrême gauche, il se définit plutôt comme socialiste. « Je ne suis pas dogmatique, je soutiens tout projet politique qui apporte du progrès social à notre pays. » Alors que la question des armes du Hezbollah est l’un des points de discorde parmi les révolutionnaires, Wassef Haraké n’entretient pas l’ambiguïté sur ce sujet. « L’État de droit est le seul à pouvoir exercer la violence légitime », dit l’avocat qui considère que la « résistance contre Israël » doit être menée par les institutions libanaises.
De tous les combats sociaux, le militant était en première ligne lors du mouvement « Vous puez » en 2015. « Je n’ai pas choisi le métier d’avocat pour le prestige ou pour l’argent. » Ses tiroirs ne désemplissent pas de plaintes de toutes sortes. « Mon engagement politique a réduit mes perspectives de carrière. Le plus gros de mon travail aujourd’hui s’effectue pro bono pour les plus nécessiteux. »
Pour Hussein al-Ashi, avocat, activiste et fondateur de Minteshreen, Wassef Haraké représente les juristes qui ont refusé le système et le combattent. « Il s’est même fait embarquer par la police en 2015. Sur les plateaux télé, c’est l’homme qui arrive à irriter les politiciens au point qu’ils envoient des voyous l’agresser. » Pour beaucoup de jeunes avocats, il est une source d’inspiration mais aussi un meneur, capable de mobiliser plusieurs centaines de personnes pour des actions politiques.
S’il est radical, l’homme est aussi réaliste. Il sait que le chemin est semé d’embûches, mais refuse pour autant d’abandonner en cours de route. « Il n’y a rien de pire que de perdre l’espoir en sa patrie. »
« Le futur, c’est nous »
Bien que les Libanais ne battent plus le pavé depuis un moment déjà, il refuse de considérer que la révolte est morte. « Doit-on mesurer la valeur de la révolution au nombre de manifestations ? Non, la révolution, c’est un éveil politique ! » Au point même de rester optimiste dans un pays où tout pousse à voir l’avenir en noir. « Prenez une carte du Liban, la révolution était présente dans toutes les régions, c’est du jamais-vu dans l’histoire de notre pays », martèle-t-il.
Quel rôle peut-il jouer dans cet avenir, alors que la révolution a notamment pâti de l’absence de leader? L’activiste peut-il se transformer en homme politique ? Pas pour l’instant, semble-t-il. L’avocat considère que sa place en tant que militant politique n’est pas dans les médias mais dans la rue. « J’aime le contact avec mes camarades de lutte. Ils comptent sur moi et se sentent en sécurité à mes côtés. » « Voici un exemple unique d’un potentiel leader de la révolution qui va au contact dans les manifestations. Personne d’autre ne fait ça. C’est là sa plus grande force », note d’ailleurs Mohammad Serhan.
Le principal enjeu aujourd’hui ? La lutte au sein des syndicats et des universités où il faut montrer que les indépendants du mouvement du 17 octobre sont prêts à changer l’équilibre politique du pays. « Celui qui n’arrive pas à visualiser le changement dans son imagination ne pourra pas le matérialiser par la suite. Il faut se battre jusqu’au bout pour un Liban égalitaire et démocratique. Le futur, c’est nous, nous sommes prêts aujourd’hui à prendre le contrôle du pays. »
Bravo , Chapeau Monsieur Haraké Vous avez tout mon estime . Bon Courage.
18 h 29, le 17 décembre 2020