Dima Sadek
La classe dirigeante a beau lui avoir collé des procès à n’en plus finir voilà un an, beau lui avoir lâché sa terrorisante armée électronique, rien de cela n’a réussi à faire ciller la journaliste Dima Sadek. Sous un gant de velours, c’est son bras de fer qu’elle brandit, tantôt à travers ses tweets sanglants, tantôt à la faveur d’audacieuses apparitions télévisées, parce que « c’est un combat qui s’impose instinctivement à nous contre la classe politique corrompue, protégée par une milice armée ». Et à chaque fois qu’on la croit défaite, c’est une Dima Sadek d’autant plus belle et prolixe qui apparaît et frappe encore plus fort, comme un gage de courage. Et de rage.
Ali Nouraldeen
Pour peu que vous ayez participé à la thaoura sans le savoir, vous avez repris ses mots et vous avez vu vos poils se hérisser dès lors qu’il se hissait sur un camion, puis s’emparait de son haut-parleur. Lui, c’est le garçon aux cordes vocales musclées qui souffle poèmes et comptines au creux d’un mégaphone et que la foule reprend en chœur. Lui, c’est cette beauté lunaire venue de Marjeyoun qui, bercé par les histoires des révolutions arabes, a décidé de faire la thaoura libanaise son emploi à plein-temps, en y apportant ce qu’il peut : ses mots, sa gouaille et son sourire face auxquels on ne peut pas baisser les bras. Lui, c’est Ali Nouraldeen, la voix de la thaoura.
Lina Boubess
Ne pas se fier à son allure d’oisillon qu’on a envie de protéger. Il y a une flamme qui grésille dans le regard de Lina Boubess, il y a du fer dans ses biceps prêts à affronter la plus redoutable des lignes de front, et il y a surtout des kilos d’amour dans ses bras qui n’ont jamais cessé, dès les premiers jours de la révolution, d’entourer et de protéger chacun des rebelles, « mes enfants », comme elle les appelle. La maman de la thaoura, voilà ce qu’elle incarne, en somme. Et c’est d’ailleurs pour tous ces jeunes qu’elle refuse de voir partir que Lina Boubess, membre des groupes Street et Minteshreen, promet qu’elle continuera à se battre. Jusqu’au dernier souffle.
Gino Raidy
Par tous les moyens, menaces, pressions, procès et déferlement de pathétiques soldats digitaux, on a tenté de la « lui boucler ». Rien à faire. Voilà douze mois qu’en plus de documenter l’actualité libanaise au quotidien pour une audience sans cesse grandissante, l’irrévérencieux Gino Raidy mène incontestablement notre révolution digitale, servant de porte-parole à une jeunesse qui n’a plus peur de rien. N’épargnant personne, cet activiste et blogueur a passé toute la classe politique corrompue au scalpel de ses posts à la fois drôles et acerbes, mettant au feu les langues de bois et déconstruisant, pièce par pièce, la sacralité de nos pseudozaïms. Aujourd’hui, nos ex-rois sont nus et on ne peut que dire à Gino : heureusement que tu ne l’as jamais bouclée.
Chérine Zein Zantout
Il suffit de prononcer son nom sur les places de la révolution, pour que s’illumine aussitôt le regard des rebelles et des activistes. C’est que le 17 octobre, Chérine Zein a refermé les portes de sa vie d’avant et celles de sa carrière de décoratrice d’intérieur pour se donner tout entière, au propre comme au figuré, à la thaoura. Ne manquant pas une manifestation, pas une, elle joint le jour à la nuit pour arracher les militants des crocs des commissariats, les sortir des hôpitaux, puis aller se poser en ligne de front, avec ses compagnons du groupe Street, où personne ne parviendra à lui ternir son rêve d’un Liban meilleur. Et il le sera, tant que Chérine sera là.
Wassef Haraké
Lorsque Wassef Haraké a choisi de se consacrer au mouvement populaire libanais de 2011, de 2015, puis celui de la thaoura, il était conscient du « prix à payer ». Car, par-delà l’assistance juridique qu’il a apportée aux activistes arrêtés, on retiendra surtout l’abominable agression qu’il a subie après un entretien avec la radio La Voix du Liban, au motif d’avoir « trop élevé le ton ». Mais ces coups qu’il a pris, ces menaces et ces intimidations qui sont son quotidien depuis octobre dernier, cet avocat et militant antipouvoir les préfère à l’horreur que serait notre vie « si l’on ne se bat pas. La confrontation avec notre régime oppressif et corrompu ne fait que de commencer ».
Sam el-Khoury
Impossible de ne pas avoir repéré, éternellement sur la ligne de front, ce garçon arrimé à sa raquette de tennis qu’il n’hésite pas à brandir pour renvoyer les cartouches de gaz lacrymogène à la garde du Parlement. En journée, Sam el-Khoury, qui a tout lâché pour se dédier à la thaoura, son boulot et sa vie d’avant, jongle entre manifestations, sit-in, projets humanitaires et meetings politiques au sein du groupe Minteshreen. La nuit tombée, harnaché de son sac à dos, le révolutionnaire en lui enfile son masque et sort sa raquette de tennis face à qui pense le faire taire. Son arme : une opiniâtreté de fer dissimulée sous son sourire solaire.
Paola Rebeiz
Des sublimes créatures qu’elle cornaquait dans son agence de mannequinat à Paris, à une centaine de rebelles qu’elle a portés de son regard vert incandescent, qu’elle a nourris et logés, voilà qui résume le parcours quasi romanesque de Paola Rebeiz. Dès le soir du 17 octobre et jusqu’à la montée du coronavirus, cette femme d’une troublante humanité, outrée par les inégalités qui gangrenaient le pays, fait fleurir au cœur du parking Lazarieh une tente et une cuisine, à partir de laquelle elle a géré la logistique des places de la révolution. Grâce à elle, celles-ci, et en dépit de multiples attaques, sont devenues le berceau d’un nouveau Liban.
Amani Beaïni et Roland Nassour
Révolutionnaires bien avant la révolution d’octobre, c’est à ces deux activistes forcenés que l’on doit la victoire contre l’abscons projet de Bisri, réjouissant clou planté dans le cercueil d’un régime corrompu et clientéliste. Fin 2017, Amani Beaïni et Roland Nassour lancent la campagne « Save The Bisri Valley », un combat politique qu’ils portent à la force de leurs cœurs et mènent à bon port, au prix d’agressions physiques et de lourdes poursuites juridiques. Mais rien ne les a fait reculer et aujourd’hui, chacun des arbres de ce paradis sauvé se prosterne devant eux pour les remercier. Nous aussi.
Ayah Bdeir et Bana Abouricheh
C’est autour de Ayah Bdeir et Bana Abouricheh Kadi que s’est tissée la communauté de « DaleelThawra », au lendemain du 17 octobre 2019. Avec une troisième cofondatrice Nina Ghaïs, ces deux femmes-orchestres ont développé ce qui est devenu en si peu de temps le guide ultime de la révolution. Ce projet crucial a non seulement prouvé que la révolution libanaise est femme, mais surtout que ce ne sont pas nos gouvernements qui forgent notre nation. Notre peuple, porté par des activistes comme Ayah et Bana, s’en chargera.
Jean Kassir
Bien avant la thaoura, c’est avec huit autres cofondateurs que Jean Kassir déclenchait une révolution médiatique à la faveur de Megaphone. En 2017, cet activiste lançait cette plate-forme qui rompt avec la presse traditionnelle, en y proposant un discours incisif et un format hybride (site web et compte Instagram) qui s’adressait à une nouvelle audience rivée sur les réseaux sociaux. Si ces derniers douze mois, Megaphone a été intronisée média de référence de la thaoura, cette plate-forme a particulièrement redonné espoir en un quatrième pouvoir digne de ce nom, belle forme de résistance s’il en est, face à notre régime policier et oppressif.
Chloé Kattar
Malgré la distance, malgré son très prenant doctorat à l’Université de Cambridge où elle est installée, Chloé Kattar n’a pu s’empêcher de rouler ses manches et rejoindre les rangs de la révolution, en posant un regard politique et poétique sur les événements qui secouaient son Liban natal. Sous le nom de « Lebhistorian », la brillante et taquine Libanaise propose quotidiennement sur Instagram une sorte de carnet de bord affûté à travers lequel elle desquame et analyse l’actualité brûlante. À la faveur de ce geste simple mais efficace, Chloé Kattar nous aura permis d’archiver et documenter cette époque charnière, quand nos livres d’histoire nous vouaient à une amnésie collective.