Pour la première fois depuis sa désignation, le 22 octobre, pour former un gouvernement, Saad Hariri a présenté hier une mouture de cabinet au président Michel Aoun, qui avait déjà reçu le Premier ministre désigné lundi. Après plus de trois semaines de surplace, le processus semble donc être relancé à une dizaine de jours d’une nouvelle visite du président français, Emmanuel Macron, attendu à Beyrouth le 21 décembre.
Le climat qui a présidé à la rencontre a été qualifié de « positif » par le Premier ministre désigné, et un nouvel entretien est, dans ce cadre, prévu prochainement. Enthousiasmé par ce qu’il a considéré comme une percée, Walid Joumblatt n’a pas tardé à réagir à ces développements en affirmant sur son compte Twitter être « dans l’attente de la fumée blanche ». Un tweet hâtif qui a toutefois disparu quelques minutes plus tard.
« J’ai présenté au président Aoun une mouture d’un cabinet de 18 ministres spécialistes et non partisans. Le président m’a promis d’étudier cette formule. Nous allons de nouveau nous entretenir bientôt, et le climat est positif », a déclaré M. Hariri à l’issue de l’entretien qui a duré environ une heure avec le chef de l’État. « L’espoir est grand de pouvoir former un cabinet le plus vite possible afin de freiner l’effondrement économique, reconstruire Beyrouth (après l’explosion du port), réduire la souffrance des Libanais et regagner leur confiance à travers la mise en œuvre des réformes prévues dans le cadre de l’initiative française. »
Deux enveloppes
Selon notre correspondante à Baabda, Hoda Chédid, le Premier ministre désigné portait deux enveloppes à son arrivée à Baabda, contrairement à sa dernière visite, lundi. Des médias locaux ont précisé qu’une des enveloppes contenait la mouture de cabinet, et l’autre les CV des ministres proposés, que M. Hariri a commentés pour le président Aoun.
Toutefois, selon notre correspondante, la décision de M. Hariri de « positiver » ne permet pas pour autant d’espérer qu’un nouveau gouvernement verra le jour avant la prochaine visite du chef de l’État français.
De fait, à la déclaration relativement optimiste de M. Hariri, qui a laissé espérer qu’un climat de confiance et de coopération commençait à s’installer, devait succéder un communiqué présidentiel qui a douché les espoirs d’un déblocage, sans les faire disparaître. Selon ce communiqué, Michel Aoun a lui aussi présenté à M. Hariri « une formule gouvernementale exhaustive incluant une répartition des portefeuilles sur la base de principes clairs ». « MM. Aoun et Hariri ont convenu d’étudier les propositions avancées et de poursuivre les concertations afin de rapprocher les points de vue », ajoute la présidence.
Le ton du communiqué et l’expression « une formule gouvernementale exhaustive » n’ont pas rassuré les milieux du courant du Futur. Cités par notre correspondant Philippe Abi-Akl, ceux-ci estiment que c’est au Premier ministre désigné de former le gouvernement, et que le chef de l’État outrepasse en quelque sorte son rôle, en présentant une contre-proposition « exhaustive ».
Pas de mouture « prête à approuver »
Explicitant la position de M. Aoun, des sources de Baabda, citées par Hoda Chédid, affirment que Michel Aoun n’avalisera pas une mouture « prête à approuver » présentée par le Premier ministre désigné, et souhaite, comme le stipule la Constitution selon elles, jouer pleinement son rôle de « partenaire » dans la formation du gouvernement.
Sur le fond, les blocages persistent. Selon notre correspondant politique Mounir Rabih, le chef de l’État a présenté une mouture de 18 ministres répartis entre des noms avancés par M. Hariri et d’autres qu’il propose lui-même. M. Aoun et son courant réclament toujours 7 ministres, obtenant ainsi au sein de la formule gouvernementale un tiers de blocage, ce que M. Hariri refuse de lui accorder.
Parmi les noms de ministrables avancés qui reviennent avec insistance sur les lèvres des correspondants figure celui de Joe Saddi, un conseiller en stratégie dont le nom avait déjà été proposé par le Premier ministre Moustapha Adib, qui s’était récusé avant la nomination de M. Hariri. M. Saddi, un Franco-Libanais, bénéficierait de la confiance des Français et serait pressenti pour le portefeuille de l’Énergie. Le nom de Fadia Kiwan, professeure universitaire, aurait également été avancé, ainsi que celui d’Antoine Klimos, ancien bâtonnier de Beyrouth. Pour l’intérieur, deux officiers sont pressentis, Nicolas Habre, apparenté au Futur, et Jean Salloum, apparenté au CPL. Le général Salloum étant l’officier qui avait procédé à l’arrestation de Samir Geagea, le chef des Forces libanaises, au début des années 90.
Un rôle russe ?
La reprise des discussions entre le chef de l’État et le leader du courant du Futur intervient alors que la pression internationale sur les autorités libanaises se fait de plus en plus forte, le pays continuant de s’enfoncer dans la pire crise économique et financière de son histoire moderne. Un nouveau gouvernement est donc crucial pour faire face à cette crise, plus de quatre mois après la démission de celui de Hassane Diab, suite au drame du port de Beyrouth. La future équipe ministérielle aura également la charge de lancer les réformes requises par la communauté internationale pour débloquer des aides financières, et de relancer les négociations avec le Fonds monétaire international. C’est dans le cadre de cette pression internationale que le président français est attendu à Beyrouth le 21 décembre pour sa troisième visite à Beyrouth depuis août. Selon notre correspondante à Baabda, Emmanuel Macron se rendra le jour de son arrivée à Naqoura, auprès du contingent français au sein de la Finul, et y passera la nuit. Le lendemain, il se rendra à Baabda pour un entretien avec Michel Aoun, suivi d’une déclaration, avant de s’envoler pour Paris.
Enfin, il a été question hier d’un rôle facilitateur que jouerait la Russie dans la formation du nouveau cabinet, en parallèle et à la demande de Paris. Selon des sources concordantes locales, la coopération diplomatique entre les deux pays devrait contribuer au recentrage arabe de la politique étrangère du Liban. La Russie, assurent les sources citées, est consciente qu’une polarisation iranienne de la politique étrangère du Liban est en train de lui aliéner les pays arabes. En parallèle, Moscou redoute une radicalisation des clivages au Liban par un appel mutuel des deux extrémismes iranien et salafiste, et une possible manipulation de la présence syrienne à des fins de déstabilisation régionale. En revanche, il trouverait son intérêt dans une stabilisation de la situation qui permettrait à l’une de ses grandes compagnies de prospection pétrolière de s’engager dans la zone d’exclusion maritime proche de la frontière syrienne.
commentaires (6)
Mr. Hariri donnait votre démission ils ne sont pas digne de vous tous ces vendus à la Syrie , l'Iran et le Hezbollah
Eleni Caridopoulou
17 h 27, le 10 décembre 2020