Pourquoi le Liban n’a-t-il toujours pas de gouvernement ? La presse locale essaye de répondre quotidiennement à cette question depuis des mois, alors que les responsables politiques s’étaient engagés auprès d’Emmanuel Macron, le 1er septembre dernier, à le former dans un délai de quinze jours. « C’est la faute des États-Unis et par extension de Hariri », avancent les médias proches du Hezbollah. « C’est Bassil qui bloque toute l’opération », répondent en chœur les journaux favorables à ce qui fut autrefois appelé le 14 Mars.
Tout cela n’est pas tout à fait faux. Mais un peu réducteur, les obstacles s’ajoutant les uns aux autres pour créer une impasse de laquelle le Liban ne parvient pas à sortir depuis la démission de Saad Hariri le 29 octobre 2019. Faute de pouvoir se réinventer, la planète politique libanaise tourne en rond depuis maintenant un peu plus d’un an. Trois grandes raisons expliquent cette situation : la nature de la gouvernance libanaise, les considérations géopolitiques et les anticipations de la bataille d’après.
Le gouvernement pré-thaoura reposait sur l’idée d’un consensualisme sur le plus petit dénominateur commun entre toutes les parties. Les différentes composantes qui formaient le gouvernement avaient beau privilégier des options parfois diamétralement différentes, y compris sur des sujets de premier plan, tous convenaient que le compromis était le seul moyen d’éviter le vide institutionnel, à moins de changer les règles du jeu, ce qui supposait que toutes les parties s’entendent là-dessus. C’est ce même « plus petit dénominateur commun » qu’ils ne parviennent aujourd’hui plus à trouver. Et pour cause : chaque partie a une exigence qui rend le compromis global impossible. Le tandem chiite veut un remake du gouvernement Diab mais avec à sa tête, cette fois-ci, Saad Hariri. Le Courant patriotique libre défend la même option, mais sans Saad Hariri. Si ce dernier doit tout de même être de la partie, le CPL veut être certain de conserver un contrôle sur le gouvernement. En somme, un retour à la situation pré-thaoura où Saad Hariri disposait d’une marge de manœuvre limitée dans son propre gouvernement. Inacceptable pour le Premier ministre désigné qui n’est pas prêt à répéter l’expérience passée. Mais qui ne peut pas non plus défendre l’idée d’un gouvernement de technocrates, nommé par ses soins, alors qu’il a déjà accordé aux chiites le ministère des Finances et la capacité de nommer leur propre ministre. S’il étend l’exception aux autres formations politiques et accorde ainsi les mêmes prérogatives au CPL, il se trouverait en position de faiblesse, les chrétiens pesant, contrairement aux chiites, pour la moitié du gouvernement. La situation ne peut se débloquer à ce niveau-là que par un compromis à la libanaise entre Saad Hariri et Gebran Bassil.
Mais deux difficultés viennent s’ajouter à ce casse-tête. Un : les relations sont exécrables entre les deux hommes qui s’accusent l’un l’autre d’être à l’origine de la crise que traverse le pays. Deux : chacun est encouragé pour ses propres raisons à défendre une position maximaliste. Saad Hariri parce qu’il veut revenir en position de force sur le devant de la scène ; Gebran Bassil parce qu’il ne veut pas être le seul à payer le prix de la révolution, d’autant plus après avoir été sanctionné par les États-Unis.
Sacrifices conséquents
À cela s’ajoutent des considérations géopolitiques, directement liées à la formation du gouvernement, même si elles ont tendance à être toujours exagérées par les commentateurs locaux. Si le gouvernement voit le jour, la première chose – la seule, diront certains – que vont regarder les États-Unis et les pétromonarchies du Golfe, c’est à quel point celui-ci a le visage du Hezbollah. Pas question pour eux de venir en aide à un gouvernement qui serait dominé par la formation chiite et ses alliés. Or ce sont les principaux (potentiels) donateurs d’une aide financière internationale pour le Liban. Saad Hariri est contraint de prendre en compte cette donnée, ce qui complique nécessairement encore un peu plus l’équation. Le Hezbollah refuse de se mettre en retrait dans un contexte où il est l’objet d’une forte pression internationale. C’est pourquoi il y a de grandes chances que rien ne bouge avant l’investiture de Joe Biden le 20 janvier prochain. Les partis font le pari d’un réchauffement des relations irano-américaines qui faciliteront les choses au Liban.
Mais c’est un pari hasardeux, là encore, pour au moins deux raisons. Un : si le nouveau président américain va favoriser une approche diplomatique avec l’Iran, celle-ci pourrait tarder à donner des résultats, voire même n’en donner aucun compte tenu de la complexité du dossier. Le Liban va-t-il encore attendre pendant tout ce temps alors qu’il s’enfonce chaque jour un peu plus dans la crise ? Deux : même un accord entre l’Iran et les États-Unis serait loin de faire sauter tous les nœuds qui expliquent l’impasse actuelle. La France est le seul pays à ne pas faire de la question de la marginalisation du Hezbollah une condition sine qua non pour son aide au Liban. Mais Paris demande que le gouvernement soit formé de personnalités compétentes et crédibles, capables de mettre en œuvre des réformes structurelles dans les plus brefs délais. Parce qu’elle doit également être prise en compte, cette dimension ajoute une dose de complexité à la formation du gouvernement, aucune des parties n’étant prête à céder sans se battre pour ses « avantages » acquis au cours de ses années au pouvoir. La mise en œuvre des réformes implique des sacrifices conséquents pour la classe politique. Non seulement personne ne veut assumer ses responsabilités dans la crise, mais surtout nul ne le fera s’il a l’impression que les autres peuvent en tirer avantage. La bataille autour de l’audit juricomptable de la Banque du Liban en est le dernier exemple. « Pourquoi se limiter à l’audit de la BDL ? » avancent tous ceux qui craignent que celui-ci leur soit dommageable. L’audit devrait probablement mettre en avant les détournements de fonds passés et engager la responsabilité pénale de ceux qui en sont à l’origine. On peut douter du fait qu’une seule des formations politiques en question soit réellement prête à aller au bout de l’opération, compte tenu des conséquences probables de celle-ci. Tout le monde bluffe pour gagner du terrain ou ne pas en perdre par rapport aux autres. La bataille de l’après est déjà dans tous les esprits, particulièrement dans ceux des leaders du Hezbollah. Qui résistera à la tempête? Qui sera sacrifié ? Quel sera demain le rapport de force ? Le dilemme est le suivant : les partis doivent se réinventer, couper la branche sur laquelle ils sont assis depuis des décennies, sans pour autant disparaître et sans pour autant que certains en sortent en position de force par rapport à d’autres. Autrement dit : entreprendre les réformes à condition que cela permette de préserver le système et que tout le monde fasse des concessions en même temps. Une logique qui conduit finalement à ne rien faire.
commentaires (21)
Dites moi Berry et HN sont des libanais ou des perses?
Eleni Caridopoulou
17 h 30, le 09 décembre 2020