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Moyen-Orient - Éclairage

Comment le programme balistique iranien pourrait tuer dans l’œuf un retour à l’accord de Vienne

Les missiles de précision de la République islamique pourraient entraver la reprise des négociations entre Washington et Téhéran sur le nucléaire.


Comment le programme balistique iranien pourrait tuer dans l’œuf un retour à l’accord de Vienne

Un missile iranien tiré lors d’exercices de défense aérienne au cours du mois d’octobre 2020. Photo AFP

La reprise des négociations sur la base de l’accord de Vienne entre Washington et Téhéran pourrait ne pas avoir lieu. Et pour cause, le futur locataire de la Maison-Blanche, Joe Biden, sait qu’il va devoir s’attaquer à l’épineuse question du programme balistique iranien. Il n’a d’ailleurs pas manqué de le faire savoir de manière explicite au cours d’une interview accordée au New York Times mercredi dans laquelle il a également précisé sa volonté de retourner au plan d’action global conjoint (JCPOA) – héritage de l’administration Obama sous laquelle il avait officié en tant que vice-président – comme point de départ à toute négociation de suivi, si toutefois la République islamique se conforme à un strict respect des dispositions en échange d’un allégement des sanctions.

Mais en voulant faire de l’accord de Vienne la première étape du processus, M. Biden doit affronter les critiques aux États-Unis qui l’exhortent à faire pression sur la question balistique, d’autant plus qu’elle hérisse le poil des alliés israélien et du Golfe. Pour Riyad, l’exemple le plus emblématique de l’accession progressive de la République islamique à cet arsenal a été l’utilisation de missiles de croisière au cours d’attaques attribuées par les Nations unies à Téhéran contre un aéroport international et des infrastructures pétrolières saoudiens respectivement en juin et septembre 2019. « Pour les pays du Golfe, le programme nucléaire iranien est une menace, mais finalement, c’est assez abstrait. Ce qui est concret, ce sont les missiles, qu’ils soient lancés par les houthis (rebelles yéménites) ou par l’Iran lui-même », résume Fabian Hinz, chercheur associé au James Martin Center for Nonproliferation Studies (CNS), spécialiste de la prolifération de missiles dans la région MENA.

S’il fait de la surenchère, M. Biden risquerait néanmoins de pousser Téhéran un peu plus dans ses retranchements.

« Cher Joe, il ne s’agit plus du nucléaire iranien », titrait l’éditorialiste Thomas L. Friedman dans un article publié le 29 novembre. Car la configuration régionale est aujourd’hui bien différente de celle qui prédominait lorsque Barack Obama a quitté le bureau Ovale en 2016.

En quatre ans, le paysage géopolitique a changé du tout au tout avec, d’un côté, la signature d’accords de normalisation historiques entre Israël et deux pays du Golfe – les Émirats arabes unis et Bahreïn –, tous unis par leur hostilité commune envers Téhéran, et de l’autre, un Iran qui, à défaut d’avoir la main face à Washington et à l’État hébreu, peut tout de même se targuer d’avoir considérablement étendu son réseau de milices à travers la région, à commencer par l’Irak et la Syrie, et d’avoir largement développé son programme de missiles balistiques. C’est ce dernier point qui inquiète aujourd’hui de plus en plus les Occidentaux, y compris les Européens, pourtant très critiques à l’égard de la politique menée par la Maison-Blanche vis-à-vis de l’Iran ces dernières années. Berlin, qui préside actuellement l’Union européenne, a estimé hier par la voix du ministre allemand des Affaires étrangères Heiko Maas, au cours d’un entretien à l’hebdomadaire Der Spiegel, qu’un simple retour à l’accord de Vienne ne suffirait plus et qu’il fallait, entre autres, l’élargir aux programmes balistiques de Téhéran. « Beaucoup de choses ont changé depuis 2015. Le plus important étant que les missiles sont devenus beaucoup plus précis. Auparavant, Téhéran devait lancer plusieurs missiles pour toucher sa cible. Maintenant, un ou deux suffisent », explique à L’Orient-Le Jour Riad Kahwaji, directeur de l’Institut d’analyse militaire pour le Proche-Orient et le Golfe (Inegma) basé à Dubaï. De quoi inquiéter plus que tout l’ennemi juré israélien.

« Aujourd’hui, une milice comme le Hezbollah, qui n’a aucune force aérienne, a la capacité de viser précisément sa cible partout en Israël », abonde Fabian Hinz.

En plus de la précision, Téhéran peut s’enorgueillir d’avoir décuplé la portée de son arsenal, comme en témoigne la mise sur orbite en avril dernier d’un satellite militaire. « Cela signifie qu’ils ont des véhicules de lancement satellites, des fusées à plusieurs étages. Avec un peu de travail, ils peuvent être convertis en missiles balistiques de longue portée », indique M. Kahwaji.

Les missiles prioritaires ?

Le programme balistique iranien est devenu au cours de ces dernières années l’une des pierres angulaires de la politique régionale de Téhéran, au point qu’il l’a même transmis en partie aux milices qui lui sont affiliées dans son environnement proche, au Liban, en Syrie, au Yémen ou encore en Irak. Les houthis au Yémen en ont déjà fait usage contre les forces émiraties. « Concernant le Hezbollah, il faut distinguer plusieurs aspects : d’une part, la livraison de missiles de précision à partir de l’Iran – ce qu’Israël semble avoir réussi à contrecarrer par des frappes aériennes –, et l’aspect plus compliqué, celui de la conversion par le Hezbollah de roquettes et missiles de précision », analyse M. Hinz à propos du Liban.

Dès la fin des années 90, Téhéran a commencé à équiper son arsenal d’un système de guidage, quoique encore rudimentaire. Une dizaine d’années plus tard, le pays s’est rapproché de la précision. « C’était la priorité numéro un du programme de développement de missiles : non seulement développer un guidage de précision avec de nouveaux systèmes, mais aussi rénover tous les anciens », commente M. Hinz.

Les peurs que charrie le programme balistique iranien pourraient presque faire oublier qu’en face, les atouts militaires sont nombreux, galvanisés de surcroît par les accords de normalisation entre Israël, Abou Dhabi et Manama, avec l’espoir pour ces derniers de se procurer des technologies militaires dernier cri auprès de la première puissance régionale ainsi que ces avions de combat F-35 qu’ils convoitent tant.

Pour Téhéran, la question des missiles semble aujourd’hui relever d’une infranchissable limite qu’il sera difficile de faire bouger, bien que des voix réformistes s’élèvent pour que la problématique de la négociation soit posée, à plus forte raison dans un pays exsangue, que la pression maximale imposée par Donald Trump durant trois longues années a activement contribué à ruiner économiquement.

« Pour le moment, c’est une ligne rouge. L’Iran considère qu’il s’agit là de ses capacités militaires et qu’il ne peut faire de compromis à ce sujet, car pour lui, il s’agit d’une pente glissante qui aboutirait au même résultat qu’en Libye ou en Irak. Ces deux pays ont eu à composer avec des limitations balistiques qui ont précédé des interventions pour un changement de régime », estime Fabian Hinz. « Le programme nucléaire est plus contrôlé par le gouvernement élu que le balistique. Ce dernier tombe davantage sous la coupe des gardiens de la révolution et l’ayatollah Khamenei lui-même supervise certaines parties du projet. Le gouvernement n’a pas vraiment de marge de manœuvre pour négocier », conclut-il.

La reprise des négociations sur la base de l’accord de Vienne entre Washington et Téhéran pourrait ne pas avoir lieu. Et pour cause, le futur locataire de la Maison-Blanche, Joe Biden, sait qu’il va devoir s’attaquer à l’épineuse question du programme balistique iranien. Il n’a d’ailleurs pas manqué de le faire savoir de manière explicite au cours d’une interview accordée au...

commentaires (3)

Le problème des occidentaux et des américains c’est qu’ils mettent du temps à comprendre les enjeux politiques et militaires des actions menées à long terme par ces dirigeants expansionnistes et ne voient que la proximité territoriales ou pas des problèmes dans différentes parties du monde se croyant à l’abri. jusqu’à ce que les choses se précisent et dépassent les frontières établies pour les toucher directement. C’est à dire un peu tard où les événements nécessiteraient des grands moyens pour arriver à les stopper avec des conséquences qui vont avec.

Sissi zayyat

16 h 26, le 05 décembre 2020

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Commentaires (3)

  • Le problème des occidentaux et des américains c’est qu’ils mettent du temps à comprendre les enjeux politiques et militaires des actions menées à long terme par ces dirigeants expansionnistes et ne voient que la proximité territoriales ou pas des problèmes dans différentes parties du monde se croyant à l’abri. jusqu’à ce que les choses se précisent et dépassent les frontières établies pour les toucher directement. C’est à dire un peu tard où les événements nécessiteraient des grands moyens pour arriver à les stopper avec des conséquences qui vont avec.

    Sissi zayyat

    16 h 26, le 05 décembre 2020

  • LE RETOUR A L,ACCORD NUCLEAIRE DE VIENNE AVEC L,IRAN SANS LE BALISTIQUE ET L,INTERVENTIONNISME EST DEJA REJETE PAR BIDEN ET LES EUROPEENS. LES AYATOLLAHS DOIVENT SE DECULOTTER BIEN DAVANTAGE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 10, le 05 décembre 2020

  • « Aujourd’hui, une milice comme le Hezbollah, qui n’a aucune force aérienne, a la capacité de viser précisément sa cible partout en Israël », abonde Fabian Hinz. Les drones par centaines constituent une force aérienne.

    Zovighian Michel

    07 h 41, le 05 décembre 2020

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