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Nos Lecteurs ont la Parole

Les moyens de lutte contre la corruption et la place du secret bancaire

Au lendemain de la commémoration annuelle du soulèvement populaire qui a surgi au Liban le 17 octobre 2019 contre la corruption et la gouvernance de la classe politique libanaise, menant le pays à la faillite, les propositions de lois visant, d’un côté, à l’adoption de la loi pour la levée de l’immunité et celle de la saisie des fonds dissimulés, et, d’un autre côté, à l’amendement de la loi sur le secret bancaire de 1956 continuent d’être au premier plan du débat public.

La série de propositions de lois en question trouve son point de départ au printemps de l’année 2019, en commençant par la proposition de loi revêtue du caractère d’urgence présentée par le député Jamil Sayyed le 4 mars dernier et celle, le lendemain, revêtue du caractère de double urgence déposée par dix députés du Courant patriotique libre (CPL), et celle des anciens députés Paula Yacoubian et Sami Gemayel en avril 2019.

Depuis, elles ont été placées en mode « veille » dans les tiroirs des commissions parlementaires. Mais à chaque soulèvement, en corrélation avec les contestations populaires et en guise de signe d’apaisement en phase avec les réclamations populaires et les démarches des instances politiques internationales, les députés reprenaient leur travail. Mais quelle efficacité ont-ils, ces moyens affichés de lutte contre la corruption ? Et dans quelle mesure le secret bancaire constitue-t-il un obstacle juridique pour une lutte efficace à cet égard ?

Si la motivation, du moins déclarée, des propositions de lois est de combattre le fléau de la corruption, elle s’avère malheureusement n’être qu’une nouvelle action démagogique. Il serait utile dans ce cadre d’examiner les composantes du dispositif législatif libanais actuellement en place et notamment :

1. la loi sur l’enrichissement illicite qui fait partie du dispositif législatif libanais depuis le décret-loi n° 38 du 18 février 1953, et qui a été renforcée par la loi n° 154 du 27 novembre 1999 abrogeant et remplaçant le DL 28/1953 permettant théoriquement au pouvoir judiciaire d’initier des poursuites pour les cas de corruption suspecte, et de rendre inopposable le secret bancaire, de saisir les fonds et biens fruits de cet enrichissement, et ce depuis 1953 ;

2. la loi n° 33 votée le 16 octobre 2008 visant à l’adoption par le Liban de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la corruption, du 31 octobre 2003, définissant tous les actes de corruption, y compris l’enrichissement injustifié des agents et personnes publics, constituant une déclaration souveraine de se soumettre à ces injonctions, et notamment à la présomption de responsabilité des suspects ;

3. et dernièrement, l’article 57 de la loi du budget de 2019 (loi n° 144 du 31/7/2019) incriminant l’acte de l’évasion fiscale dans sa version la plus élargie.

Il apparaît ainsi très clairement que ledit dispositif législatif ne manque pas d’outils nécessaires afin de lutter contre la corruption. Quant au secret bancaire, et depuis son adoption en 1956, il n’a jamais été un obstacle à des poursuites judiciaires contre un agent ou une personne publics pour enrichissement illicite suivant la loi déjà en place depuis 1953.

Actuellement, et selon les lois en vigueur, une poursuite pourra être amorcée dès à présent sans passer par les engrenages des actes de légifération, d’adoption et de promulgation jusqu’à la formation des tribunaux spéciaux en vue et la nomination de ses membres.

Les nouvelles propositions de lois ne sont pas une nécessité imminente pour combattre le fléau de la corruption qui ronge notre économie nationale et nos services publics, devenus limités aux besoins des intérêts privés des chefs de chaque partie politique. Et l’enthousiasme des députés à proposer de nouvelles propositions de lois n’est que l’expression d’une nouvelle manipulation en guise d’apaisement ponctuel et temporaire face aux masses populaires qui se soulèvent contre leur clientélisme ;

cet enthousiasme pourrait refléter aussi une ignorance de la teneur des lois de la nation dont ils sont les représentants, et dans les deux cas, il constitue un acte condamnable.

Au fait, la loi de 1999 sur l’enrichissement illicite permet au procureur de la République d’initier des poursuites sans même une plainte personnelle. Et l’article 12 de ladite loi contourne toute impossibilité matérielle de preuve, en renversant la charge de la preuve au suspect, par la présomption d’enrichissement illicite en cas d’acquisition personnelle, ou par personne interposée, de biens ou en ayant des apparences d’enrichissement que les moyens et revenus habituels normaux ne peuvent justifier. Et à ce sujet, les exemples ne sont pas rares : les voyages des fonctionnaires publics et même de certains juges postés sur Facebook, ainsi que les biens et voitures luxueuses sont autant d’exemples de présomptions d’enrichissement illicite, nonobstant tout secret, même le secret bancaire.

Il importe de signaler que le secret bancaire n’est pas le point de départ de la régularisation des failles du système juridique de lutte contre les défauts de responsabilité, mais bien sa dernière étape. Si l’acte incriminé n’a pas été pénalisé ou poursuivi ni au point de concertation ni durant sa matérialisation, et non plus lors de la collecte des fonds qui en découlent, la faille est bien plus répandue pour viser le seul acte de dissimulation dans des comptes bancaires.

Ce qui manque pour la lutte contre la corruption n’est pas une nouvelle loi, et non pas l’amendement du secret bancaire, mais l’exercice par le pouvoir judiciaire de son autorité d’une façon indépendante pour entreprendre des poursuites pour enrichissement illicite. Troisième pilier des pouvoirs constitutionnels du Liban, agissant au nom du peuple libanais et pour la protection de ses intérêts, le pouvoir judiciaire est invité plus que jamais à employer son autorité en la matière avec indépendance et auto-immunité en s’appuyant sur les pouvoirs qui lui sont reconnus par la Constitution, mais aussi sur la légitimité du soutien populaire qui réclame son action tant attendue afin d’appliquer les lois en vigueur et lancer une vague de responsabilisation. La preuve de la carence de l’action est malheureusement bien établie par le fait que depuis 1953, aucune poursuite n’a été initiée par le pouvoir judiciaire sur fond d’enrichissement illicite. Pourtant, le dispositif légal est bien présent et suffisant, et l’inopposabilité du secret bancaire pour une telle poursuite est bien établie. En outre, depuis 1953, malgré l’obligation légale de déclaration de fortune imposée par la loi sur l’enrichissement illicite de 1953, complétée par la loi du 14 avril 1954 pour les agents publics, toutes les déclarations déposées auprès de la Banque du Liban par les fonctionnaires et agents publics depuis 69 ans ont été gardées scellées à cause « de l’absence d’organe chargé de les examiner » !

Cela prouve que la faille n’est pas dans les textes, mais dans l’intention de poursuite et de lutte contre la corruption. Tout le reste, et les propositions de lois en question, que ce soit la création d’un tribunal spécial pour les crimes financiers – dont les membres sont nommés par la même classe politique –, ou les lois sur le secret bancaire, ou même la saisie des fonds, tout cela peut attendre !

Le peuple mise uniquement sur les juges – dont nombre d’entre eux sont intègres et indépendants – pour rectifier la donne actuelle et corriger un système de responsabilisation tant attendu.

Me Jalal EL-MIR

Avocat à la Cour

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Au lendemain de la commémoration annuelle du soulèvement populaire qui a surgi au Liban le 17 octobre 2019 contre la corruption et la gouvernance de la classe politique libanaise, menant le pays à la faillite, les propositions de lois visant, d’un côté, à l’adoption de la loi pour la levée de l’immunité et celle de la saisie des fonds dissimulés, et, d’un autre côté, à...

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