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Idées - Point de vue

Les forces de sécurité doivent rendre des comptes sur les violences du 8 août

Les forces de sécurité doivent rendre des comptes sur les violences du 8 août

Photo d’illustration : Des manifestants blessés pris en charge par la Croix-Rouge, à Beyrouth, le 8 août 2020. João Sousa

Le 8 août dernier, les forces de sécurité libanaises – dont les forces armées libanaises (FAL), les forces de sécurité intérieure (FSI) et la police du Parlement – ont tiré à balles réelles – en plus de billes de plomb et de projectiles cinétiques tels que des balles en caoutchouc – sur des manifestants pacifiques dans le centre-ville de Beyrouth. Plus de 700 personnes qui s’y étaient rendues pour demander des comptes sur l’explosion dévastatrice du 4 août ont été blessées. Toutefois, l’ensemble les institutions sécuritaires interrogées par Human Rights sur ces méfaits, lors d’échanges de courriers ou de réunions, en ont rejeté toute responsabilité, soit en niant les faits soit en se renvoyant la balle.

Si cet effort récent de communication des agences de sécurité avec les groupes de défense des droits humains est louable, les preuves que nous avons rassemblées contredisent leurs propos.

Tirs à balles réelles

Les trois institutions interrogées ont d’abord nié avoir utilisé les billes de plomb qui ont provoqué de nombreuses blessures graves – dont certaines potentiellement létales. Dans une lettre adressée à HRW le 3 novembre, le commandant en chef de l’armée libanaise, le général Joseph Aoun, a déclaré que l’armée interdit l’usage de balles à plomb dans tous les rassemblements – violents ou non – et que les unités chargées de faire régner l’ordre ne sont pas équipées d’armes de ce genre. Dans une lettre datée du 14 septembre, le commandant général Imad Othman, commandant en chef des FSI, a fourni la même réponse et incriminé la force de sécurité du Parlement. Les forces de sécurité du Parlement (qui comprennent la police du Parlement, une unité de l’armée et une unité des FSI) a néanmoins prétendu, dans une lettre du 21 septembre, que ces allégations étaient « totalement fausses ». Lors d’une réunion le 19 octobre, le commandant de la police du Parlement, le brigadier général Adnan Sheikh Ali, attribue pour sa part ces blessures à l’action de contestataires qui auraient improvisé des engins explosifs remplis de projectiles métalliques et de clous, dont certains ont explosé parmi les manifestants. Or toutes les preuves médicales examinées par HRW confirment la présence de billes de plomb qui, à l’inverse d’autres fragments métalliques, provoquent des blessures rondes et uniformes, selon leur taille et leur vitesse de projection.

De plus, nous nous sommes rendus sur le lieu de la manifestation et y avons trouvé des cartouches de type « Nobel Sport 12 ». Ces cartouches contiennent des billes de plomb sphériques – généralement surnommées « birdshot » ou « buckshot » – souvent utilisées pour la chasse. Or si aucun élément tangible ne suggère que les protestaires étaient armés de fusils à pompe, nombre de photos, vidéos et témoignages indiquent que des forces de sécurité en civil, présentes dans l’enceinte du Parlement, pointaient des fusils à pompe sur les manifestants. Nous ne pouvons confirmer l’identité de ces hommes, mais les FSI les ont identifiés comme des « employés civils de la police du Parlement. » L’armée libanaise et les FSI ont tous deux démenti avoir utilisé des munitions réelles contre les protestataires. Quant au brigadier général Sheikh Ali, il a admis que certains de ses membres avaient eu recours à des munitions réelles, tout en assurant qu’ils avaient tiré en l’air ou au sol mais pas contre les manifestants.

Là encore, les preuves rassemblées racontent une tout autre histoire. Nous nous sommes par exemple penchés sur un incident impliquant deux soldats en uniforme de camouflage avec les insignes du régiment aéroporté de l’armée libanaise, au cours duquel ils ont tiré au moins 8 balles réelles de leur fusil d’assaut M4, soit au-dessus de leurs têtes, soit au sol devant eux. Nous avons également vérifié un incident pendant lequel des forces de sécurité présentes à l’intérieur de l’enceinte du Parlement tiraient à balles réelles et au niveau de la tête, ratant de peu un manifestant. Nous avons également interrogé et examiné le dossier médical d’un manifestant qui avait été touché par des tirs à la cuisse gauche, à proximité du Parlement.

Il ne fait certes aucun doute que les protestations récurrentes dans le pays ont posé un défi aux forces de sécurité, qui ont la double responsabilité de protéger le droit de manifester tout en assurant le maintien de l’ordre. Et même s’il est vrai que des groupuscules ont pu les attaquer avec des pierres, des feux d’artifice et même des cocktails Molotov, l’usage de la violence par certains manifestants ne saurait en aucun cas justifier l’usage excessif, et parfois non provoqué, de la violence par les forces de sécurité. Violence dont j’ai par ailleurs été personnellement témoin et victime ce jour-là.

Responsabilité

Alors que l’incapacité manifeste des autorités libanaises à faire face à l’aggravation continue de la crise économique et à l’impasse politique qui en découle risque de susciter encore plus de manifestations dans les mois à venir, les forces de sécurité doivent prouver qu’elles protègent les droits des citoyens plutôt que les intérêts d’une élite politique corrompue. Dès lors, comment peuvent-elles trouver un meilleur équilibre entre le respect des droits et le maintien de l’ordre ?

D’abord, leurs effectifs doivent pouvoir bénéficier d’un temps de repos adéquat. Depuis le début des manifestations, elles ont vu leur heures de service rallonger, sans compensation financière ni jours de congé suffisants. De telles conditions de travail augmentent les risques de dérives ou de réactions disproportionnées vis-à-vis des manifestants.

Ensuite, leurs membres doivent être mieux équipés : nous avons vu de nombreux soldats déployés avec uniquement des fusils et sans les équipements de protection adéquats (gilets pare-balles, boucliers et casques antiémeute) qui peuvent contribuer à assurer que les forces de sécurité ne fassent pas usage de leurs armes contre la population.

Enfin et surtout, car cet ingrédient-clé fait défaut jusqu’à présent, leur responsabilité doit pouvoir être engagée. Les agents de l’ordre qui font un usage excessif de la force devraient faire l’objet de mesures disciplinaires ainsi que de poursuites pénales. Cette responsabilité doit remonter toute la chaîne de commandement, jusqu’aux officiers supérieurs qui ont donné de tels ordres, ou n’ont pas pris les mesures nécessaires pour éviter ces actes ou punir leurs subordonnés. Et les résultats de ces actions doivent être rendus publics.

Les FSI, les FAL et la police du Parlement ont refusé de fournir toute information sur les enquêtes sur les violences du 8 août que nous avons documentées et, a fortiori, sur les éventuelles incriminations qui en auraient résulté. Les FSI ont déclaré ne pas avoir ouvert d’enquête parce que leurs membres « n’ont pas fait un usage excessif ou illégal de la force ». Les FAL ont elles souligné que « toutes les erreurs, si elles ont lieu, sont l’œuvre d’individus et font l’objet d’enquêtes auprès des autorités compétentes », avant d’ajouter qu’il « n’y a actuellement aucune tendance à publier les enquêtes ou les procédures disciplinaires ». Le commandant de la police du Parlement a, lui, affirmé qu’il gérait les erreurs quand elles sont commises, et précisé que la justice militaire est compétente dans ce type de dossiers, sans autres explications. Lors de nos réunions, tous nos interlocuteurs ont insisté sur le fait que la publicité des procédures nuirait au « moral » et au « prestige » des forces de sécurité.

Ces réponses sont inappropriées. Esquiver ses responsabilités au lieu de les assumer ne fait qu’attiser les tensions, alors qu’admettre les erreurs commises et adopter les mesures pour rectifier le tir contribuerait grandement à restaurer la confiance dans l’appareil sécuritaire et apaiser les tensions.

À l’heure où l’ordre politique et économique au Liban semble se disloquer, les institutions sécuritaires ont l’opportunité de proposer un modèle différent, basé sur l’État de droit, la responsabilité et la transparence, pour exécuter leur mission. Cela est absolument essentiel dans un pays qui souffre d’un déficit chronique en matière de redevabilité.

Par Aya MAJZOUB

Chercheuse en charge des dossiers libanais à Human Rights Watch.

Le 8 août dernier, les forces de sécurité libanaises – dont les forces armées libanaises (FAL), les forces de sécurité intérieure (FSI) et la police du Parlement – ont tiré à balles réelles – en plus de billes de plomb et de projectiles cinétiques tels que des balles en caoutchouc – sur des manifestants pacifiques dans le centre-ville de Beyrouth. Plus de 700 personnes qui...

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En France les manifestations des gilets jaunes ont été 1000 fois plus violentes pourtant pas une seule arme à feu n’a été dégainée et certainement aucun coup de feu n’a été tiré. Au Liban, certains éléments de l’armée, des FSI et de la milice du parlement ont tiré à balles réelles en principe sans le consentement de leur hiérarchie, alors pourquoi les défendre au lieu d’enquêter et de punir les dérives individuelles. Tout simplement parce que ces individus sont protégés par...devinez qui?

Lecteur excédé par la censure

07 h 52, le 14 novembre 2020

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Commentaires (1)

  • En France les manifestations des gilets jaunes ont été 1000 fois plus violentes pourtant pas une seule arme à feu n’a été dégainée et certainement aucun coup de feu n’a été tiré. Au Liban, certains éléments de l’armée, des FSI et de la milice du parlement ont tiré à balles réelles en principe sans le consentement de leur hiérarchie, alors pourquoi les défendre au lieu d’enquêter et de punir les dérives individuelles. Tout simplement parce que ces individus sont protégés par...devinez qui?

    Lecteur excédé par la censure

    07 h 52, le 14 novembre 2020

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