Le plus frappant – et le plus désolant – chez la majorité des joueurs politiques qui occupent le terrain au Liban depuis quelques années est leur manque apparent de culture et leur manque évident d’éducation. Voilà des années, depuis le départ de l’un des derniers ténors que fut Ghassan Tuéni, que le Liban est privé de visionnaires et surtout de communicateurs convaincants. Ils nous manquent, ces mots de l’intelligence qui étaient autant d’invitations au partage des idées. Que l’on y adhère ou que l’on s’y oppose, ils enrichissaient l’opinion contraire, stimulaient la réflexion et plaçaient haut, pour le rival, la barre de la réplique. Et l’on ne peut s’empêcher de penser que le niveau de décadence et de déliquescence que nous avons atteint aujourd’hui, jamais égalé même au plus fort de la guerre, n’est que le reflet et le résultat de l’ignorance qui règne dans les plus hautes sphères de la république, ainsi que du populisme creux et vulgaire qui en caractérise le style. Il ne s’agit pas ici d’une apologie de l’élitisme, mais on conviendra que la gouvernance, telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui sous nos cieux, accuse une désespérante absence de tenue et de dignité. Cet abus de procédés destinés à soulever les foules serviles, ces discours faciles où l’on ne s’adresse qu’à son propre public – et qui crèvent les autres –, ces paroles qui contrefont la force et ne sont qu’arbitraire et mépris, tout cela n’est que le fruit de la dérive communautariste, elle-même prétexte au pillage de l’État, chacun prétendant remporter un butin au nom des siens et finissant par le garder pour sa poche. Ils sont toxiques, leurs mots. Au lieu de responsabiliser, au lieu de fédérer, ils s’acharnent à ne réveiller que la bête en chacun, avec ses peurs et ses griffes. Il ne reste aux enfants qui les regardent et parfois les écoutent qu’à en prendre de la graine. Ainsi se nivellent les peuples vers le bas.
En voyant, en commémoration de l’Armistice, la vibrante cérémonie avec laquelle la France a porté au Panthéon les cendres de Maurice Genevoix, on ne peut que déplorer l’incapacité des nôtres à inventer le moindre événement national. Et c’est peut-être le mot « national » qui les blesse, d’ailleurs. Cette notion semble si floue, si inutile dans leur lexique qu’ils n’arrivent ni à agir en fonction de ce qu’elle dicte ni à convaincre de sa souveraineté. Car on le sait, toute intention nationale impose une abnégation qui leur est étrangère et un renoncement aux bénéfices personnels qui leur est inconcevable. Cette attitude cause dans la carte du monde une brûlure, une absence vive qui s’appellerait Liban, et cette absence est inconcevable.
Face à ce pouvoir avachi, médiocre, incompétent et dysfonctionnel, sans doute noyé dans la graisse de ses abus divers, une lueur d’espoir nous parvient des élections universitaires où l’on voit déjà les étudiants bouder les partis traditionnels. Certes, nous sommes pris au piège de tiraillements régionaux et d’ambitions mesquines, mais rien ne nous empêche de nous tenir vent debout, armés de nos convictions, et de nous détourner de l’horizon étroit qu’on nous impose. Malgré la qualité de vie qui dégringole, malgré l’anémie des institutions qui en étaient les fleurons, malgré la douleur indicible qui tient ses habitants depuis la double explosion du 4 août, il y a encore de la grandeur dans ce petit pays, il y a de la fierté, du génie, de la culture, du raffinement dans les gestes les plus modestes, il y a de la générosité et de la magnanimité. Avec ou sans révolution, cet élan prodigieux attend son grand soir. Il finira par advenir.
commentaires (5)
"leur manque apparent de culture et leur manque évident d’éducation."... Très bonne observation et la preuve c'est que le général ancien chef de l'armée n'a pas réalisé le danger qu'occasionaient 2750 tonnes de nitrate d'ammonium de qualité militaire...et du haut de la pyramide on dégringole, vers le néant, sur des ramassis de politiciens encore plus ignares et dangereux par leurs égoïsme ..
Wlek Sanferlou
15 h 29, le 13 novembre 2020