Dans les rangs du Courant patriotique libre, c’est l’omerta qui prévaut. Personne, ni au sein du parti ni parmi ceux qui l’ont quitté, ne souhaite s’épancher sur les conséquences des sanctions américaines annoncées vendredi dernier contre Gebran Bassil. Et pour cause : c’est un véritable coup de massue qui vient de frapper le leader de la plus grande formation chrétienne du Liban, mis à l’index par la première puissance mondiale. L’homme fort du sexennat peut-il maintenir son leadership sur le parti dans de telles conditions ?
Pour l’instant, l’heure est à la discrétion et à la décence, affirme-t-on dans la galaxie aouniste. Pas question de tirer sur une ambulance. Pas question non plus de défier le chef, qui a lancé dimanche une véritable chasse aux « traîtres » au sein de son parti. Lors de sa conférence de presse, M. Bassil a donné le ton et menacé de rayer des rangs de sa formation ceux qui seraient tentés de profiter de la situation. Il a ainsi mis en garde contre les tentatives ourdies pour retourner certains de ses membres contre lui et promis de porter plainte contre celui qu’il accuse de délation pour le compte de l’administration américaine. Il s’agirait vraisemblablement d’un membre du parti qui a fini par le lâcher, n’étant plus d’accord avec sa politique générale ni avec sa façon de faire.
Affaibli d’abord sur le plan national, lâché par un certain nombre de ses partenaires politiques et conspué par la rue, le leader du CPL doit également se méfier d’une éventuelle fronde qui pourrait éclater au sein de sa propre demeure. Désormais, il doit s’atteler en priorité à éteindre l’incendie et faire en sorte de mater les potentiels dissidents.
« L’heure est aux condoléances »
L’histoire n’est pas nouvelle. Contesté au sein de son propre bloc parlementaire – qui comptait 29 députés à l’issue des élections législatives de 2018 –, Gebran Bassil a dû faire face à plusieurs défections et à de nombreux schismes qui ont achevé d’éroder les assises du CPL au cours de ces dernières années. Quatre députés de son bloc ont rendu successivement le tablier. Lâché à tour de rôle d’abord par le deuxième gendre du président, Chamel Roukoz, ancien membre du bloc dont la relation avec M. Bassil avait été pendant longtemps en dents de scie – concurrence oblige. Le chef du CPL n’a pas réussi non plus à retenir trois autres membres de son groupe, Nehmat Frem, Michel Daher et Michel Moawad. Ces derniers ont claqué la porte à tour de rôle : le premier pour rejoindre la révolte du 17 octobre, les deux autres après la double explosion du port le 4 août dernier. Ce drame humain « a été la goutte qui a fait déborder le vase », pour reprendre les termes utilisés par un proche des milieux aounistes. Autant de personnalités indépendantes irritées par l’orientation politique que prenait le CPL sous la direction de Gebran Bassil, en particulier son alliance avec le Hezbollah.
Depuis son divorce du bloc, Chamel Roukoz ne se gêne pas de critiquer le chef du CPL, égratignant au passage le locataire de Baabda, son propre beau-père, Michel Aoun. La bataille des gendres relève avant tout de la compétition politique : le chef de l’État a depuis longtemps choisi de miser sur Gebran Bassil qu’il a désigné comme son héritier politique. Au grand dam d’une partie des aounistes qui voient en Chamel Roukoz un leader beaucoup plus en continuité avec les fondements du parti, alors même qu’il n’en a jamais été membre. L’heure de la revanche a-t-elle alors sonné ? Alors que son adversaire est dans les cordes, M. Roukoz préfère se murer dans le silence. « La situation est extrêmement délicate. C’est une question de principes », se contente-t-il de dire à L’Orient-Le Jour. Mais la trêve ne devrait pas durer. « L’heure est aux condoléances. Ceux qui gravitent autour de Gebran Bassil font montre d’empathie et de solidarité, y compris ceux qui ne sont plus proches de lui. Mais une fois cette phase révolue, il va se retrouver seul face aux difficultés monstres qu’il aura à affronter à l’intérieur de son parti comme à l’extérieur », commente un ancien membre du CPL. Les sanctions imposées par l’administration américaine ont touché deux cordes sensibles chez le leader chrétien. Il est en même temps accusé de tremper dans des affaires de corruption – des charges lourdes à porter pour celui qui a brandi des années durant le flambeau des réformes et du changement –, mais aussi de soutenir le terrorisme du fait de son alliance avec le Hezbollah. L’entente de Mar Mikhaël conclue avec le parti chiite en 2006 n’a jamais fait l’unanimité au sein du courant aouniste. La grogne contre ce partenariat que beaucoup considèrent comme contre nature s’est amplifiée depuis la révolte d’octobre, surtout avec l’aggravation de la crise économique qu’une partie de la base aouniste fait assumer à cette alliance. Les critiques sont d’autant plus fortes que Washington resserre l’étau sur le Hezbollah et ses alliés.
« Une véritable insurrection au sein du parti »
La couverture chrétienne que le CPL assurait au Hezbollah ne plaît pas à certains partisans aounistes qui considèrent cette politique suicidaire dans le contexte actuel. « Plusieurs d’entre eux ont vu d’un mauvais œil la façon dont leur chef a défié la grande puissance américaine sur un dossier considéré comme une priorité par l’administration US, dont l’agenda principal est la confrontation avec l’Iran et ses affidés », commente un ancien membre influent du parti.
M. Bassil est également contesté à l’intérieur même du CPL pour sa politique complaisante à l’égard du régime syrien de Bachar el-Assad et pour avoir continué d’entretenir, même discrètement, des relations avec un pouvoir dont nombre de partisans du CPL avaient dans le temps subi les foudres. Parmi ceux-là, on compte des cadres comme Alain Aoun, Simon Abi Ramia, Ibrahim Kanaan ou Michel de Chadarévian qui ont fini par former un clan à part du fait de leurs affinités politiques et leur contestation, toujours discrète et étouffée, de la ligne politique du patron du CPL.
« Le CPL d’aujourd’hui n’a plus rien à voir, sur les plans moral et idéologique, avec le legs de ses fondateurs. Les choix opérés par Gebran Bassil, auxquels plusieurs membres n’ont pas adhéré, ont eu l’effet d’une véritable insurrection au sein du parti », commente Ziad Sayegh, expert en politiques publiques.
Pour certains observateurs, le divorce latent pourrait provenir non seulement des divergences politiques, mais aussi du fait de la personnalité même du leader du CPL à qui l’on reproche une certaine arrogance qui a souvent coûté cher à ceux qui se trouvaient en première ligne pour le défendre et rectifier ses maladresses. « On ne peut pas faire attendre le secrétaire d’État américain, Mike Pompeo, cinq minutes sur une chaise devant la porte de son bureau juste pour faire du populisme. On ne traite pas avec la plus grande puissance du monde de cette manière. Pour qui il se prend ? » s’offusque un analyste en allusion à cet incident significatif lors de la visite du diplomate américain à Beyrouth en mars 2019, à l’époque où M. Bassil était encore ministre des Affaires étrangères.
Le chef du CPL se voit aussi reprocher un mode de pouvoir autoritaire. Lors des élections internes en 2015 pour le leadership du parti, le neveu du président, le député Alain Aoun, avait voulu se présenter. Sa campagne électorale avait été avortée par un seul coup de fil de la part de Michel Aoun. Une intervention qui a créé un précédent puisqu’en 2019, Gebran Bassil est de nouveau élu d’office faute de concurrent. « C’est un one-man-show qui ne laisse personne d’autre percer », commente l’analyste.
« Aucune personnalité d’envergure n’a émergé »
Avec les nouvelles sanctions américaines, le chef du CPL risque néanmoins de perdre un appui majeur et une source importante de financement qui provient d’une vingtaine d’hommes d’affaires de la diaspora qui gravitent autour du courant. « Dorénavant, ces derniers voudront garder profil bas par crainte de voir leurs propres intérêts compromis et de devenir à leur tour la cible de sanctions », commente un ancien aouniste.
Même si certains continuent de croire en sa capacité de rebondir et à pouvoir maintenir la cohésion au sein de son courant, nombreux sont ceux qui estiment que l’avenir politique de Gebran Bassil est sérieusement compromis. Le parti va-t-il plonger avec son leader ? « Les sanctions visent un individu en particulier et ne sont pas destinées à punir et encore moins à détruire le Courant patriotique libre », a dit hier l’ambassadrice des États-Unis au Liban, Dorothy Shea. Serait-ce suffisant pour encourager les potentiels dissidents à rompre avec leur chef, qui a fait le choix de la fuite en avant ? « Tant que le président Aoun est vivant, le CPL devrait continuer à végéter. Le problème se posera de manière accrue une fois que le fondateur va disparaître. À ce jour, aucune personnalité de la stature de Bassil n’a encore émergé pour reprendre le gouvernail », conclut un ancien aouniste.
Dites, il ne vous vient pas à l'esprit qu'on aimerait bien se débarrasser de Bassil, de son CPL ainsi que tous les autres partis qui ne travaillent pas pour l’intérêt du Liban et des libanais , quelle que soit leur religion? Merci de les passer à la trappe et d'arrêter d'en faire la priorité de l'Histoire.
21 h 25, le 10 novembre 2020