Un tabou est brisé. Un responsable libanais se rendra aujourd’hui en Syrie, à titre officiel, pour la première fois depuis le début de la guerre en mars 2011. Le président de la République, Michel Aoun, et le Premier ministre sortant, Hassane Diab, auraient pu charger un ambassadeur de représenter le Liban à la conférence prévue aujourd’hui à Damas, à l’initiative de la Russie, sur la question des réfugiés syriens. Ils ont choisi d’envoyer le ministre sortant du Tourisme et des Affaires sociales, Ramzi Moucharrafiyé.
Le Liban prendra part à la conférence aux côtés de plusieurs pays entretenant des relations avec Damas, notamment l’Iran, la Chine, les Émirats arabes unis et la Russie. De son côté, l’Union européenne compte boycotter la réunion pour des raison politiques, alors que l’ONU y participera en tant qu’observateur, comme l’a indiqué le porte-parole de l’organisation Stéphane Dujarric à notre correspondante à New York, Sylviane Zehil. Pour Moscou, il s’agit d’affirmer que le conflit syrien est terminé, que Bachar el-Assad en est sorti victorieux et que les réfugiés syriens peuvent désormais rentrer dans leur pays. Le Liban, qui compte 1,5 million de réfugiés, avait répondu favorablement à l’initiative russe, présentée en juillet 2018.
Mais bien au-delà du dossier des réfugiés, la décision de l’exécutif libanais revêt un caractère politique, dans un pays radicalement divisé au sujet de la crise syrienne entre les pro et les anti-Assad. Par le passé, des ministres proches du Hezbollah et de ses alliés, tels que Hussein Hajj Hassan (Hezbollah) et Saleh Gharib (gravitant dans l’orbite de Talal Arslane, chef du Parti démocratique libanais et connu pour ses bons rapports avec le régime Assad), s’étaient rendus en Syrie, provoquant l’ire de ceux qui y voyaient une flagrante violation de la politique de distanciation du Liban par rapport aux conflits régionaux, respectée, en principe, par le gouvernement libanais. Les responsables libanais, notamment dans le camp de Saad Hariri, alors Premier ministre, avaient réagi à cette entorse en expliquant que les ministres se rendaient en Syrie à titre strictement personnel.
« La communication avec Damas »
Après s’être plusieurs fois montrés favorables à une « coordination avec le régime syrien » autour de la question des réfugiés, MM. Aoun et Diab sont passés à l’acte, mettant tous les protagonistes devant le fait accompli. Même les parties ouvertement hostiles à une normalisation des rapports libano-syriens ne se sont pas opposées à la démarche, puisqu’elle ne concerne que la question des réfugiés. Le chef de l’État, tout comme son ex-ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil, défendent le principe d’un dialogue avec le régime syrien, seul moyen à leurs yeux de clore le dossier des réfugiés une bonne fois pour toutes, sans attendre de solution politique au conflit. « Nous participerons à la conférence de Damas parce que nous voulons résoudre le problème », déclare à L’OLJ Charbel Wehbé, ministre sortant des Affaires étrangères. « La communication avec le régime syrien demeure le seul moyen de mettre un terme à ce fléau », ajoute celui qui prononcera une allocution lors de la séance inaugurale de la réunion.
Pour les deux pôles de l’exécutif, les réfugiés syriens constituent un fardeau qui pèse très lourd sur un pays plombé par une profonde crise économique et sociale inédite. Le Liban reçoit toutefois des aides importantes de la communauté internationale pour subvenir aux besoins des réfugiés. Mais la crise économique qui frappe le pays, d’autant plus après l’explosion du 4 août, rend la question encore plus délicate.
En dépit de leurs divergences, les acteurs locaux s’accordent aujourd’hui sur la nécessité d’accélérer le retour des réfugiés. Le gouvernement Hassane Diab avait approuvé un plan allant dans ce sens le 14 juillet 2020. Le ministre sortant des Affaires sociales devrait profiter de la réunion pour exposer les grandes lignes de ce plan. Selon Assem Abi Ali, coordinateur du programme gouvernemental de réponse à la crise syrienne, le plan en question est principalement axé sur la coordination « nécessaire » avec le régime syrien. « Il appelle aussi à ce que Damas offre à ses ressortissants désirant rentrer chez eux des garanties, mais aussi des exonérations fiscales et d’autres mesures de nature à les inciter au retour, sachant que parmi les 1,5 million de Syriens présents aux Liban, seuls quelques milliers ont pris part aux opérations de retour organisées récemment par le Haut-Commissariat des réfugiés et la Sûreté générale », déclare M. Abi Ali, estimant que toutes ces questions seront débattues lors de la réunion.
Si les réfugiés syriens au Liban sont si peu enclins à prendre le chemin du retour, c’est à la fois pour des questions économiques, alors que la Syrie vit une situation de crise aiguë, et pour des raisons sécuritaires, notamment pour ceux qui étaient opposés au régime syrien. Les plus jeunes redoutent également d’être enrôlés de force dans l’armée, alors que le service militaire est obligatoire. « C’est le régime syrien lui-même qui a mis en échec l’initiative russe parce qu’il ne souhaite pas que les réfugiés reviennent », affirme à L’Orient-Le Jour Ziad el-Sayegh, expert en politiques publiques. Le plan officiel libanais ne semble pas faire l’unanimité auprès des experts. Ainsi, Ziad el-Sayegh n’hésite pas à qualifier la participation du Liban à la conférence de « plaisanterie », dans la mesure où le projet Moucharrafiyé devrait être révisé pour répondre aux divers fléaux actuels, notamment le coronavirus et la crise économique qui bat son plein en Syrie. En attendant une telle démarche, l’expert estime que Moscou n’a voulu organiser cette conférence que pour revivifier son initiative mise en échec par son protégé et s’affirmer comme le maillon essentiel de tout règlement de la crise syrienne. « Mais rien n’est à attendre avant que Moscou ne facilite le retour des réfugiés au Qalamoun, région calme en Syrie depuis un bon moment. »
commentaires (2)
Le Liban ne doit plus accepter d'être l'objet des tergiversations de la part de certaines puissances occidentales qui ne veulent même pas percevoir le poids économique et social intenable de ce gigantesque pourcentage de réfugiés par rapport à la population autochtones de notre pays ruiné ... le Liban n'a que faire d'attendre un changement de régime en Syrie comme ils disent ! Le Liban doit exiger le rapatriement immédiat et inconditionnel de toute cette masse de chômeurs misérable vers son pays d'origine où les autorités ont vaillament pu restaurer la fin des combats . Il n'y a plus aucune raison à les avoir encore pendant des années entre nos jambes .ÇÀ SUFFIT !
Chucri Abboud
11 h 38, le 12 novembre 2020