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Torpillages en série

Ne serait-il pas temps que les ténors de notre classe politique prennent un peu de recul et se livrent à un petit exercice d’introspection ? N’est-il pas opportun, à la lumière de l’initiative française et des sanctions américaines qui ont visé dans une première étape Gebran Bassil, qu’ils tentent de déterminer les causes profondes de l’état de déliquescence avancée auquel est parvenu le pays ? Une telle réflexion ne risquerait d’ailleurs pas de trop traîner en longueur, tant les causes de la crise ne sont pas très difficiles à cerner.

Pour aller droit au but, une lapalissade mériterait bien d’être mise en relief afin de raviver notre lucidité… Lorsque le président de la République française est amené à s’impliquer personnellement dans les affaires libanaises pour aider le Liban à s’engager sur la voie d’une sortie de crise (sachant que cela servirait sans doute, dans le même temps, les intérêts stratégiques de la France, ce qui est totalement légitime) ; lorsque l’administration américaine en vient à intervenir avec force afin de stigmatiser la corruption et le trafic d’influence au niveau de certains responsables officiels (quelle que soit la motivation de Washington à cet égard) ; lorsque l’État n’est plus en mesure d’honorer la dette publique et se retrouve en cessation de paiement en raison de l’affairisme et du clientélisme sans bornes d’une partie de la classe politique… tout cela (et bien d’autres facteurs, tout aussi graves) reflète une réalité effroyable : la marginalisation chronique et savamment orchestrée de l’État, accompagnée de l’absence totale de gouvernance.

Tous ceux qui au cours des dernières décennies détenaient les ficelles du pouvoir assument dans une large mesure la responsabilité de l’effondrement actuel. Mais un fait indéniable doit être soulevé aussi en toute transparence. Ceux qui dénoncent aujourd’hui « la classe politique corrompue » et qui se présentent comme la relève longtemps attendue donnent l’impression qu’ils se comportent comme les Iznogouds des temps modernes qui veulent être vizir à la place du vizir. La suspicion à leur égard tient au fait qu’ils occultent totalement dans leurs argumentation et programme politique le rôle des différentes mains étrangères, plus précisément régionales, qui au fil des années n’ont épargné aucun effort pour torpiller toute tentative de renforcement de l’État central.

Ce travail de sape systématique a débuté à la fin des années 60 et au début des années 70 lorsque l’OLP s’est imposée manu militari comme un État dans l’État, bafouant la souveraineté nationale et l’autorité du pouvoir en place. Idem pour le régime syrien qui s’est parallèlement mis lui aussi de la partie sur ce plan. L’on se souvient ainsi, à titre d’exemple, du bombardement aveugle de l’aéroport de Beyrouth et du palais de Baabda par les forces de Damas, au début de la guerre libanaise, parce que le président Élias Sarkis, nouvellement élu en 1976 à la première magistrature, avait eu l’audace – « l’effronterie », aux yeux de Hafez el-Assad – d’entreprendre une tournée dans les pays arabes sans passer au préalable par Damas pour consulter les dirigeants syriens.

Plus récemment, l’ancien ministre de l’Énergie Mohammad Abdel Hamid Beydoun rapportait dans une interview qu’en 2003 l’ancien Premier ministre Rafic Hariri avait annoncé son intention d’entamer la prospection de pétrole et de gaz par le biais d’entreprises étrangères, mais le régime syrien et ses alliés locaux, en l’occurrence le Hezbollah et Amal, ont coupé court au projet. Et pour cause : cela aurait trop renforcé, non seulement Rafic Hariri, mais surtout l’État central. L’on se souvient également comment le régime Assad et ses mêmes acolytes locaux, et pour la même cause, avaient bloqué systématiquement la concrétisation des aides convenues lors des conférences de Paris I et II.

Après le retrait des troupes de Damas du territoire libanais, en avril 2005, le pouvoir des mollahs iraniens, par l’intermédiaire de sa tête de pont au Liban, a pris la relève de ce rôle de saboteur de l’autorité d’un État central efficace et crédible. Cette stratégie iranienne déstabilisatrice s’est traduite par le torpillage de la révolution du Cèdre (soit une contre-révolution), avec la série d’assassinats politiques, la longue occupation du centre-ville de Beyrouth, la guerre de juillet 2006, l’attaque milicienne contre la capitale et la Montagne le 7 mai 2008, la cascade de crises et de blocages politiques, le travail de sape du secteur bancaire et des secteurs privés vitaux en général, sans compter les campagnes médiatiques continues (de véritables appels à la guerre) contre les pays du Golfe et les pays occidentaux, en sus évidemment de la mainmise sur les structures et services publics et l’entreposage de munitions et de matières explosives qui ont abouti à la tragédie du 4 août.

La liste de ces actions régionales maléfiques est longue. Elle a eu pour aboutissement le cataclysme actuel avec pour corollaire l’initiative française et les sanctions US. Ce sabotage régional, systématique et continu, s’est étendu sur plusieurs décennies. Il a été rendu possible, certes, par des complices locaux. Mais s’en prendre aujourd’hui uniquement à ces derniers sans neutraliser la source du mal revient à réitérer la démarche inqualifiable effectuée par Barack Obama en 2013 après l’utilisation de l’arme chimique par Bachar el-Assad : il avait alors « puni » l’arme du crime en laissant libre dans la nature le criminel, lui accordant ainsi de facto un blanc-seing dévastateur.

Ne serait-il pas temps que les ténors de notre classe politique prennent un peu de recul et se livrent à un petit exercice d’introspection ? N’est-il pas opportun, à la lumière de l’initiative française et des sanctions américaines qui ont visé dans une première étape Gebran Bassil, qu’ils tentent de déterminer les causes profondes de l’état de déliquescence avancée auquel...

commentaires (7)

EXCELLENT !

LA LIBRE EXPRESSION

13 h 13, le 10 novembre 2020

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Commentaires (7)

  • EXCELLENT !

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 13, le 10 novembre 2020

  • Depuis des décennies nous subissons un mal incurable au Liban, celui du manque de patriotisme et l’encouragement des zaims qui se sont substitués aux pouvoirs publiques pour mieux diviser le peuple et régner en maître en soudoyant leurs partisans et les aveuglant pour perpétuer la menace de guerre civile qui s’était révélée très efficace en 1975. Ce n’est pas la taille du pays ni la situation géographique qui posent problème c’est plutôt la petitesse de nos politiciens qui se soumettent et rampent dés lors qu’on leur promette un fauteuil ou un ministère avec tout l’argent qu’ils génèrent qui les intéresse et jamais l’intérêt du pays. D’où leur surnom de vendus. Il n’y a pas d’autres termes pour les qualifier. Pauvre Liban et pauvres libanais.

    Sissi zayyat

    12 h 43, le 10 novembre 2020

  • Nous ne sommes pas passés d'une tutelle à une autre en 2005 mais nous sommes restés dans la même tutelle. L'Iran ne veut pas un Liban directement soumis à son régime, l'Iran veut un Liban toujours soumis au régime de Assad. Le régime Assad ne peut se maintenir tout seul, il a absolument besoin des ressources tant humaines (miliciennes) que économiques du Liban noyé qu'il est dans une mer intérieure sunnite hostile. C'est le maintient de Assad au pouvoir qui est le point cardinal de la politique étrangère du régime iranien non seulement depuis 2011 mais même depuis 1982 et le massacre de Hama. Le régime Assad est pour l'Iran le point d'appui principal pour instaurer son corridor chiite (et Axe de l'Imposture) allant de Téhéran à la méditerranée (voire à la Palestine) en passant par Baghdad. Avant 2005 le Liban était soumis au régime assadien par l'armée assadienne elle-même, après 2005 le Liban est resté soumis au même régime assadien non plus par l'armée assadienne mais par la milice imposteuse du Hezbollah pour le compte du régime iranien au travers de l'Axe de l'Imposture. Même dans les années 60-70 c'est le prédécesseur de Assad Salah Jedid et Assad lui-même qui ont influencé l'OLP qu'elle parasite l'état libanais au lieu de continuer la lutte directement en Palestine. On peut donc dire que la tutelle assadienne sur le Liban a commencé dès 1969 avec les accords du Caire et n'est toujours pas terminée.

    Citoyen libanais

    12 h 14, le 10 novembre 2020

  • Tres vrai . Les parties locales qui ont contribue a saper l’Etat sont connues , elles sont telecommandees par la syrie et l’Iran, deux pays voyous , en marge de la legalite internationale. Ces parties ne se sentent en rien Libanaises et elles se montrent fieres de leur soumission a de pays etrangers au point de le declamer en public et a la television, sans fausse honte ! Mais honte aux politiciens de haut niveau qui , au lieu de voler a la rescousse du pays, les ont couvert durant des annees pour des raisons bassement materielles et politiciennes. Ces politiciens ont contribue a modifier profondement , et peut-etre irreversiblement, les fondements de notre cher pays. Les sanctions ? a mon humble avis bien meritees. Esperons qu’elles auront des suites et pourront changer les choses ! Malheureusement c’est le seul espoir qui reste

    Goraieb Nada

    09 h 46, le 10 novembre 2020

  • > a rappeler que la crasse politique libanaise leur a extrêmement facilite la tache. Continuera a bien faire tant qu'elle toujours au pouvoir.

    Gaby SIOUFI

    09 h 37, le 10 novembre 2020

  • Excellent comme toujours.

    Brunet Odile

    09 h 21, le 10 novembre 2020

  • Excellent rappel de faits, pour ceux - trop nombreux - qui ont la mémoire courte.

    Yves Prevost

    06 h 44, le 10 novembre 2020

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