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L’Amérique « normale » de retour

Cent quarante-cinq millions : c’est à peu près le nombre de votants à l’élection présidentielle américaine. Le vainqueur, Joe Biden, en a recueilli 74,5 millions, et le candidat battu, Donald Trump, 70,3 millions. Que nous disent ces chiffres d’emblée ?

Que la participation à ce scrutin, dont le volume est de l’ordre des deux tiers de l’électorat, a été la plus élevée depuis plus d’un siècle dans un pays hanté depuis des décennies par la peur de voir sa démocratie s’étioler à mesure que les électeurs boudaient en masse les urnes ; que le score obtenu par le démocrate est un record absolu et que ce record est aussitôt suivi d’un autre, porté par le résultat du républicain : le président sortant est en effet le battu le plus cher de l’histoire des élections aux États-Unis.

Si l’on ajoute à ces premiers constats qu’à l’issue des autres scrutins qui se déroulaient en même temps que la présidentielle, les équilibres politiques demeurent à peu près les mêmes dans les deux Chambres du Congrès, on est amené à faire preuve d’humilité et de prudence, loin des conclusions hâtives.

La politique de Donald Trump a-t-elle été rejetée par les électeurs américains ? Dans la même logique, peut-on dire que ces derniers ont accordé leur préférence au programme de gouvernement de M. Biden sur celui du président sortant ? Les constats qui précèdent poussent à répondre par la négative aux deux questions. Tout comme les premières paroles prononcées par le vainqueur, privilégiant l’unité et le rassemblement par rapport à toute autre considération. L’aile gauche du parti démocrate aurait tort de croire que ce scrutin, du simple fait qu’il a revêtu une dimension historique, lui ouvre un boulevard. Il ne faut pas oublier qu’en dépit de ses origines plutôt modestes, dans un État de cette fameuse « Ceinture de la rouille », comme on a appelé l’ancien pays industriel du Nord-Est, le catholique Joe Biden est essentiellement un centriste qui a dû guerroyer durant des mois contre son rival nettement plus à gauche, Bernie Sanders, pour obtenir l’investiture de son parti à la présidentielle.

Si les Américains n’ont pas rejeté en masse la politique de Donald Trump, notamment en matière économique, c’est donc sa personne qu’ils ont cherché vraisemblablement à sanctionner. Au vu du score remporté par l’intéressé, une telle affirmation paraît tout de même hardie, dans la mesure où la détestation que voue une bonne moitié des électeurs à cet homme est manifestement contrebalancée, à quelque chose près, par l’adulation que lui porte l’autre moitié. Les chiffres le montrent.

Ce qui est clair, c’est que malgré lui, M. Trump a été en quelque sorte un bon promoteur de la démocratie américaine, puisqu’il a tant contribué, par son côté clivant, ses sorties brutales, son imprévisibilité anxiogène, tout son style de pouvoir, à fortement mobiliser les électeurs pour ou contre lui. Au final, si les seconds ont été un peu plus nombreux que les premiers, c’est peut-être parce que l’Amérique avait besoin d’un retour à une normalité qu’elle avait perdue un jour de novembre 2016. Et Joseph Biden, dit Joe, le vieil ex-sénateur de premier plan et ex-vice-président des États-Unis, incarne précisément cette normalité…

À l’extérieur, aussi, la plupart des alliés de Washington, mais aussi des adversaires, avaient ce même besoin de retour à une certaine normalité, à l’exception notable de quelques acteurs du Moyen-Orient trop attachés à la virulence de la démarche anti-iranienne de Donald Trump. Fondamentalement, il n’est pourtant pas dit que le président Biden sera plus coulant que son prédécesseur à l’égard de Téhéran et de ses supplétifs dans la région, y compris au Liban.

Ce qui est certain, en revanche, c’est qu’au-delà de la question iranienne et de la volonté de moralisation de la diplomatie qui n’est pas sans rappeler les débuts de Jimmy Carter à la Maison-Blanche, en 1976, l’administration Biden ne devrait guère remettre en question les choix stratégiques majeurs opérés par Barack Obama il y a une bonne dizaine d’années et poursuivis par Donald Trump, à savoir essentiellement le désengagement américain de la région, un désengagement qui n’est d’ailleurs pas étranger à la réapparition de certains appétits d’empires en Méditerranée orientale.

Pour finir, un mot sur le pays du Cèdre où, après avoir attribué aux électeurs de Pennsylvanie, du Michigan ou de Géorgie un rôle dans la formation du gouvernement libanais, on se perd en conjectures sur l’impact des résultats de la présidentielle américaine. Deux choses doivent être dites à ce sujet : d’abord, de manière générale, l’Amérique se désintéresse du Liban, au même titre que la plupart des puissances de la planète – à l’exception de la France –, en grande partie parce que l’État libanais n’a rien fait toutes ces dernières années pour susciter l’intérêt ; ensuite, on sait que les quelques fonctionnaires et diplomates de l’administration américaine en charge du Liban sont divisés entre « modérés » (la ligne dite Hale) qui dissocient encore l’État libanais du Hezbollah, et « durs » qui, au contraire, voudraient en finir avec cette dissociation. Sachant que la tendance « modérée » a continué à prendre le dessus sur l’autre pendant quasiment toute la durée du mandat Trump, il n’y a pas de raison pour que cela change sous celui de Biden.

Du coup, si l’on inverse les données, Gebran Bassil a tort de vouloir suggérer que les sanctions décrétées à son encontre sont le fait d’une administration « dure » sur le départ et qu’il peut escompter plus de clémence de la part de la nouvelle.

Cent quarante-cinq millions : c’est à peu près le nombre de votants à l’élection présidentielle américaine. Le vainqueur, Joe Biden, en a recueilli 74,5 millions, et le candidat battu, Donald Trump, 70,3 millions. Que nous disent ces chiffres d’emblée ?Que la participation à ce scrutin, dont le volume est de l’ordre des deux tiers de l’électorat, a été la plus élevée...

commentaires (3)

Nous avons toujours misé sur des pays étrangers pour nous trouver une solution à nos maux internes et le résultant est loin d’être concluant. Tant qu’il y aura des vendus à la tête et au sein de l’état libanais il n’y aura pas de Liban qu’on se le dise. On ne peut pas être plus royaliste que le roi, et les états qui collaborent pour nous trouver une solution se verront privilégier l’intérêt de leur pays avant toute autre considération, et on ne peut pas le leur reprocher. La solution reste libano-libanaise et rien d’autre. Les Libanais devraient se défendre bec et ongle pour chasser les vendus pour qu’enfin on nous vienne à l’aide.

Sissi zayyat

12 h 27, le 09 novembre 2020

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Commentaires (3)

  • Nous avons toujours misé sur des pays étrangers pour nous trouver une solution à nos maux internes et le résultant est loin d’être concluant. Tant qu’il y aura des vendus à la tête et au sein de l’état libanais il n’y aura pas de Liban qu’on se le dise. On ne peut pas être plus royaliste que le roi, et les états qui collaborent pour nous trouver une solution se verront privilégier l’intérêt de leur pays avant toute autre considération, et on ne peut pas le leur reprocher. La solution reste libano-libanaise et rien d’autre. Les Libanais devraient se défendre bec et ongle pour chasser les vendus pour qu’enfin on nous vienne à l’aide.

    Sissi zayyat

    12 h 27, le 09 novembre 2020

  • j'espere seulement que J Biden ne poursuivra pas dans la meme strategie d'Obama qui a donne a l'Iran toute latitude a "controler" le P O commencant par le Liban finissant au Yemen. pour le reste Trump aura quand laisse sa trace indelebile pour longtemps, a part celle d'un Incontrolable, celle d'une politique economique du tonnerre.

    Gaby SIOUFI

    10 h 09, le 09 novembre 2020

  • ""Du coup, si l’on inverse les données, Gebran Bassil a tort de vouloir suggérer que les sanctions décrétées à son encontre sont le fait d’une administration « dure » sur le départ et qu’il peut escompter plus de clémence de la part de la nouvelle."" Il ne faut pas se leurrer, les priorités de Biden vont surtout pour la lutte contre la pandémie. C’est en grande partie le Covid (auquel il ne s’attendait pas) qui a "tué" le Donald, car qu’est ce qui a changé depuis 2016. Il est peut-être encore trop tôt pour lire le dernier scrutin, et le passionnant livre de Sylvie Laurent, Pauvre Petit Blanc que j’ai dévoré, analyse parfaitement bien des aspects. C’est le Covid, (à mon avis) qui pousse à l’apaisement, au calme provisoire en Syrie, et se contenter de l’étau des sanctions, et qui nous touche également. Quant au décideur au centre de l’échiquier politique libanais, que vous citez en conclusion, il est combientième dans l’empire, sinon, la millième roue du carrosse de l’empereur du monde. Il doit rester modeste et se contenter de son alliance avec le plus fort sur le plan "interne et intérieur".

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    09 h 41, le 09 novembre 2020

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