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Société - Patrimoine

La demeure des Wehbé à Amchit, un palais digne des Mille et Une Nuits

Cette vaste bâtisse, dont la construction a commencé au cours de la première moitié du XIXe siècle, est l’une des perles de ce beau village du caza de Jbeil.

La demeure des Wehbé à Amchit, un palais digne des Mille et Une Nuits

Le grand salon central entouré de portes avec au centre une grande toile à l’huile représentant Tannous Wehbé.

Comme des perles antiques et écarlates, tombées d’un collier et parsemées aux bords de la route, une série de palais et de grandes maisons ornent le vieux village de Amchit (caza de Jbeil). Érigées au cours des siècles passés, ces petites bâtisses bourgeoises et nobles rivalisent en hauteur avec des palmiers qui faisaient autrefois la réputation de la ville. L’une d’elles est la grande maison de Salim Beik Wehbé. La demeure des Wehbé séduit instantanément le visiteur avec ses créneaux sur le toit, aux allures de forteresse. Ces crénelages n’étaient pas toutefois destinés à la défense à la manière des châteaux forts du Moyen Âge, mais plutôt à la décoration. Ils représentent un signe de puissance de la famille propriétaire. Ces crénelages entourent un toit construit avec du gravier, le premier en son genre dans la région : à l’époque, la plupart des toits étaient soit en bois, soit en terre battue recouverte de paille. Un autre joli toit en brique surmonte la bâtisse.

Entourée de pins, la maison évoque le style libanais typique, où le rez-de-chaussée constitué de caves voûtées est un lieu de stockage des vivres et un abri pour le bétail, et l’étage supérieur est le lieu où la famille habite.

Une mosaïque en galets marque l’accès à l’escalier menant à l’étage supérieur, aujourd’hui inhabité. En une journée pluvieuse, le visiteur qui monte ces marches antiques doit bien tenir la rampe pour ne pas glisser.

En franchissant la grande porte d’entrée, on découvre à droite une porte menant au bureau du propriétaire, Salim Beik Wehbé. Après avoir traversé trois arcades, on arrive dans un grand hall central, utilisé comme salon et entouré par des portes grandioses menant vers les différentes pièces (dont une porte en trompe-l’œil qui ne donne accès à aucune pièce) : quatre chambres à coucher, dont une était réservée à l’hôte invité, un autre salon appelé « salon des miroirs », puis un « liwan » ou salle de séjour orientale avec une terrasse et une merveilleuse baie vitrée. Enfin, on découvre un espace service comprenant la salle à manger, la cuisine et une terrasse avec des arcades. L’étage supérieur a ainsi une division qui suit les normes architecturales des maisons libanaises de l’époque, c’est-à-dire un espace séjour au centre, entouré par les différentes pièces.

Une vue extérieure du palais des Wehbé.

Des tableaux ancestraux

À l’intérieur de cette demeure seigneuriale, on découvre l’une des maisons libanaises les plus somptueuses de son temps : tous les plafonds sont magnifiquement garnis en bois et en gypse. Ils sont couvertes de fresques peintes dont les thèmes de certaines sont tirés de la mythologie grecque, avec des dorures 24 carats. Les murs sont peints et habillés de boiseries. Des tableaux ancestraux à l’huile déclinent les visages des nobles qui sont à l’origine de cette belle demeure : Tannous Wehbé avec goumbaz et tarbouche, Salim Beik en tenue de chevalier de la Terre sainte (autoportrait) et des photographies de Maryam Lahoud, mère de Salim Beik, et de Sultana Francis, son épouse.

Nancy Wehbé-Dewez, doctorante en architecture et descendante du maître des lieux, nous livre des détails fascinants sur les secrets architecturaux de la maison. Elle précise que cette maison recèle un mélange de styles libanais et vénitien. « Les murs extérieurs étaient colorés en rouge brique et les corniches des fenêtres en bleu et rose, ce qui rappelle le style vénitien », indique-t-elle. Et de poursuivre : « Les peintures des murs et des plafonds ont été réalisées au XIXe siècle par un maître réputé, du nom de Khursheed, venu probablement de Grèce et qui a travaillé deux autres maisons à Amchit. Selon ce que racontaient les anciens de la famille, Khursheed avait intentionnellement laissé sur l’un des murs du “salon des miroirs” un carré vide non peint, l’air de dire : “Je défie toute personne de continuer le travail comme je l’ai fait.” C’était sa façon de signer son œuvre », ajoute-t-elle.

Le plafond du salon des miroirs : des ornements qui rendent cette maison unique. Photos Frédéric Zakhia

Le salon des miroirs, unique en Orient

« Le salon des miroirs » est situé à droite, en entrant dans le grand hall. Les quatre saisons sont représentées sur chacun des coins du plafond. Un lustre imposant en cristal de baccarat était suspendu au plafond (il a été ôté pour éviter toute chute). Fabriqué par une société européenne, il a la particularité d’être unique en Orient, puisqu’il est le seul exemplaire à avoir été acheté et livré dans tout l’Empire ottoman. On y allumait jadis des bougies. Deux immenses miroirs ornent les murs, placés l’un en face de l’autre, afin de mettre en valeur les lumières du lustre. Dans ce salon, on peut apprécier des meubles de l’époque, comme des tables de thé en bois incrusté d’ivoire, style Damas, et des photos de tous les « moutassarifs ».

L’opulence de cette maison n’était pas restreinte à l’architecture, mais marquait le quotidien vécu. C’est ainsi que le moine libanais père Ignatius al-Tannoury (devenu plus tard supérieur général de l’ordre libanais maronite), alors émissaire du patriarche Hoyek pour réconcilier les deux rivaux, Salim Beik Wehbé et Assaad Beik Lahoud, faisait état dans ses écrits « d’un banquet royal offert quotidiennement dans cette maison ».

Des arcades si typiques à l’entrée.

Salim Beik, généreux et avant-gardiste

Comme certaines maisons et certains monastères, cette grande maison a été construite en deux étapes. Une première bâtisse a été érigée dans la première moitié du XIXe siècle par Tannous Wehbé al-Kallab, un richissime notable de Amchit ayant fait fortune dans le commerce. Son fils unique, Salim Beik (1866-1925), a élargi la maison, la dotant d’une décoration somptueuse, afin qu’elle témoigne de son importante position sociale. Salim Beik est un homme cultivé, généreux, philanthrope et avant-gardiste, passionné de peinture et de chevaux. Il va laisser ses empreintes dans l’histoire du Liban, tant au niveau social, politique, artistique que journalistique : il fonde la première imprimerie à Jbeil et crée al-Hikma, un journal politique et social qui atteint un grand nombre de lecteurs, puis Saout el-Hak, une association socio-politique.

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Par ses vastes relations, le notable soutient la création du Grand Liban, collabore avec les intellectuels de son temps, dont Boulos Noujeim, Afifi Karam, et nomme l’écrivain libanais Maroun Abboud rédacteur en chef de son journal. Il crée une maison de repos pour les personnes âgées, qui a dû fermer ses portes avec le début de la Grande Guerre, et obtient du pape une distinction de chevalier de la custodie de Terre sainte. Salim Beik joue aussi le rôle de médiateur et de pacificateur pour régler certains différends au village.

Après une courte maladie, il décède à Amchit en 1925. Lors de ses funérailles, sa famille reçoit des condoléances des plus hautes autorités, dont celles du général Gouraud et du patriarche maronite. Aujourd’hui, sa postérité peut être fière de ses accomplissements. Il nous a laissé un chef-d’œuvre de luxe et de talent architectural, témoin des merveilles de la maçonnerie libanaise.

Comme des perles antiques et écarlates, tombées d’un collier et parsemées aux bords de la route, une série de palais et de grandes maisons ornent le vieux village de Amchit (caza de Jbeil). Érigées au cours des siècles passés, ces petites bâtisses bourgeoises et nobles rivalisent en hauteur avec des palmiers qui faisaient autrefois la réputation de la ville. L’une d’elles est la...

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