Avec les yeux du monde rivés sur les résultats du scrutin présidentiel aux États-Unis, les tractations politiques en vue de la formation d’un nouveau gouvernement ont marqué hier un temps d’arrêt qu’on pourrait appeler technique. Un temps d’arrêt que, selon une source informée, le général Abbas Ibrahim, directeur de la Sûreté générale, qui a été reçu mardi par Nabih Berry, a mis à profit pour continuer de réunir les conditions d’un nouveau déplacement de Saad Hariri à Baabda. Ce dernier pourrait ainsi se rendre probablement aujourd’hui au palais présidentiel.
Selon la source citée, c’est le chef de l’État qui a confié cette mission au directeur de la Sûreté en partant du principe que ce service de sécurité a une dimension politique et qu’une mission de cet ordre est bien dans les cordes d’un médiateur accepté de tous, en particulier du Premier ministre désigné. Et la source de révéler que le 29 octobre dernier, quand, sous la pression du soulèvement du 17 octobre, M. Hariri avait présenté sa démission, le général Ibrahim a été le seul homme qui savait à l’avance ce que M. Hariri allait faire au palais présidentiel.
De même source, on apprend qu’à l’origine de l’impasse où se trouve le processus de formation du gouvernement, il y a la promesse de Saad Hariri d’accorder à Walid Joumblatt deux portefeuilles ministériels qui iraient respectivement à Walid Ammar et Abbas Halabi, en échange d’un appui dont il avait un besoin urgent pour assurer à son gouvernement une couverture druze, sachant que Talal Arslane l’avait snobé à l’avance en ne le nommant pas.
Toutefois, M. Hariri s’est trouvé dans l’impossibilité de tenir cette promesse, à moins de former un gouvernement de 20 ministres qui comprendrait 4 ministres pour chacune des communautés maronite, sunnite et chiite, trois ministres orthodoxes, deux ministres à chacune des communautés druze et grecque-catholique, et enfin un ministre arménien. Le Premier ministre désigné a cependant buté sur la farouche opposition du chef de l’État et du Hezbollah pour lequel il n’était pas question d’accorder deux ministres au chef du PSP.
Ces derniers ont affirmé que les deux ministres druzes auraient ainsi monopolisé la représentation druze et pourront, s’ils le veulent, démissionner ensemble, privant le gouvernement de sa qualité consensuelle. Ils ont donc insisté pour que le second ministre druze soit un homme de Talal Arslane, ce dont ne veut pas entendre M. Hariri.
Certains ont qualifié ce conflit de « nœud druze ». Pour les observateurs, cependant, cette appellation est tout à fait fallacieuse, et le nœud en question est en fait un « nœud Bassil » sous un masque druze, le chef du CPL ayant inventé un groupe parlementaire de quatre députés, dont trois chrétiens, pour M. Arslane afin de donner l’impression qu’en face du leadership de M. Joumblatt, s’en dresse un autre tout aussi légitime. Sachant que M. Arslane n’a été élu député par le passé que grâce au siège vacant que lui laisse le chef du PSP sur la liste qu’il présente à Aley.
Ces données étant ce qu’elles sont, M Hariri se serait rabattu sur un gouvernement de 18 ministres, qui serait composé comme un gouvernement de 20, mais où les communautés druze et grecque-catholique seraient représentées chacune par un seul député. Toutefois, il se heurte, là aussi, à un veto du CPL et du Hezbollah qui ne veulent pas accorder à M. Joumblatt le monopole de la représentation druze « de peur qu’il n’en abuse ».
Certes, il ne s’agit pas là de la seule difficulté que rencontre le Premier ministre désigné, mais cet échantillon suffit à donner une idée claire des obstacles auxquels se heurte le projet de « gouvernement de mission » qu’il s’est engagé à gérer. C’est ainsi que M. Hariri, ayant concédé au Hezbollah le privilège de conserver, pour cette fois uniquement, le ministère des Finances, M. Bassil a estimé que le principe de la rotation des portefeuilles ayant été enfreint une fois, il avait le droit de réclamer qu’il soit enfreint une seconde fois, cette fois pour le CPL. Il a donc réclamé le portefeuille de l’Énergie que son courant détient depuis dix ans.
L’une des tâches à laquelle s’est attelé le général Ibrahim est celle de rechercher des noms de ministrables indépendants qui représenteraient deux courants à la fois, sachant aussi que dans le « gouvernement de mission » souhaité, la France chercherait à garder « sous son regard » les portefeuilles de l’Énergie et des Travaux publics (avec, en perspective, la construction de centrales électriques et la reconstruction du port), et que des portefeuilles comme celui des Télécoms sont convoités à la fois par le CPL et le courant du Futur.
Du pain sur le planche donc pour les prochains jours, sachant que les plus méfiants, comme le Hezbollah, ne sont pas sûrs que le gouvernement qui va voir le jour ne sera là que pour six mois, comme l’a assuré M. Hariri dans son entretien télévisé avec Marcel Ghanem, et prennent leurs précautions pour le cas où il resterait en place jusqu’à la prochaine présidentielle, dont la date coïncide aussi avec les prochaines élections municipales et législatives.
commentaires (6)
Mais qu'est ce que ce marchandage veut bien dire. Nous avons affaire a une bande de voyoux qui continue a s'arroger tous les privileges quand le peuple meurt. C'est carrement criminel. Il faut un gouvernement de technocrates integres et capables. Point.
RAYMOND SAIDAH
20 h 20, le 05 novembre 2020