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Nos Lecteurs ont la Parole

Autopsie de la révolution du 17 octobre

Ce n’est pas l’opposition à l’occupation du pays par le Hezbollah qui a provoqué la révolution du 17 octobre 2019, ni la conscience profonde d’un dysfonctionnement majeur du système politique qui régit le Liban, ni la prise de conscience des défaillances de l’institution judiciaire, de sa politisation jusqu’à la moelle, non… Ce qui avait poussé des milliers de Libanais dans la rue un 17 octobre, le levier qui avait provoqué ce raz-de-marée politico-social, était une taxe de plus et la menace de la faim… Ainsi, la révolution du 17 octobre nous aura amenés à mesurer avec effroi notre aptitude mortifère à cohabiter, et cela pendant des décennies, avec des dysfonctionnements politiques et sociaux majeurs. Le processus de remise en question et de libération mis en branle depuis le 14 mars 2005 fut sporadique et à maintes fois avorté. Aurait-il fallu mettre en danger notre capacité d’accession à notre besoin le plus primaire pour nous amener à mesurer l’ampleur de la noyade qui nous menaçait, pour susciter une ébauche de réflexion collective et une amorce d’action politique ?

Sur un autre volet, il serait naïf d’adhérer à l’hypothèse d’une spontanéité complète du mouvement du 17 octobre « fortuitement » identique à celui qui avait pris place en Irak, « fortuitement » et conjointement étouffé, pratiquement au même moment. De fait, la révolution n’a pas pu perdurer. Même si elle a effectué des percées, elle n’a pas réussi à instaurer un système politique alternatif en phase avec ses revendications. Elle n’était peut-être pas encore assez mûre pour cela. Spontanée, authentique pour beaucoup, injonction automatique à la rue pour d’autres, désactionnée par le doigt ou les mots d’un chef, actionnée par les besoins de récupération politique d’un autre, elle a révélé à plusieurs niveaux les failles au niveau de la maturité politique citoyenne, l’absence d’esprit critique et d’analyse des données. La dépendance infantile et avilissante au chef communautaire, la forclusion de la pensée et la radicalité intégrée auront tout dit du processus individuel et collectif de libération politique qui reste à entreprendre.

Par ailleurs, la révolution, qu’elle le veuille ou pas, portait en elle les mécanismes de fonctionnement politique libanais dont elle a hérité. Sur le terrain, les clivages droite et gauche ont aussitôt émergé, la question de la légitimité des armes du Hezbollah et l’absence de consensus autour de la définition d’un ennemi « Syrie et/ou Israël » ont témoigné des oppositions profondes qui divisent les pans de la société libanaise et les citoyens, lesquels ont de fait grandi avec des vécus, des souffrances et des réalités politiques appréhendés de manière différente. Autrement, le refus de se revendiquer d’un leadership est venu témoigner de la traumatique expérience qu’a pu représenter le poids des leaderships politiques traditionnels, tout-puissants, éternels, vieillissants, ne cédant la place ni au passage des générations ni à l’émergence de figures politiques nouvelles au sein de leurs partis. Parallèlement, les « thouwar » se sont constitués en une multitude de groupes, voire même de groupuscules fermés, se méfiant les uns des autres, jaloux et protecteurs chacun de ses « pensées » qu’il estime uniques et qui pourtant, jusque-là, ne se sont pas matérialisées en actions politiques concrètes et fécondes.

Ainsi, infestée des dysfonctionnements politiques portés en héritage – le pays n’ayant pas entrepris un travail de mémoire autorisant de vraies rencontres et permettant de transformer les vieux clivages –, la thaoura n’aurait été ainsi qu’une émergence en manque de planification. Dans l’un des groupes de parole que j’avais menés sous une des tentes du centre-ville, je l’avais appréhendée comme un processus d’adolescence à la recherche d’un encrage identitaire. Cette recherche fut cependant parasitée par les mécanismes de répression du pouvoir en place qui s’employa, à travers les institutions étatiques – dont l’armée, les services de renseignements et les forces de sécurité intérieure –, à torpiller perversement l’élan des manifestants : arrestations, violences, tirs à balles réelles…

Les femmes et les hommes du Liban libre n’ont pas pu s’accommoder, par ailleurs, aux actes criminels d’agression, à la mise à feu des tentes (volées et saccagées), à l’invasion terrifiante par centaines de jeunes criant « Chi’a, chi’a, chi’a » à bord de mobylettes, habillés de blouses noires. Ils n’ont pas pu comprendre l’action infiltrée des personnes prétendument des leurs, qui s’en prenaient à leurs voitures, boutiques et propriétés, et cela en toute impunité.

Ainsi, ravagée de l’intérieur et de l’extérieur, la thaoura a été sévèrement malmenée. Des milliers de jeunes désespérés accourent aujourd’hui aux portes des ambassades pour présenter des demandes d’immigration. Du fond de leur déception et de leur désillusion, ils sont en quête de vie, de sens. Aujourd’hui, les médias nous racontent de nouveau, à la une, les tractations qui ont lieu entre Bassil et Hariri pour la formation d’un gouvernement, ils nous inondent des opinions désuètes de Geagea, Joumblatt, Frangié, comme si la révolution du 17 octobre n’avait jamais eu lieu et que la colère du peuple n’avait jamais grondé « kellon yaané kellon » dans un ras le bol généralisé, comme si la révolution du 17 octobre n’avait pas entrainé la démission du gouvernement Hariri.

Pourtant, comme en a témoigné la commémoration de la thaoura du 17 octobre, la flamme de la révolution est toujours portée par les citoyens toutes régions confondues. Leurs revendications sont toujours les mêmes. Portant collectivement le deuil et la cause des victimes tuées par la négligence criminelle du pouvoir un 4 août 2020, plié au rythme de la douleur des blessés et des déplacés, sidéré par le poids du traumatisme, le peuple de la thaoura, chavirant et se relevant, brandit toujours la torche vivante du changement et de la libération.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Ce n’est pas l’opposition à l’occupation du pays par le Hezbollah qui a provoqué la révolution du 17 octobre 2019, ni la conscience profonde d’un dysfonctionnement majeur du système politique qui régit le Liban, ni la prise de conscience des défaillances de l’institution judiciaire, de sa politisation jusqu’à la moelle, non… Ce qui avait poussé des milliers de Libanais dans...

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