Dans les négociations en cours pour la formation du nouveau cabinet de Saad Hariri, certains ont été surpris par la position relativement accommodante du président de la République, Michel Aoun, bien qu’il ait accepté à contrecœur de charger le chef du courant du Futur de constituer le gouvernement.
Les deux hommes, qui se sont rencontrés quatre fois depuis samedi, refusent de communiquer sur la teneur de leurs entretiens visant à faciliter l’avènement du cabinet, même s’il est clair que la répartition des portefeuilles ministériels selon le principe de la rotation, à l’exception du ministère des Finances, semble acquise. Mais des sources qui suivent de près les tractations en coulisses indiquent que le chef de l’État a aujourd’hui une exigence de taille pour faciliter la formation du cabinet : le départ du gouverneur de la Banque centrale Riad Salamé. « Le président ne veut plus de Riad Salamé, et c’est l’une des conditions qu’il pose à Hariri pour accepter la formation du gouvernement », affirme une source au fait de ces entretiens. « Le président ne reviendra pas sur cette exigence, même si cela doit retarder la constitution du cabinet jusqu’à ce qu’il obtienne des garanties que son souhait sera exaucé », ajoute-t-elle.
Le président a fait de l’audit des comptes de la BDL son cheval de bataille. Il mise sur ce dossier, qui figure d’ailleurs en tête de liste des réformes urgentes que le Liban doit lancer pour espérer pouvoir compter sur une aide internationale, afin de pousser le gouverneur à la démission. Et cela bien que M. Aoun ait accepté la reconduction du mandat de M. Salamé par le passé en vertu d’un accord de compromis avec M. Hariri.
Sous le gouvernement sortant de Hassane Diab, Michel Aoun appelait quasi quotidiennement le ministre des Finances Ghazi Wazni pour lui demander où en était cet audit, selon des sources familières du dossier. Quant à M. Hariri, bien que Riad Salamé ait été l’un des fidèles de son père, il sait pertinemment que le gouverneur ne pourra plus demeurer à son poste et qu’il ne pourra plus longtemps encore le protéger. Il estime cependant, selon des sources proches de la Maison du Centre, qu’il faut assurer au gouverneur de la BDL « une porte de sortie honorable ».
Lors de leurs entretiens ces derniers jours au palais de Baabda, Michel Aoun a souligné en toute franchise à Saad Hariri qu’il était nécessaire de procéder à l’audit juricomptable (forensic audit) de façon sérieuse et transparente, selon les mêmes sources au fait des discussions. Et pour le soutenir dans sa position, le bloc du Liban fort a souligné mardi qu’il était nécessaire que l’audit juricomptable des comptes de la BDL soit entrepris « comme point de départ du processus de réforme et de lutte contre la corruption ». « En cas de manquement à cet égard, il faudra exposer les personnes négligentes et engager des poursuites à l’encontre de ceux qui boycottent le processus et ne fournissent pas à la société d’audit les informations nécessaires », ont affirmé les députés aounistes à l’issue de leur réunion hebdomadaire. Hier, la BDL a indiqué, dans un bref communiqué, avoir transmis au gouvernement tous les documents et informations requis par les cabinets d’audit KPMG, chargé du volet purement comptable de l’audit de la BDL, et Oliver Wyman, spécialiste des banques centrales, puisqu’ils ne vont pas à l’encontre des lois libanaises. Le communiqué omet cependant de mentionner Alvarez & Marsal, alors que cette société est chargée du volet le plus critique de cette opération, à savoir l’audit juricomptable. Il n’est pas clair, aujourd’hui, si la BDL aurait refusé de transmettre l’ensemble des documents demandés par Alvarez & Marsal en se réfugiant derrière la loi libanaise sur le secret bancaire ou juste une partie d’entre eux.
Ce qui conforte le chef de l’État dans sa position est un certain appui international, puisque le président français Emmanuel Macron a souligné la nécessité d’une réforme du secteur bancaire et d’un audit transparent. Le secrétaire d’État adjoint américain pour le Moyen-Orient, David Schenker, au cours de son récent passage à Beyrouth, ainsi que d’autres responsables américains ont également évoqué la nécessité d’un assainissement du secteur financier, ce qui pourrait signifier que M. Salamé ne jouit plus de l’appui des États-Unis qui avaient cependant fait le forcing pour le maintenir à son poste lorsque que le gouvernement Diab avait voulu le limoger.
Le ministère de l’Intérieur en priorité
Ceux qui connaissent le chef de l’État, relèvent des observateurs, savent que cette demande s’inscrit dans le cadre de son projet, depuis son accession à la présidence il y a quatre ans, de contrôler les principaux rouages de l’État pour consolider son mandat : la politique étrangère, la sécurité et l’armée, la justice et les institutions financières. Au cours des quatre dernières années, il a réussi peu à peu à consolider son contrôle sur plusieurs de ces leviers, à commencer par la politique étrangère qui a été tenue par le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, son gendre. Lequel a continué à en contrôler les principaux dossiers, même après son départ du ministère. Il a également pu asseoir son influence sur la justice en contrôlant le ministère de la Justice, en nommant des juges qui lui sont proches et en entravant les nominations judiciaires.
Pour ce qui est de la sécurité et de l’armée, le chef de l’État a repris sous son giron le poste du chef des services de sécurité de l’aéroport ainsi que la Sécurité de l’État. Il entretient également une bonne relation avec la Sûreté générale et son chef, le général Abbas Ibrahim. Tout comme il a une excellente relation avec l’armée, même s’il a eu certaines divergences avec son chef, le général Joseph Aoun, et le chef des renseignements, Tony Mansour, en raison d’interférences de Gebran Bassil, selon des sources sécuritaires.
Une seule institution sécuritaire échappe à son contrôle : les Forces de sécurité intérieure, tenue par un fidèle de M. Hariri, le général Imad Osman. Mais M. Aoun pourrait également étendre son influence sur cette institution puisque, selon le partage des ministères en discussion, le ministère de l’Intérieur reviendrait au camp du chef de l’État. Ce ministère-clé, qui était attribué jusqu’à présent au courant du Futur, est crucial pour contrôler non seulement les forces de sécurité, mais également les municipalités, ce qui pourrait aider le CPL, en perte de vitesse au niveau de sa popularité, à regagner du terrain. L’Intérieur est un ministère vital car celui qui le contrôle peut tenir administrativement le Liban.
Restent les institutions financières : comme le camp du chef de l’État ne peut prétendre au ministère des Finances, désormais dévolu au tandem chiite, c’est sur le gouverneur de la Banque centrale qu’il dirige par conséquent sa bataille.
J’espère que le président de la république va s’accrocher aussi bien à l’audit criminel du ministère des finances, du ministère de l Electricité, et celui du pétrole ..!
12 h 44, le 30 octobre 2020