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Nos Lecteurs ont la Parole

De Macron à de Gaulle, un même engagement pour le Liban

Les deux visites du président de la République française Emmanuel Macron au Liban et ses interventions représentent un témoignage d’affection envers cette société libanaise désemparée ainsi qu’un profond motif d’encouragement pour empoigner le destin.

Au-delà des évaluations des politiciens libanais, la démarche de M. Macron a manifestement visé à faire comprendre aux dirigeants l’intelligence stratégique de l’état des choses et la responsabilité de leurs actes dans un pays exsangue, du fait des rivalités politiques et des appartenances régionales complexes et également d’une corruption morale et matérielle fortement ancrée au point que, depuis longtemps, aucune action méthodique d’envergure n’a été entreprise et réussie pour assurer aux citoyens les bienfaits nécessaires à la vie professionnelle et à une existence digne.

Mais arrêtons-nous là et essayons de comprendre pourquoi ce Liban (qui ne possède ni pétrole, ni gaz, ni mines d’or, de cuivre, d’argent ou autres, ni de grands espaces agricoles à l’instar du Soudan ou de l’Amérique latine, ni d’une industrie avec des capacités importantes en matière d’économie d’échelle) inspire-t-il au président de la République française de lui témoigner l’affection de la France – particulièrement après la catastrophe du 4 août 2020.

Parce que ce Liban dans ses composantes humaines et communautaires, véritables familles spirituelles d’un pays que le président Macron a qualifié à la tribune des Nations unies de « trésor pour l’humanité tout entière parce qu’il est une forme d’exception de démocratie et de pluralisme… », constitue un témoignage face au défi politique, humain, économique, religieux et stratégique dans cette Méditerranée orientale et pour tous les pays. Parce que la chute du Liban pourrait constituer la chute de tout un modèle d’approche et de compréhension entre les peuples.

Et c’est pourquoi le témoignage de M. Macron est naturellement cruel envers les politiciens libanais sourds à la raison d’État et qui, n’ayant rien réussi au cours de tant d’années, ont beaucoup fait perdre à la société libanaise en capacités et en espérances.

L’intervention vigoureuse de M. Macron s’inscrit incontestablement dans une longue tradition politique et diplomatique de la France. Le XXe siècle a bien vu les présidents de Gaulle, Mitterrand et Chirac s’impliquer dans ce Liban qui est véritablement, à l’origine, une création institutionnelle française.

Mais plus encore, M. Macron est allé à la rencontre des citoyens meurtris, blessés, désemparés. Il leur a apporté le soutien et l’appui d’une nation qui ayant déjà tant fait pour le Liban au cours de son histoire – particulièrement durant les périodes désastreuses et je pense ici à la famine de la Grande Guerre – peut encore beaucoup faire pour le sauver.

En s’engageant ainsi pour le Liban, M. Macron a engagé le prestige de la France et sa popularité auprès du peuple français. Mais en le faisant, il s’est franchement inscrit dans la tradition multiséculaire de la France envers le Liban. Pour rejoindre cet engagement courageux, invoquons un personnage qui, inconnu en 1931, a témoigné pour le Liban en des termes qui, relus et considérés aujourd’hui, constituent tout simplement un véritable programme de gouvernement pour un sursaut national.

Le 3 juillet 1931, Charles de Gaulle, alors commandant en poste à Beyrouth dans l’armée française représentant le haut-commissaire de France au Liban et en Syrie Henri Ponsot, devait prononcer le discours d’usage lors de la distribution des prix à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth. Ce discours, loin de se limiter aux figures traditionnelles de style, résonne douloureusement dans l’histoire politique libanaise tant la réflexion historique présentée dans un style de haute tenue littéraire annonçait déjà l’homme qui devait, quelques années plus tard, empoigner le destin de la France.

Face donc à cette jeunesse libanaise venue recevoir ses diplômes, de Gaulle devait lancer un programme politique qui n’a rien perdu de son actualité. Face aux nombreux dangers qui menacent le Liban, il est utile de rappeler certains passages de ce discours prémonitoire.

« … Pour les grandes tâches collectives, ce n’est pas assez d’avoir de l’énergie et des aptitudes. Il y faut du dévouement. Il y faut la vertu de sacrifier au but commun quelque chose de ce qu’on est, de ce qu’on a, de ce qu’on ambitionne. Il y faut, non l’effacement, mais l’abnégation des personnes. Car la splendeur et la puissance d’un ensemble exigent que chaque partie s’absorbe dans l’harmonie du tout. Ainsi d’une armée, d’un jardin, d’un orchestre, d’un monument.

« Oui, le dévouement au bien commun, voilà ce qui est nécessaire, puisque le moment est venu de rebâtir. Et justement, pour vous, jeunesse libanaise, ce grand devoir prend un sens immédiat et impérieux, car c’est une patrie que vous avez à faire. Sur ce sol merveilleux et pétri d’histoire, appuyés au rempart de vos montagnes, liés par la mer aux activités de l’Occident, aidés par la sagesse et par la force de la France, il vous appartient de construire un État. Non point seulement d’en partager les fonctions, d’en exercer les attributs, mais bien de lui donner cette vie propre, cette force intérieure, sans lesquelles il n’y a que des institutions vides. Il vous faudra créer et nourrir un esprit public, c’est-à-dire la subordination volontaire de chacun à l’intérêt général, condition sine qua non de l’autorité des gouvernants, de la vraie justice dans les prétoires, de l’ordre dans les rues, de la conscience des fonctionnaires. Point d’État sans sacrifices : d’ailleurs c’est bien de sacrifices qu’est sorti celui du Liban. »

Relevons la vigueur et l’authenticité des mots d’une actualité brûlante : « Le dévouement à la chose publique… Créer et nourrir un esprit public… pour l’autorité des gouvernants, la vraie justice dans les prétoires, de l’ordre dans les rues, de la conscience des fonctionnaires. » Programme d’État pour un État qui, selon les cas, n’a pas voulu ou n’a pas pu se constituer en État. Certes, de 1925 à 1975, nombre de responsables tenteront d’établir des institutions, d’aider à leur fonctionnement. L’expérience du président Fouad Chéhab en est un exemple marquant, mais les battements de cœur des uns et des autres n’ont pas toujours joué au même diapason du dévouement à la res publica. Dès lors, des retards se sont accumulés alors qu’il fallait faire vite au moment même où se constituaient dans ce Proche-Orient des États de personnes où le dévouement à un individu supplantait le dévouement au service public.

Mais surtout les vues étroites, intéressées, une corruption morale plus dangereuse encore ou tout autant qu’une corruption matérielle ont, à la longue, pénalisé ou interdit toute action publique d’envergure, profonde et courageuse pour bâtir l’État et servir la société en la dotant des institutions administratives et sociales fiables et accompagnatrices des besoins réels de la société.

Et puis à partir de la moitié du XXe siècle, et plus particulièrement depuis les débuts du XXIe siècle, les États du Proche et du Moyen-Orient sont confrontés à la nouvelle Question d’Orient dont personne ne peut encore prévoir la conclusion avec des guerres et des violences mettant en cause leur constitution même après les conférences de Versailles et de San Remo : déstructuration de l’Irak et de la Syrie, guerre du Yémen, problème kurde, interventions directes des grandes puissances, émergence du rôle contesté de la Turquie et de l’Iran sur les bords de la Méditerranée, conflit entre l’islam sunnite et l’islam chiite, et surtout un intégrisme sans frontières capable d’exactions et de comportements que l’on croyait relégués au fond de l’histoire.

Le Liban de par sa situation géographique est directement exposé à être une terre de refuge et d’asile pour les déplacés des pays en pleine violence comme ce fut le cas des Palestiniens en 1948 et des Syriens à partir de 2011. Les situations politiques et militaires à partir de 1945 ont conduit le Liban à supporter le poids de la présence armée palestinienne. Celle-ci, récupérée ou manipulée par des politiques locales et régionales, a conduit à la guerre du Liban, mais les institutions constitutionnelles et administratives libanaises ont continué à fonctionner et l’accord de Taëf n’a fait que confirmer encore une fois l’équilibre multicommunautaire de la société libanaise et son fonctionnement acceptable.

Il reste que la question fondamentale est de savoir si avec cette nouvelle Question d’Orient, le modèle politique libanais est à même de résister et de s’adapter à la nouvelle configuration politique et sociale ? Quelles compétences devraient avoir les responsables pour que ce pays, composé de grandes minorités sunnite, chiite, druze et chrétienne de toutes confessions, puisse durablement transcender les conflits latents ou réels s’ils ne sont pas contenus par ceux qui sont en charge dans les limites de leur responsabilité historique et humaine ? Question actuellement sans réponse, mais extrêmement critique et à laquelle il y a lieu de tenter de répondre par cette configuration politique et humaine du Liban qui a, en dépit des crises et des dérapages, montré ses qualités par rapport aux pays de la Méditerranée.

Ce débat historique ouvert sur la scène mondiale, portant sur le Proche-Orient, constitue un motif supplémentaire pour tirer les conclusions de l’évolution historique et politique qui a conduit à l’émergence du Liban en 1920. La société atypique libanaise est dotée dans son évolution sociale et politique de la capacité de se trouver engagée dans la recherche d’une triple réponse à trois phénomènes très sensibles dans la société contemporaine, à savoir : (a) l’exercice politique dans une société multiminoritaire conduisant à une inadéquation du concept de majorité, (b) le rejet du despotisme et de l’intolérance par la consécration de la liberté individuelle, et (c) un dialogue sur la coexistence islamo-chrétienne, exemple unique dans tout le bassin méditerranéen, même quand la société est confrontée à des défis politiques et socio-économiques d’une extrême gravité.

Politique d’abord, disait Maurras. Certes ! Mais politique de dévouement à la chose publique, comme le rappellent l’engagement de M. Macron et le témoignage de de Gaulle, pour que les discours politiques conduisent à des solutions politiques, économiques, sociales et culturelles. Et pour que la lutte contre la corruption se traduise par l’émergence de serviteurs de l’État, garants de la restitution à ce pays des composantes nécessaires au redressement, avant qu’il ne soit véritablement trop tard.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Les deux visites du président de la République française Emmanuel Macron au Liban et ses interventions représentent un témoignage d’affection envers cette société libanaise désemparée ainsi qu’un profond motif d’encouragement pour empoigner le destin.Au-delà des évaluations des politiciens libanais, la démarche de M. Macron a manifestement visé à faire comprendre aux...

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