Dans tout combat, qu’il soit de nature politique ou militaire, l’une des principales clés de la réussite ou de la victoire réside dans le timing de la bataille. L’aboutissement d’un enjeu, quel qu’il soit, est tributaire de ce timing. Engager un bras de fer en faisant fi de la conjoncture du moment ou de l’équilibre des forces en présence débouche le plus souvent sur des résultats contre-productifs, voire contraires au but recherché.
Les responsables politiques au Liban – à l’instar d’ailleurs de ceux du monde arabe – constituent un cas d’école en la matière. Le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil prononçait il y a une semaine, à l’occasion de la commémoration de la débâcle du 13 octobre 1990, date de l’invasion par les troupes syriennes de la région de Baabda (notamment du palais présidentiel et du ministère de la Défense), un important discours dans lequel il exposait sa vision politique pour la prochaine étape.
L’allocution était axée sur une lecture critique du passé et sur l’exposé de propositions concrètes visant à réformer le système en place. Initiative louable, en théorie. Sauf qu’elle comporte dans son essence une déplorable maladresse et, plus grave encore, elle ouvre au plan politique la boîte de Pandore dans un contexte local et régional qui n’a jamais été aussi défavorable au projet souverainiste dont le courant aouniste se faisait jadis le porte-étendard il y bien longtemps, à la fin des années 80 et au début des années 90.
Sur le plan de la forme d’abord, le chef du CPL s’est élevé vivement contre ce qu’il a appelé la « Constitution pourrie »… Position très peu courtoise, pour le moins qu’on puisse dire, à l’égard de son mentor et néanmoins beau-père qui a prêté serment le jour de son élection à la magistrature suprême, s’engageant devant Dieu et le Parlement à sauvegarder cette même Loi fondamentale. Dire aujourd’hui que cette Constitution est « pourrie » et qu’elle n’est pas valable pour gérer la chose publique revient à insinuer que le président Michel Aoun a pris d’emblée un faux départ et que, d’entrée de jeu, son action a été tronquée et qu’elle l’est toujours. Il serait utile de rappeler à ce propos qu’en 1970, le général Fouad Chéhab avait annoncé, dans un célèbre communiqué, son refus de se porter candidat à la présidence de la République – pour un nouveau mandat –, précisément parce qu’il estimait que le système et la Constitution de l’époque ne lui permettaient pas de mener à bien les réformes qu’il jugeait nécessaires.
Mais au-delà de cette question de forme ou de principe, le chef du CPL se trompe gravement de timing en clouant au pilori de la sorte la Loi fondamentale et en prônant, dans le contexte actuel, des amendements constitutionnels. Les idées qu’il a avancées sont sans doute judicieuses sur le papier, mais mettre sur le tapis aujourd’hui une restructuration de la Loi fondamentale revient à jouer avec le feu et risque de saper dangereusement la raison d’être du Liban et les fondements de la spécificité du pays du Cèdre. Toute refonte du système politique ne peut se faire en effet que dans un climat serein, dans une conjoncture de paix civile durable, et à l’ombre d’un dialogue en profondeur engagé loin de la pression et de la menace des armes dont pourrait avoir recours l’une des parties prenantes à ce dialogue.
D’aucuns s’évertuent à occulter ce qui constitue une lapalissade : des réformes constitutionnelles et structurelles imposées sous la contrainte des armes, dans un contexte de déséquilibre interne notoire et alors que l’ensemble de la région est en pleine mutation, ne seront potentiellement qu’un projet de discorde future et de nouveaux conflits à plus ou moins brève échéance. Au stade actuel, l’objectif prioritaire devrait être, d’abord, de stopper l’effondrement et de reconstruire les quartiers dévastés de Beyrouth, ensuite de rechercher le moyen le plus efficace de mettre en application la résolution 1559 du Conseil de sécurité et de permettre à l’armée libanaise – si nécessaire avec le concours de la Finul – d’étendre les zones qu’elle contrôle sur le territoire national, à commencer par les frontières.
Les Libanais endurent depuis plus d’un demi-siècle des affres de la « guerre des autres » dans leur pays, pour reprendre l’expression de Ghassan Tuéni. Ils aspirent aujourd’hui à l’édification d’un État rassembleur et souverain digne de ce nom, capable de leur assurer une vie honorable et un minimum de prospérité. Mais au-delà des slogans populistes et soixante-huitards, l’expérience nous a montré que tous les efforts visant à réaliser cet objectif demeureront vains et stériles tant que le Hezbollah continuera à n’agir qu’en fonction de la stratégie dictée par les gardiens de la révolution islamique iranienne. État et mini-État ne peuvent coexister. Toute volonté de réformes et de redressement implique par conséquent de surmonter au préalable le lourd obstacle du fait accompli milicien que constitue le parti pro-iranien.
commentaires (9)
Avec cette déclaration la messe est dite: "Toute volonté de réformes et de redressement implique par conséquent de surmonter au préalable le lourd obstacle du fait accompli milicien que constitue le parti pro-iranien". Personne, mais personne ne pourra réaliser une seule réforme effective, ou changer quoi que ce soit, ou remettre l’état a flot tant que le parti Iranien continuera de porter des armes. Nous nous dirigeons vers des temps encore plus dur car le monde veut a tout prix exploiter les richesses de la région. Cela ne se fera qu'avec le désarmement du Hezbollah. J'ai comme l'impression que la décision a été prise. Le jour qu'il n'aura plus ses armes, il n'existera plus et çà le Hezbollah le sait.
Pierre Hadjigeorgiou
08 h 45, le 23 octobre 2020