
Le leader sunnite Saad Hariri reçu par le président du Parlement, Nabih Berry, lundi 12 octobre 2020, à Aïn el-Tiné. Photo ANI
C’est une véritable prouesse que tente de réaliser le chef du courant du Futur d’ici à jeudi prochain, date qui a été fixée par Baabda pour mener les consultations parlementaires contraignantes en vue de désigner officiellement un Premier ministre. Saad Hariri doit non seulement gagner la course contre la montre, il doit surtout tenter de convaincre les parties récalcitrantes – et elles sont nombreuses – de sa proposition qui ne diffère aucunement, dans la forme du moins, de celle défendue par celui qui l’avait précédé sur ce chemin ardu, Moustapha Adib, et qui a dû y renoncer.
Qu’est-ce qui a donc changé aujourd’hui qui puisse laisser croire à un changement d’attitude aussi bien chez le tandem chiite qui refusait que soient nommés les ministres chiites par une partie tierce, que chez les autres blocs parlementaires qui font valoir le principe de la réciprocité ?
Rien, diront nombre d’observateurs, à part peut-être un feu vert ou une sorte d’accord tacite international à un retour de M. Hariri. À cela il faudra également ajouter le démarrage, demain mercredi, des négociations pour la délimitation des frontières maritimes entre le Liban et Israël, une échéance qui augure d’un contexte régional et international plus propice à la naissance d’un gouvernement capable d’enclencher au plus tôt les réformes pour stopper l’effondrement en cours.
Autant de facteurs qui pourraient jouer en faveur de l’initiative de M. Hariri, sans que cela ne signifie que l’ancien Premier ministre bénéficiera systématiquement d’une carte blanche. Loin de là. C’est donc pour sonder la position respective des différentes parties sur les détails que le chef du courant du Futur a entamé hier une tournée, qu’il a inaugurée par une rencontre avec le président de la République, Michel Aoun. Une réunion que les milieux de Baabda ont qualifiée d’extrêmement positive, Michel Aoun ayant réitéré devant son interlocuteur son adhésion totale à l’initiative française dans son volet portant sur les réformes, la lutte contre la corruption et l’assainissement des Finances. Ce qui ne veut pas nécessairement dire que le président acceptera autre chose qu’un gouvernement qui puisse contenter toutes les parties politiques, précise une source proche du palais qui écarte l’hypothèse d’une équipe nommée par Saad Hariri seul, sans l’aval des blocs.
Or c’est là que réside tout le problème : si personne, y compris le tandem chiite, n'objecte au principe de la présence de spécialistes au sein du gouvernement, qui va les nommer ? Le Hezbollah et le mouvement Amal campent sur leur position et continuent de refuser que le Premier ministre, comprendre la composante sunnite du pays, puisse nommer la totalité des membres du cabinet. Le Hezbollah insiste d’ailleurs à livrer son interprétation de l’initiative française, à savoir qu’il n’est dit à aucun moment qui nomme les spécialistes. « Il y a une règle de base au cœur de notre système que personne ne peut changer pour en imposer d’autres. Nous n’accepterons pas que soient modifiés la Constitution et le pacte national », assure à L’Orient-Le Jour un responsable du Hezbollah, sachant toutefois que la Constitution ne dit pas que ce sont les communautés ou les partis politiques qui les représentent qui nomment les ministres.
Des spécialistes non partisans
Saad Hariri n’a cessé de le répéter et le dira deux fois sur le perron de Baabda : ce sera un gouvernement de spécialistes pour une période transitoire de six mois, juste le temps d’enclencher les réformes et de remettre le pays sur pied. « Les partis politiques n’en mourront pas », a-t-il lancé. Toutefois, M. Hariri, qui se prévaut de l’initiative française dans sa récente démarche, a évoqué « la formation d’un gouvernement de spécialistes n’appartenant pas aux partis politiques », ce qui pourrait être interprété comme une porte ouverte devant une éventuelle participation des blocs à la désignation de ces spécialistes.
Un cas de figure que des sources du courant du Futur n’écartent pas, en insistant toutefois sur l’importance de s’assurer, en amont, de l’efficacité du futur gouvernement. « Avant même de parler de qui va nommer quel ministre, Saad Hariri voudrait obtenir des garanties de la part des diverses formations politiques que le plan de réforme qu’il s’est engagé à mettre en œuvre ne connaîtra pas le même sort que celui des gouvernements précédents », commente pour L’OLJ un député du bloc haririen. « L’issue pourrait être effectivement que les parties politiques mettent la main à la pâte et soumettent une liste de noms parmi lesquels le Premier ministre pourra choisir. Mais l’important est de s’assurer de la productivité de cette équipe de travail et de l’absence des pratiques de blocage », affirme une autre source du Futur. L’enjeu ne serait donc plus la désignation des ministres, mais plutôt la réalisation des réformes, condition sine qua non pour que le Liban puisse prétendre à une aide quelconque pour faire redémarrer la machine.
M. Hariri se trouverait ainsi devant un cas de figure similaire à celui de Hassane Diab où les technocrates ou experts seraient désignés, d’une manière plus ou moins camouflée, par des politiques. Un scénario qui semble avoir reçu l’aval aussi bien de Paris, que de Washington et même Moscou, chacun pour une raison différente. Riyad ne serait pas contre non plus, l’accent étant mis sur la feuille de route à mettre en œuvre.
Le climat positif distillé en soirée à partir de Aïn el-Tiné, après la rencontre entre M. Hariri et Nabih Berry, est en tous les cas symptomatique d’un progrès. « M. Berry était clair dans son engagement à respecter les réformes prévues dans l’initiative française, et cela est rassurant », a déclaré le chef du courant du Futur après cet entretien.
Il reste donc à sonder l’opinion des autres blocs auprès desquels se rendra dès aujourd’hui une délégation formée de responsables haririens qui seront chargés de poursuivre les pourparlers. Au sein de la délégation figurent notamment Bahia Hariri, Samir Jisr, Hadi Hobeiche et Hazar Caracalla, conseillère économique de M. Hariri.
On connaît déjà la position du Courant patriotique libre qui martèle une constante, celle de son refus d’un gouvernement de spécialistes sélectionnés sans l’aval des partis sachant que celui qui va les diriger est lui-même une figure partisane et donc un politique par excellence. Sauf que, dira une source informée, le CPL dont le chef devrait s’exprimer ce soir lors d’une conférence de presse, pourrait faire preuve de plus de flexibilité s'il y a, effectivement, des directives internationales allant dans ce sens.
Pour les Forces libanaises, il faudra attendre la réunion prévue mercredi au soir pour déterminer quelle sera la position de la formation chrétienne. Le chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, a pour sa part précisé la position de son bloc lors d’une interview accordée en soirée à la chaîne al-Jadeed. Son bloc n’acceptera rien moins qu’une participation active à la formation du gouvernement, a-t-il dit en substance.
commentaires (16)
Hey Monsieur Hariri, si les libanais voulait d’un gouvernement tel que vous proposez, il ne seraient pas descendu dans la rue pour vous éjecter et demander la dissolution du gouvernement d’il y a 1 an. Vous vous laissez rouler dans la farine parce que vous vous absolument revenir comme PM quitte à nous resservir la même soupe à limaces. Détrompez vous car même si le monde entier donne son accord pour que notre constitution soit piétinée et bafouée les libanais refuseront de manger votre soupe quitte à mourir de faim et vous chasseront tous à coups de pied et de pelleteuses. De qui se moque t on, même avec un gouvernement monochrome concocté par eux seuls il n’ont pas mis la moindre réforme en route, ils viennent nous faire croire qu’ils le feront avec des ministres technocrates à leur image pour sortir le pays de cette merde dans laquelle ils s’évertuent à nous enfoncer? Vous êtes vraiment naïf et insensé de croire à ce genre de chimères. Ils ont voulu de vous pour mieux vous brûler à jamais cette fois ci et se venger ainsi de vos parrains. Les libanais continueront à faire les frais de vos batailles d’ego. Ce n’est pas en allant dans le sens des fossoyeurs qu’ on réussira à bâtir quoi que ce soit, ça se saurait. Vous êtes en train de les rendre encore plus forts qu’ils n’ont jamais été. Revenez donc à la réalité et poussez les dans leur retranchement. Ils ne sont pas à la hauteur de leurs menaces et c’est là qu’il faut frapper.
Sissi zayyat
11 h 10, le 13 octobre 2020