
Des membres de la famille Jaafar posent avec des roquettes.
Baalbeck peine à se remettre de la terreur dans laquelle l’a plongée une énième vendetta meurtrière dimanche dernier. Ce jour-là, des hommes armés appartenant au clan Jaafar ont paradé en ville, après avoir abattu un homme de la famille Chamas dans son magasin pour venger la mort d’un des leurs il y a quelques années. Ils ont ensuite regagné, sans être inquiétés le moins du monde, leur quartier de Charawné, où ils ont « célébré » le « succès » de leur mission par des tirs d’armes lourdes et moyennes. Pris en étau entre des tribus armées rivales qui se font la guerre depuis des années, les habitants de Baalbeck tirent la sonnette d’alarme et ne cachent pas leur ras-le-bol. « Nous sommes les otages d’une interminable guerre des clans qui nous empêche de mener une vie normale pendant que L’État, lui, est aux abonnés absents », dénonce l’un d’entre eux sous couvert d’anonymat. « Nous avons été les témoins d’une véritable scène de guerre dimanche dernier. Des membres du clan Jaafar ont tiré en l’air pendant une demi-heure. Ils avaient même des lance-roquettes », s’indigne une habitante de la ville, également et sans surprise, dans ce climat, sous couvert d’anonymat. « Nous étions assis tranquillement dans le jardin lorsque cela a commencé. Nous avons été obligés de nous mettre à l’abri », raconte-t-elle. « Les rues de Baalbeck sont jonchées de douilles. Nous en avons marre. Ils prennent toute une ville en otage. Pourquoi les autorités n’interviennent-elles pas pour régler cette affaire ? » demande cette habitante. Elle dénonce par ailleurs les agissements des membres des différents clans résidant à Baalbeck et dans ses environs qui « descendent en ville de temps à autre et sèment la pagaille ». « Parfois, ils sortent une mitraillette et tirent en l’air sans raison apparente. Et personne n’ose leur dire quoi que ce soit », raconte-t-elle. Évoquant ensuite la victime, un jeune de 27 ans, elle décrit un personnage « aimable et calme qui n’a jamais porté les armes ».
À l’origine du crime qui a mis la ville en émoi, une affaire de meurtre vieille de trois ans. En 2017, les deux frères de l’homme abattu dimanche avaient tué un membre de la famille Jaafar. À l’époque, ils avaient été arrêtés et incarcérés. Récemment, des informations avaient circulé selon lesquelles ils allaient être prochainement relâchés. C’est alors que des membres du clan Jaafar ont décidé d’abattre leur frère, un commerçant de Baalbeck. Sur les réseaux sociaux, des vidéos les montrant en train de parader dans la ville, brandissant leurs armes après l’assassinat, ont été largement partagées. Ils auraient même dressé des barrages et fouillé certains véhicules, selon des témoins.
Appelée en renfort pour rétablir l’ordre, l’armée a annoncé avoir procédé à quatorze arrestations dans le secteur de Sahel Hrabta, dans la Békaa-Nord, et à la saisie de nombreuses armes légères, moyennes et lourdes, ainsi que de munitions. Elle poursuivait ses patrouilles dans le secteur hier, photos à l’appui. « Ces armes ont été saisies et les détenus ont été déférés devant les instances compétentes », a expliqué l’armée, faisant savoir que les militaires « maintiennent leurs mesures de sécurité dans la Békaa et sont à la poursuite de tous ceux qui portent atteinte à l’ordre public ».
Toutefois, sur les réseaux sociaux, plusieurs internautes ont estimé que ces arrestations ont été réalisées uniquement pour la forme. Ils ont en outre dénoncé l’absence quasi totale de l’État dans la région.
« Nous voulons mener une vie normale »
Et à Baalbeck, la population n’est pas rassurée. Une habitante du quartier de Charawné, où sévissent les éléments armés du clan Jaafar, dénonce une insécurité grandissante au fil des années. « L’État est absent ici, et les tribus bénéficient d’une couverture politique et sécuritaire. Notre région a été carrément abandonnée par les autorités », lance cette mère de famille, qui a requis l’anonymat par crainte de représailles. « J’ai peur pour mes enfants. J’ai pensé quitter mon domicile et me réfugier chez ma sœur. Ma nièce de 8 ans est traumatisée. Elle ne supporte aucun bruit et éclate en sanglots dès qu’elle entend des tirs », confie-t-elle à L’Orient-Le Jour. « Le mohafez du Baalbeck-Hermel, Bachir Khodr, nous avait promis la sécurité. Qu’a-t-il fait pour nous protéger ? » demande-t-elle.M. Khodr avait donné l’alerte mercredi soir, estimant que « ce qui se passe est extrêmement dangereux pour la région de Baalbek-Hermel et ses habitants ». Il avait également annoncé l’envoi de l’armée en renfort.
Une autre habitante de la famille Chamas n’est pas moins excédée. « Il est temps que les autorités imposent leur présence à Baalbeck », lance-t-elle. « La situation est tendue entre le quartier Charawné et le village voisin de Bouday où réside une grande partie du clan Chamas », confie-t-elle sous couvert d’anonymat. « Nous en avons assez des clans, nous voulons mener une vie normale ici. Mais les autorités ne feront rien car l’État n’a aucun pouvoir à Baalbeck », soupire-t-elle. Elle dénonce aussi « des mafias qui se font la guerre à cause de rivalités dans le trafic d’armes et de drogue ». « D’autres familles, qui ne font pas partie des tribus de la région, ont également commencé à s’armer dernièrement et affichent des comportements similaires à ceux des autres », met-elle en garde. « Il faut que l’État fasse acte de présence, on ne peut pas continuer comme cela. Cette année est pire que les autres en termes d’affrontements entre les clans. On sent que l’État est en train de disparaître petit à petit », ajoute-t-elle.
Des hommes armés paradant à Baalbeck après l’assassinat d’un membre du clan Chamas. Photos DR
Médiation parrainée par le tandem chiite
Comme à chaque fois qu’une vendetta se produit, les partis politiques et les forces actives de Baalbeck s’empressent d’effectuer des médiations pour rétablir le calme… en attendant le prochain règlement de comptes sanglant. Cette fois-ci, un nouvel élément est entré en jeu, celui de la promesse d’une amnistie générale qui pourrait, selon ses défenseurs à Baalbeck, contribuer à calmer les esprits.
Interrogé par L’Orient-Le Jour, le cheikh Mohammad Jaafar, imam de la mosquée du quartier de Charawné, révèle qu’une médiation est actuellement en cours entre les deux familles sous le patronage du Hezbollah et du mouvement Amal, respectivement parrains des Chamas et des Jaafar. Des membres du clan Jaafar issus du Hermel et de la Békaa étaient parallèlement réunis entre eux hier pour discuter de la situation, ajoute-t-il, confiant dans une solution prochaine.
« On se dirige vers une solution pacifique. La loi des tribus sera appliquée et elle permettra de déterminer si les tueurs effectuaient une vendetta ou s’ils sont réellement coupables », explique le cheikh à L’OLJ en utilisant un vocable et une appréciation des faits liés aux règles entre tribus. « Nous ferons ce que les médiateurs recommanderont. Nous aurons besoin de 24 à 48 heures pour prendre une décision », ajoute-t-il. Les clans au Liban comme partout ailleurs au Moyen-Orient ont leur propre code d’honneur qui n’est pas forcément celui qu’imposent les lois en vigueur.
Pour le cheikh, la solution aux problèmes sécuritaires de la région réside dans l’adoption de la loi controversée sur l’amnistie générale. « L’amnistie générale permettra aux habitants de la région de se mêler au reste des Libanais et calmera les esprits.
On a aussi besoin de développement dans la région », lance-t-il. « Cela fait trente ans que nous sommes dans le collimateur des autorités. Il y a 45 000 mandats d’arrêt lancés à l’encontre de personnes issues de Baalbeck-Hermel », dénonce le cheikh Jaafar, qui dit par ailleurs « rejeter les hostilités avec l’armée ».
Sar bada Bruce Willis wou Arnold Schwarzenegger pour résoudre le problème of Lebanon!!! Dommage et un milliard de dommage...
20 h 30, le 09 octobre 2020