Rechercher
Rechercher

Société - Reportage

Armes, drogue et honneur... à Hay el-Charawné, bastion du clan Jaafar

« Nous ne nous tirons pas les uns sur les autres, mais juste en l’air. Nous descendons de clans et nous voulons prouver ainsi notre force », explique cheikh Mohammad Jaafar à « L’Orient-Le Jour ».

Armes, drogue et honneur... à Hay el-Charawné, bastion du clan Jaafar

Le cheikh Mohammad Jaafar, imam de la mosquée de Hay el-Charawné.

Bienvenue à Hay el-Charawné, quartier de Baalbeck dont l’armée libanaise garde les cinq entrées et bloque les ruelles y menant avec des blocs de ciment. Ici, le paysage rappelle un peu les camps palestiniens du Liban, mais les habitants qui sont ici encerclés sont des Libanais. Ils appartiennent pour la plupart au clan chiite des Jaafar, dont le fief, le village haut perché de Dar el-Wasaa, se trouve à quelques kilomètres.Si l’armée encercle ce quartier, c’est parce que la violence y est quasi endémique. Des affrontements, lors desquels des armes de petit mais aussi de moyen calibre sont utilisées, éclatent souvent entre des membres... du même clan. Régulièrement aussi, des accrochages éclatent entre des habitants du quartier et l’armée. Le dernier en date remonte au 10 juin, quand les barrages montés aux entrées du quartier ont été la cible de tirs.

L’histoire mouvementée de ce quartier remonte à 1958, quand sept hommes originaires de Dar el-Wasaa s’installent sur des biens domaniaux à Baalbeck, notamment en hiver. Ce qui n’est, au début, qu’une sorte de campement devient, avec le temps, un quartier qui s’agrandit. Un quartier où la violence fait partie du quotidien. C’est que Hay el-Charawné est le fief de nombreux clans de la Békaa, dont celui des Jaafar. Ces clans ont leurs habitudes, leurs us et coutumes et des manières bien à eux de montrer leur force. À ce cocktail, il faut ajouter, bien sûr, l’influence des partis politiques, même s’ils demeurent moins forts que les clans. Sans oublier ce que certains appellent « l’or vert du Liban », à savoir le cannabis cultivé dans la Békaa.

La quarantaine, la barbe grisonnante et le turban blanc, cheikh Mohammad Jaafar est l’un des notables du clan, éparpillé dans 23 villages de la Békaa. Il est aussi l’imam de la mosquée de Hay el-Charawné, membre du Conseil supérieur chiite et membre actif du mouvement Amal. En été, c’est dans sa maison en pierre de taille à Dar el-Wasaa qu’il aime recevoir ses invités. Situé entre le village de Chlifa et Yammouné, Dar el-Wasaa est construit sur le flanc d’une montagne et donne sur une vallée verdoyante et profonde.

Une rue condamnée par des blocs de ciment par l’armée libanaise.

« Hay el-Charawné a mauvaise réputation, reconnaît-il d’emblée. Au Liban, tout le monde est armé et partout, du nord au sud, les gens utilisent leurs armes et tirent en l’air, mais la presse ne rapporte que ce qu’il se passe chez nous. C’est de la mauvaise publicité. » Puis il précise : « Nous ne nous tirons pas les uns sur les autres, mais juste en l’air. Nous sommes descendants de clans et nous voulons prouver de la sorte notre puissance quand un problème surgit. » Or les raisons de « tirer en l’air » sont nombreuses : des dettes non payées, un commerce qui a mal tourné, des hommes ne supportant pas que leur sœur, leur fille, leur mère ou leur épouse soit abordée dans la rue...

Des débordements dont les partis politiques de la région évitent de se mêler, assure cheikh Mohammad Jaafar. « Il est vrai que deux partis font la loi au sein de la communauté chiite (le mouvement Amal et le Hezbollah), mais ils laissent aux clans une certaine liberté et ferment les yeux quand il s’agit de querelles entre les membres de ces familles », assure-t-il, ajoutant que lors des élections parlementaires, « les listes de la Békaa ne sont pas formées sans l’accord des clans ». Mettant l’accent sur le fait qu’il est membre du mouvement Amal, il souligne que c’est depuis la maison de son grand-père dans la Békaa que l’imam Moussa Sadr s’était présenté solennellement aux habitants de la région.

Tués dans leur lit

Qu’ils soient chrétiens ou musulmans, les clans de la Békaa respectent des règles précises. Ici, la vengeance est de mise, mais leurs membres sont aussi connus pour leur générosité, surtout à l’égard des étrangers, et pour leur éternelle fidélité aux personnes qui les soutiennent, ne serait-ce qu’une seule fois.

À l’instar d’autres clans et habitants de la région, de nombreux membres du clan Jaafar cultivent aussi le cannabis. Certains sont impliqués dans sa vente. Ce sont des hommes de ce clan qui ont été, par exemple, les premiers à ramener le florin néerlandais chez les changeurs de la Békaa, et cela à travers leurs relations avec les commerçants d’Amsterdam, où le cannabis le plus prisé vendu dans les coffee shops de la ville était le « libanais rouge », dont la résine avait la couleur de la plaine.

Affable, le cheikh Mohammad se raidit quand est mis sur le tapis le sujet des habitants de la Békaa recherchés par la justice et toujours en cavale. « Nos enfants et nos frères sont soient tués dans leur lit, dans leur sommeil, soit tués par balle dans le dos quand ils prennent la fuite. Il faut voir leur corps criblés de balles après le passage des militaires. Certains parmi les forces de sécurité ne veulent pas qu’ils soient capturés vivants, car ils livreront plein de secrets et balanceront les noms de tous les individus impliqués dans le trafic de drogue. Si nos proches restent en cavale, c’est pour sauver leur peau », martèle-t-il.

Des commerces à Hay el-Charawné portant les séquelles d’un des nombreux accrochages. Photos Patricia Khoder

« Il faut aussi prendre en considération qu’il y a une confusion de taille dans les noms. Disons par exemple qu’un mandat d’arrêt est émis contre un Mohammad Jaafar. Ce nom est très commun chez nous et porté par une centaine de personnes, voire plus ! Nombre de ces personnes peuvent automatiquement devenir suspectes et recherchées par les autorités », renchérit Ahmad Jaafar, cousin du cheikh Mohammad.

Assis confortablement sur sa terrasse sous une vigne, Ahmad Jaafar fait partie du comité de suivi de la loi d’amnistie pour les habitants de la Békaa. Ce texte a été mis à plusieurs reprises sur le tapis par les autorités sans jamais être adopté au Parlement. Il devrait englober également les extrémistes de Tripoli et les Libanais d’Israël, les anciens membres de l’Armée du Liban-Sud, partis de l’autre côté de la frontière depuis le retrait des troupes de l’État hébreu en mai 2000. Selon les membres du clan Jaafar, l’adoption de la loi d’amnistie ferait baisser les tensions dans plusieurs localités de la Békaa.

Tout comme le cheikh Mohammad, Ahmad est lui aussi agacé par la mauvaise réputation de Hay el-Charawné. « Le quartier est très grand. Il est habité aussi par les Zeaïter, Chamas, Dandache, Noun et Hajj-Hassan. Ce sont ces clans qui s’étaient soulevés en 1926 contre le mandat français », rappelle-t-il. « Nous avons toujours été marginalisés et l’imam Sadr nous a redonné une voix. Ce n’est que sous les mandats des présidents Camille Chamoun et Fouad Chéhab que nous avons senti que l’État s’occupait de nous. Cela s’était fait à travers le soutien officiel à l’agriculture dès la fin des années cinquante. Pourquoi la presse et certains partis braquent-ils l’attention sur nous alors qu’il y a plein d’autres problèmes au Liban ? » s’insurge-t-il encore.

Bienvenue à Hay el-Charawné, quartier de Baalbeck dont l’armée libanaise garde les cinq entrées et bloque les ruelles y menant avec des blocs de ciment. Ici, le paysage rappelle un peu les camps palestiniens du Liban, mais les habitants qui sont ici encerclés sont des Libanais. Ils appartiennent pour la plupart au clan chiite des Jaafar, dont le fief, le village haut perché de Dar...

commentaires (7)

Au-delà du réflexe légitime de condamnation des activités illicites, il faut déceler dans ce témoignage la sincérité beaucoup plus authentique d’un chef de clan par rapport à de grands partis qui s’abritent derrière un discours national pour mettre en œuvre un agenda régional. Et un appel à peine masqué à plus d’Etat -allusion à la période chehabiste , la seule où une politique ambitieuse a tenté avec certain succès de construire un État fort, libéral et social et respecté de tous.

AntoineK

12 h 27, le 08 octobre 2020

Tous les commentaires

Commentaires (7)

  • Au-delà du réflexe légitime de condamnation des activités illicites, il faut déceler dans ce témoignage la sincérité beaucoup plus authentique d’un chef de clan par rapport à de grands partis qui s’abritent derrière un discours national pour mettre en œuvre un agenda régional. Et un appel à peine masqué à plus d’Etat -allusion à la période chehabiste , la seule où une politique ambitieuse a tenté avec certain succès de construire un État fort, libéral et social et respecté de tous.

    AntoineK

    12 h 27, le 08 octobre 2020

  • Les malades mentaux se font enfermer au XXIème siècle. Mais c'est vrai qu'au Liban on est revenu au moyen-âge si ce n'est à l'âge de la pierre! Merci les religieux de tout poil et les gouvernants que l'on supporte tacitement depuis plus de 40 ans!

    TrucMuche

    10 h 28, le 02 juillet 2020

  • Des articles comme ca renforcent mon impression qu'il y a plusieurs peuples au Liban, c'est un petit pays montagneux comme la Suisse, et chaque vallee a son propre histoire et culture et gens ... il faut une sorte d'autonomie; il n'y a pas vraiement un seul peuple libanais.

    Stes David

    18 h 24, le 01 juillet 2020

  • LE COTE OBSCURANTISTE ET ARCHAIQUE QUE LES DEUX MILICES IRANIENNES ESSAYENT D,IMPOSER A TOUT LE LIBAN. CA NE PASSERA PAS !

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 05, le 01 juillet 2020

  • Voilà la république à laquelle aspire HB. Vous en voulez?

    Sissi zayyat

    11 h 30, le 01 juillet 2020

  • faites en un parking de Hay el-Charawné, c'est plus utile

    Elementaire

    07 h 41, le 01 juillet 2020

  • "Au Liban, tout le monde est armé et partout, du nord au sud, les gens utilisent leurs armes et tirent en l’air, mais la presse ne rapporte que ce qu’il se passe chez nous. " Je suis bien désolé Cheikh, mais ce n'est pas vrai. La plupart des Libanais pacifiques n'ont pas d'armes et ne tirent pas en l'air. Nous respectons (du moins nous respections) les forces de l'ordre (plus depuis qu'elles ne s'en prennent qu'aux pacifistes et laissent les miliciens casseurs gambader dans la nature.)

    Michael

    00 h 38, le 01 juillet 2020

Retour en haut