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Lifestyle - Rencontre

Josiane Bou Assi, « mon chez-moi, c’est les allers-retours entre Paris et Beyrouth »

Derrière le choc de ses dessins et le poids de ses mots se cache un caractère pétri de contradictions, mais lucide. Un caractère trempé dans une palette de couleurs, qui vont du noir au blanc en passant par toutes les nuances de ses émotions.

Josiane Bou Assi, « mon chez-moi, c’est les allers-retours entre Paris et Beyrouth »

Josiane Bou Assi, titulaire d’une licence en design graphique et d’un master en photographie et multimédia. Photos DR

L’écouter, c’est un peu comme la lire tant ses (beaux) mots tissent un récit cohérent. Josiane Bou Assi a l’air frêle, presque fragile, un peu comme ses illustrations pleines de poésie que L’Orient-Le Jour publie désormais une fois par mois. Les textes qui les accompagnent expriment aussi une douce violence, un cynisme blessé. Ils inondent de sentiments la page d’un cahier, d’un livre en préparation ou de notre Dernière page ; de tristesse mêlée à une colère sourde, aiguisés aujourd’hui par la double explosion du 4 août. 

Autoportrait de Josiane Bou Assi, qui n’est « pas d’accord » sur l’état et la folie du monde... De la poésie et du talent.

Elle semble réservée et pourtant, cette rebelle silencieuse qui n’aime ni les clichés ni rentrer dans les rangs est une assoiffée de liberté. L’artiste, qui vit et travaille en France depuis 15 ans, a parfois malgré elle, souvent sans le comprendre, un attachement inconditionnel pour ce pays natal qu’elle connaît peu pour l’avoir quitté… huit jours après sa naissance, avant d’y revenir à 14 ans y achever avec peine(s) son adolescence. « J’ai passé 14 années au lycée français d’al-Khobar. Quatorze années de bonheur entourée de mes parents et mes deux frères, dans une bulle restreinte d’expatriés/exilés. Un jour, mes parents m’ont dit que c’était fini l’Arabie saoudite, que ce n’est pas un pays où une jeune femme pouvait grandir librement. Direction le Liban. Leur pays. L’inconnu. » « J’ai vécu au Liban de 14 à 21 ans, poursuit-elle. Je me suis fait beaucoup d’amis qui sont toujours très présents dans ma vie. J’étais heureuse et bien entourée, mais je me sentais toujours un peu à l’écart, au fond. Je cherchais une certaine liberté que je ne trouvais pas. Je la cherche toujours un peu et ironiquement, parfois, c’est au Liban que je la retrouve aujourd’hui... » Mais durant ces années-là, étouffant sous le poids d’une société moralisatrice, intrusive, donneuse de leçons, elle choisit de partir se (re)trouver ailleurs. « C’était trop fermé, je trouvais que la société jugeait trop et je rêvais de liberté, d’anonymat, d’indépendance. Les gens étaient déjà à mes yeux trop croyants, trop racistes, trop fanatiques, trop bling-bling. »

Pour mémoire

La maman d'O. est décédée...

Loin de ce trop trop, une licence en graphisme à NDU sous le bras, elle entreprend un an d’animation à l’EPSAA (École professionnelle supérieure d’arts graphiques et d’architecture de la ville de Paris) puis un master 1 et 2 en photographie à Paris 8. Depuis, elle collabore au journal télévisé de TF1, France Télévisions et France 24. « C’est moi qui fait les illustrations qui accompagnent les reportages. Je suis ce qu’on appelle une intermittente du spectacle. » Également photographe, Josiane Bou Assi a participé à des expositions de photos collectives et a présenté en avril 2010 un travail personnel, Face(s) au temps, à l’Institut du monde arabe. « Ce que j’aime le plus, ici et ailleurs, c’est regarder, noter, dessiner. Juste pour le plaisir de raconter. Raconter pour ne pas oublier. »

Josiane Bou Assi, titulaire d’une licence en design graphique et d’un master en photographie et multimédia. Photo DR

Comme beaucoup de gens

Ne pas oublier cette date, ce rendez-vous, pour (jusqu’à présent) 202 personnes, avec la mort. Et ce rendez-vous d’un peuple avec le désespoir. Josiane était en vacances au Liban avec son époux et ses enfants. « Le 4 août, se souvient-elle, des images plein les mots, j’étais chez mes parents, à 20 km du port. Avec vue sur le port. J’ai tout entendu comme beaucoup de gens. J’ai cru que c’était dans ma rue, comme beaucoup de gens. Je suis sortie en courant, en appelant mes parents, affolée, comme beaucoup de gens. J’ai appris que c’était le port. Coups de fil. Qui est blessé ? Qui est mort ? Beaucoup de messages de mes amis et collègues parisiens, affolés. Et puis arrivent les réponses… Et une réponse qui m’a particulièrement affectée, confirmant le décès de la maman d’un enfant, 0, qui m’a inspiré une illustration. Je l’ai appris quelques heures après l’explosion et les larmes ne m’ont plus quittée pendant des jours… Comment cet enfant allait-il continuer à vivre ? Pour quelles raisons a-t-il perdu sa mère ? À quel point la vie peut-elle être injuste ? J’ai dessiné, confie-t-elle, la colère encore tellement présente. J’étais en colère, comme beaucoup de gens. Contre notre histoire, notre pays, nos dirigeants. Une colère jamais ressentie auparavant. Une haine, une envie qu’ils meurent là, tout de suite. J’étais triste, comme beaucoup de gens. Pour les morts, les vivants, les blessés, les Beyrouthins, les Libanais, l’être humain et le monde entier. Ce n’est jamais bon de savoir qu’on vit dans un monde où ça peut nous arriver. Mourir injustement. Je peux en parler pendant des heures. Et je ne suis pas la seule… »

Les maux du cœur

Alors, quand elle n’en parle pas, elle dessine. Des dessins qui changent selon son humeur, se transforment, la transforment. Et qui tournent beaucoup « autour du temps, du souvenir », puisés dans de vieilles photos et des albums de famille. Puisés dans des témoignages écrits, « des choses que je note, comme si je prenais des photos et qui me donnent, plus tard, des idées ». Comme elle les décrit, avec suffisamment de lucidité et d’humilité, ses illustrations vacillent entre mélancolie et humour noir, même si elle jure aimer rire, aimer la vie tout en ayant conscience de son injustice, de son absurdité et de sa mocheté. « Je m’en sors en retenant des brèves d’histoires, parce que j’aime me souvenir, j’aime rêver, j’aime aimer, j’aime me répéter que tout le monde n’est pas con, tout le monde n’a pas voté Trump ! »

Parisienne trentenaire qui adore sa seconde ville, la beauté de ses lumières, la diversité de son art, elle a compris durant le confinement qu’elle est (également) heureuse à Paris parce que le Liban n’est pas très loin. « Je n’avais jamais mesuré l’importance de pouvoir aller voir ma famille dès que j’en avais envie. Je me suis sentie très coincée chez moi. Mais mon chez-moi c’est finalement les allers-retours. Retrouver là-bas pour être bien ici ? C’est peut-être une explication. »

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Rentrée à Paris pour poursuivre sa vie d’avant le 4, la scolarité de ses enfants, un semblant de vie normale, elle avoue que ce départ a été un exercice très douloureux. « D’habitude je m’en vais un peu triste, en pensant que les Libanais ont la belle vie, le soleil, la mer, les soirées, la douceur. Cette fois-ci j’ai senti que je m’en allais rejoindre ma ville, mon travail, ma Seine, mon vélo, mes bars, et que je les laissais tomber. Sans argent, sans maison, sans douceur, sans sourires, sans légèreté. » Presque deux mois plus tard, elle pose les touches finales à un livre qu’elle intitulera (étrangement) Flasquitudis Eternalis, et qui signifie, comme elle l’explique, « état de flasquitude éternelle, titre que j’ai traduit en faux latin pour faire sérieux, parce que c’est sérieux, mais c’est drôle aussi. C’est, poursuit-elle, un carnet de vie, l’histoire d’une trentenaire qui est un jour devenue flasque du corps et de l’esprit. Elle nous parle d’une façon éparpillée de son quotidien débordé, de l’exil, d’une tristesse ordinaire, de la maternité, de souvenirs et d’espoirs ». Toute ressemblance avec un certain vécu n’est pas fortuite…

En attendant de se décider à le soumettre à une maison d’édition, Josiane Bou Assi traîne, comme nous tous, une peine profonde en pensant : « Rire pour ne pas pleurer, rêver pour ne pas se réveiller un jour et se dire que le monde se fout de nous et qu’il faut en inventer un autre, avec un passé comme le nôtre et un présent aussi difficile. » La rencontre se termine ainsi, comme on ferme la dernière page d’un livre touchant, un livre d’images et de mots pétris d’exil.

L’écouter, c’est un peu comme la lire tant ses (beaux) mots tissent un récit cohérent. Josiane Bou Assi a l’air frêle, presque fragile, un peu comme ses illustrations pleines de poésie que L’Orient-Le Jour publie désormais une fois par mois. Les textes qui les accompagnent expriment aussi une douce violence, un cynisme blessé. Ils inondent de sentiments la page d’un cahier,...

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