
La zone frontalière méridionale de Naqoura. Photo Mahmoud Zayat/AFP
Annoncé jeudi en grande pompe à partir de Aïn el-Tiné, l’accord-cadre pour le tracé des frontières maritimes entre le Liban et Israël n’a suscité, pour l’heure, aucune réaction du Hezbollah qui avait délégué dès le début cette mission à Nabih Berry chargé d’assurer l’interface diplomatique au sein du tandem chiite.
Le timing de l’accord n’est, en outre, pas surprenant, puisqu’il semble arranger aussi bien le Liban officiel que l’administration Trump qui, à quelques semaines de la présidentielle prévue en novembre, cherche à cumuler les succès et à engranger les gains. Un tel progrès sur un dossier qui pourrait permettre de générer, à terme, des revenus pour un pays en faillite ne peut que booster par ailleurs le mandat du président Michel Aoun et le mouvement qu’il a fondé, le Courant patriotique libre, qui en avaient fait leur cheval de bataille durant des années, même si le crédit de l’annonce de cet accord-cadre a été judicieusement récupéré par le président de la Chambre.
Nabih Berry a eu beau affirmer, lors de sa conférence de presse jeudi, que son rôle se terminait à ce stade, et qu’il se retirait de la scène pour laisser la place au chef de l’État qui devra maintenant superviser les négociations à proprement parler, il n’en demeure pas moins qu’il a été la vedette de cette journée qualifiée d’« historique » par Washington. C’était lui et personne d’autre qui devait d’ailleurs prendre soin d’annoncer cet accord-clé et symboliquement fort, afin d’éviter tout écueil qui risquerait d’être interprété comme une concession octroyée par le tandem chiite à l’État hébreu. Car, pour l’heure, et pour l’heure seulement, c’est uniquement de délimitation des frontières maritimes qu’il s’agit et non terrestres, ce volet étant séparé du processus de l’accord-cadre annoncé, comme l’a noté jeudi soir le secrétaire d’État adjoint américain aux Affaires du Proche-Orient, David Schenker, lors d’un point de presse téléphonique avec plusieurs médias. Une affirmation également faite par le secrétaire d’État américain Mike Pompeo qui a évoqué des « discussions distinctes ». M. Berry s’est contenté pour sa part de réitérer le souhait que les discussions se déroulent sans séparation des tracés maritimes et terrestres, une condition qui avait obstrué pendant longtemps les pourparlers en amont.
Les « trois niet »
Le Hezbollah n’avait toujours pas commenté l’accord hier. La chaîne du parti chiite, al-Manar, s’est toutefois, au soir de l’accord, félicitée des « lignes rouges » tracées par M. Berry dans le cadre de ce dossier et des trois niet qu’il aurait réussi à imposer : le rejet des négociations directes, la non-séparation des volets maritimes et terrestres, et le refus de renoncer au moindre droit. Trois objections qui, de l’avis d’une source proche du parti chiite, signifient que les négociations à venir, qui débuteront le 14 octobre à Naqoura sous la médiation des États-Unis et le parrainage de l’ONU, coupent d’emblée la voie à toute normalisation avec l’État hébreu et signent la poursuite de la Résistance. C’est, dira un observateur averti, une réaction d’autodéfense et, surtout, une manière pour le tandem chiite de sauver la face devant un compromis majeur qui aurait été consenti dans le cadre de cet accord.
Si Nabih Berry a refusé de placer l’annonce de cet accord-cadre dans le contexte de l’actualité régionale, affirmant qu’il « n’est pas de ceux qui cèdent aux pressions », plusieurs commentateurs ont toutefois interprété le timing comme la résultante des pressions exercées par l’administration américaine aussi bien sur le tandem chiite que sur Téhéran.
De plus en plus isolé sur la scène internationale et devant affronter la pression des sanctions économiques imposées par les États-Unis, l’Iran aurait concédé provisoirement ce « recul tactique », souhaitant se mettre à l’abri de toute menace de guerre et, surtout, gagner du temps. « C’est une manière pour Téhéran de s’acheter une police d’assurance limitée dans le temps et dont la date d’expiration se termine fin janvier », dit Hassan Mneimneh, conférencier au Middle East Institute, en allusion à l’échéance électorale américaine, précisément à la date d’investiture du président élu. M. Mneimneh établit d’ailleurs un lien de cause à effet entre la manière dont l’accord-cadre, qui traînait depuis des années, a été expédié et les sanctions imposées à l’homme de confiance de M. Berry, Ali Hassan Khalil. Autant de facteurs qui auraient, selon lui, contribué à accélérer le processus.
Une percée sémantique
Cet accord aurait par ailleurs inauguré un développement majeur dans la culture politique chez Amal et son allié le Hezbollah. « Il y a eu une percée sémantique majeure », commente l’écrivain et analyste Lokman Slim en allusion au fait qu’à aucun moment, Nabih Berry n’a recouru au traditionnel qualificatif d’« ennemi » en parlant de l’État hébreu.
Le Liban officiel qui, des années durant, refusait catégoriquement de négocier avec « l’entité sioniste » aurait donc fini par se plier à la réalité imposée par la géopolitique et les impératifs économiques, en acceptant le principe de négociations même indirectes. Cet accord-cadre et les négociations à venir supposent « une reconnaissance (officieuse) d’Israël en tant qu’État voisin et donc un aveu de son existence », note pour sa part M. Mneimneh.
Même s’il est encore trop tôt, voire même « tabou » ou encore « irréaliste », à ce stade de parler d’une future normalisation des relations entre le Liban et Israël, à l’instar de certains pays du Golfe, il n’en demeure pas moins qu’à moyen terme, tout développement économique ne pourra rimer avec guerre. Or les négociations avec Israël devront inéluctablement conduire, au moins, à une pacification des frontières entre les deux pays, augurent dès à présent les analystes. Pour M. Mneimneh, la délimitation maritime amène à envisager plusieurs scénarios à venir dont celui de la découverte de gisements de gaz ou pétrole conjoints, ce qui entraîne, dit-il, la possibilité que les deux États optent pour une même société d’exploitation, « un choix qui les entraînerait dans un partenariat de facto ». C’est l’économique qui pourra alors conduire au politique. Un cas de figure plausible si l’Iran, et son affidé le Hezbollah, ne décident pas à un moment de jouer aux saboteurs, une fois le processus des négociations parvenues au stade final de l’accord.
Mais selon une source proche du dossier, les négociations qui auront lieu à Naqoura ne devraient pas trop traîner, la plupart des points litigieux ayant été « résolus en amont ».
Annoncé jeudi en grande pompe à partir de Aïn el-Tiné, l’accord-cadre pour le tracé des frontières maritimes entre le Liban et Israël n’a suscité, pour l’heure, aucune réaction du Hezbollah qui avait délégué dès le début cette mission à Nabih Berry chargé d’assurer l’interface diplomatique au sein du tandem chiite. Le timing de l’accord n’est, en outre, pas...
commentaires (9)
Apparemment on est en cours de normalisation avec Israël... y a qu'à entendre le nombre d'avions qui nous survolent quasi quotidiennement...
Sybille S. Hneine
17 h 06, le 03 octobre 2020