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Huiles de frontières

Selon la Bible, c’est d’un coup de son bâton que Moïse fendit les eaux de la mer des Roseaux, lors de l’exode des Juifs d’Égypte. Sans que l’on prétende atteindre à de tels prodiges, il aura tout de même fallu dix bonnes années d’un patient jeu du chat et de la souris pour en venir à l’embryon d’accord sur le partage des eaux annoncé en grande pompe lundi à Beyrouth, Washington et Jérusalem.

Comme on sait, l’objet de cette entente multilatérale est de parvenir à une délimitation précise des frontières maritimes entre le Liban et Israël ; voilà qui permettrait alors à notre pays de rattraper le gros retard qu’il a pris sur les autres riverains de la Méditerranée orientale dans l’exploitation du pactole pétrolier et gazier gisant par le fond. Comme on le voit, la transaction de lundi mérite bien son nom d’accord-cadre : en somme, les parties libanaise et israélienne, dûment encadrées par l’ONU et les États-Unis, s’y déclarent d’accord… pour se mettre d’accord, et cela par la seule voie de la négociation.

Pour important que soit l’événement (et même historique, s’extasient les Américains), il ne manque pas cependant d’ambiguïtés, ni d’étrangetés. Pourquoi, ainsi, le dossier a-t-il été, toute une décennie durant, du ressort du président de l’Assemblée, et non de quelque autorité technique ou diplomatique, civile ou militaire, comme le voudrait la norme ? Il faut se rappeler à quelle honteuse foire d’empoigne s’étaient livrées les diverses factions politiques libanaises, lors de la découverte de ces gisements sous-marins. Sous prétexte de juste partage de la manne entre communautés libanaises (mais obéissant surtout aux instincts affairistes) on a perdu un temps précieux en âpres tiraillements sur la délimitation des blocs maritimes, et puis sur les priorités qui seraient retenues au stade de la prospection et de l’exploitation.

Dans ce climat de fragmentation nationale – et dût la règle du partage des pouvoirs en souffrir – il paraissait donc logique, naturel presque, de laisser à une personnalité chiite, en l’occurrence le président Nabih Berry, le soin de gérer le litige surgi autour du littoral sud, région fortement peuplée de membres de cette communauté. Mandater Berry, c’était surtout garantir l’adhésion du Hezbollah à toute entente – même indirecte – avec Israël qu’arriverait à décrocher le talentueux Berry. C’est maintenant chose faite, en attendant évidemment la suite.

Celle-ci menace d’être laborieuse, d’autant que plus d’une équivoque devra être levée. Ainsi, la milice pro-iranienne insiste pour une délimitation des frontières non seulement maritimes, mais également terrestres, avec Israël : les deux mécanismes de négociation seront concomitants, a assuré Nabih Berry ; ils seront distincts, ont aussitôt rectifié les Yankees. Par ailleurs, et s’il ne fait aucun doute que la crise libanaise a hâté la conclusion de cet accord-cadre, on peut parier que les dernières salves de sanctions américaines n’y sont pas, elles non plus, pour peu : bien qu’il s’en défende en montant sur ses grands chevaux, le chef du Parlement a dû sentir le vent du boulet qui a frappé son plus proche collaborateur. Et puisque, dans notre pays, la politique politicienne n’est jamais bien loin des hautes affaires, on aura noté avec quelle ostentation la présidence de la République a ignoré la spectaculaire conférence de presse de Berry pour s’en tenir à la seule publication américaine de l’accord : avec quelle sèche résolution le palais de Baabda a rappelé ses prérogatives constitutionnelles quant à la conduite future des pourparlers…

* * *

Une fois de plus, le happy end de lundi n’est que le générique d’un long métrage, et cet heureux développement ne saurait en aucun cas prendre le pas sur ces quelques impératifs et urgences du présent, comme de l’avenir immédiat :

● Les lendemains pétroliers qui chantent, c’est bien beau, et le flot de royalties pourra un jour contribuer grandement au redressement du Liban, comme le dit si bien le président Berry ; mais ce jour béni n’arrivera que dans dix ans, dans la meilleure des hypothèses. Entre-temps, il est primordial que l’État libanais ait retrouvé quelque santé afin qu’il puisse entamer, d’un pas assuré, son deuxième centenaire.

● Ce qui précède n’est possible qu’au prix d’une rupture totale avec les pratiques mafieuses du passé, celles-là mêmes qui ont mené le pays à sa ruine. Et c’est précisément dans le domaine de l’Énergie (gaz et pétrole, tout autant qu’électricité) que l’exigence de transparence doit être satisfaite à travers ces réformes proprement vitales, mais que s’obstine à éluder l’actuelle classe gouvernante.

● Tant qu’à régulariser la situation territoriale avec l’ennemi israélien, quel révoltant tabou empêche-t-il les dirigeants de s’atteler au tracé de la frontière avec ce pays dit frère qu’est la Syrie ? Comme si la porosité proverbiale de celle-ci n’était pas encore assez alarmante d’un point de vue sécuritaire, voici pourtant qu’elle est le théâtre d’un hold-up en continu, avec tous ces convois de carburant subventionné acheminés nuit et jour vers la Syrie sous l’œil indifférent des responsables. Ce n’est plus là de la carence, c’est de la complicité caractérisée. La honte, quoi.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Selon la Bible, c’est d’un coup de son bâton que Moïse fendit les eaux de la mer des Roseaux, lors de l’exode des Juifs d’Égypte. Sans que l’on prétende atteindre à de tels prodiges, il aura tout de même fallu dix bonnes années d’un patient jeu du chat et de la souris pour en venir à l’embryon d’accord sur le partage des eaux annoncé en grande pompe lundi à Beyrouth,...