Réuni mercredi au palais de l’Unesco, à Beyrouth, le Parlement a voté la loi sur le « dollar étudiant », qui permet aux familles dont les enfants sont inscrits dans des universités ou des instituts techniques supérieurs à l’étranger, ce depuis avant l’année scolaire 2020-2021, d’envoyer à l’étranger une somme maximale de 10 000 dollars, provenant d’un compte en devises, ou en livres à un taux de change dollar/livre de 1 515 livres (la parité de 1 507,5 livres plus une marge pour les transactions). Réclamée depuis plusieurs mois, notamment par l’Association des parents d’élèves libanais étudiant à l’étranger, qui a organisé depuis lors plusieurs sit-in pour faire pression sur le Parlement et la Banque du Liban (BDL), la mesure tend à assouplir pour cette catégorie de déposants les restrictions bancaires limitant l’accès à la majorité des comptes en dollars. Des contraintes pourtant illégales mais qui font partie du paysage depuis plus d’un an, en plein contexte de grave crise économique et financière, marquée par une violente dévaluation de la livre (8 700 livres pour un dollar sur le marché noir hier selon le site Lebaneselira.org).
Cette combinaison de facteurs a bien entendu lourdement pesé sur la capacité des parents à transférer des fonds à l’étranger pour payer les frais de scolarité, de vie et de logement de leurs enfants étudiant à l’étranger. La situation ne devrait d’ailleurs pas s’améliorer de sitôt, compte tenu de l’état de délabrement dans lequel se trouve actuellement le secteur bancaire, que ce soit au niveau des liquidités disponibles ou de son capital confiance auprès des déposants.
Lacunes
La loi sur le « dollar étudiant » contraint donc les banques libanaises à effectuer des transferts d’un montant maximal de 10 000 dollars pour tout étudiant libanais inscrit dans une université ou un institut technique supérieur à l’étranger. Les sommes transférées doivent couvrir l’ensemble des frais pris en charge par les parents de l’étudiant – scolarité incluse donc mais pas uniquement – pour l’année scolaire 2020-2021. Les transferts peuvent être effectués à partir de comptes au Liban, en devises ou en livres et appartenant aux parents de l’étudiant, à ce dernier, ou à d’autres membres de la famille (une mention apportée sans autre précision). Le taux applicable pour convertir les livres ou les dollars bloqués dans les banques en des dollars transférables étant de 1 515 livres pour un dollar, cela revient à dire qu’il est subventionné. Autre disposition, ajoutée celle-ci en cours de séance, la loi est supposée bénéficier aux « personnes pauvres et celles qui ne possèdent pas de comptes bancaires ». Aucun détail n’est toutefois fourni quant au mécanisme qui serait dans ces cas adopté. Le texte ne fournit aucun paramètre permettant d’évaluer le niveau de pauvreté d’un ménage qui pourrait prétendre à bénéficier de la mesure (plus de la moitié de la population est passée sous le seuil de pauvreté avant le milieu de l’année, selon l’Escwa).
Autres lacunes : la loi ne précise pas si une personne qui a un compte en livres et un en dollars pourra effectuer les transferts autorisés à partir du compte de son choix ou si elle devra privilégier celui en dollars. Elle ne dit pas non plus si tous les étudiants pourront en bénéficier, quel que soit leur niveau d’étude. Selon le président de l’Association des parents d’élèves libanais étudiant à l’étranger, Oussama Abdelwahaa, contacté par L’Orient-Le Jour, seuls ceux inscrits dans le cycle de licence pourront en bénéficier.
Enfin, rien ne semble interdire aux Libanais non résidents, et dont les comptes en livres et en devises sont bloqués au pays, d’être éligibles pour profiter de ce dispositif, ce qui leur permettrait de contourner les restrictions bancaires, en l’absence d’une loi officielle sur le contrôle des capitaux.
Ces précisions pourront être toutefois fournies par la BDL, selon les propos de son gouverneur, Riad Salamé, lors de sa réunion mensuelle jeudi avec l’Association des banques du Liban (ABL). Le gouverneur a notamment évoqué la mise en place d’un « mécanisme central » qui devra être mis en place pour s’assurer qu’une personne ne tente pas d’activer le mécanisme à travers plusieurs banques pour en bénéficier plusieurs fois. La BDL et l’ABL ont enfin convenu d’attendre une prochaine « circulaire d’application » émanant du ministère des Finances pour clarifier tous les aspects de la loi.
Si, de prime abord, la nouvelle loi semble être un vecteur de soulagement pour les familles et leurs enfants étudiant à l’étranger, plusieurs voix ont dénoncé ses défauts, publiquement ou en aparté. Ainsi, une source proche de l’ABL a considéré que ce texte « répondait à des aspirations clientélistes, (en particulier parce que) la mesure ne pourra pas être appliquée en raison de la faiblesse des réserves de la BDL. Les députés ont renvoyé la patate chaude à la Banque centrale, qui ne va pas pouvoir financer cette mesure ». La loi ne précisant pas qui devra fournir les liquidités nécessaires pour actionner le mécanisme, la source à l’ABL suppose donc que ce sera à la Banque centrale de le faire, en piochant dans ses réserves. Une analyse motivée par le fait que la BDL a en effet plusieurs dizaines de milliards de dollars d’engagements vis-à-vis des banques, notamment en certificats de dépôts –, ce qui constitue d’ailleurs un des problèmes les plus centraux de la crise financière que traverse le pays.
Aucune estimation de son coût
Or les réserves sont actuellement utilisées par la BDL pour indirectement subventionner les importations de plusieurs biens de première nécessité (blé, carburant, médicaments et matériel médical, entre autres). Une mesure qui permet de limiter l’inflation sur ces produits mais qui ne pourra plus être maintenue longtemps, compte tenu du niveau atteint par les réserves de devises (19,5 milliards fin août, dont 17,5 milliards correspondant aux réserves obligatoires des banques). Fin août, le gouverneur avait annoncé que la BDL ne pourrait maintenir l’essentiel de ces subventions que pour trois mois uniquement. Cette loi, de surcroît, soulève une question de discrimination entre les jeunes bloqués au Liban subissant l’impact de l’inflation sur leur pouvoir d’achat et ceux dont les familles ont les moyens de les envoyer faire leurs études à l’étranger.
Enfin, comme beaucoup de mesures onéreuses pour les finances publiques ou les réserves de la BDL adoptées par le passé par le Parlement, la loi ne fournit aucune estimation de son coût ou, a minima, du nombre d’étudiants potentiellement concernés. Si la source à l’ABL table sur une enveloppe de 800 millions de dollars (donc 80 000 étudiants au minimum), le président de l’Association des parents d’élèves libanais étudiant à l’étranger avance un chiffre bien plus faible de « 100 millions de dollars » pour une dizaine de milliers de bénéficiaires. Une enveloppe qu’il juge raisonnable par rapport aux autres mécanismes de subventions assurées par la BDL pour le « panier alimentaire élargi » mis en place cet été et qu’il évalue entre « 200 à 300 millions de dollars par an » –, sans citer ses chiffres.
« La majorité des familles ont économisé durant des années pour payer les études universitaires de leurs enfants. Il s’agit de leur argent que les banques ont fait disparaître (en référence aux restrictions bancaires, NDLR). Ce n’est ni un don ni une aide, mais c’est leur droit », s’exclame-t-il.
Reste la question des personnes non bancarisées, nombreuses au Liban (le taux de bancarisation du pays est de 45 %, selon le dernier indice Global Findex publié par la Banque mondiale en 2017, la moyenne mondiale étant de 69 %). Si la loi leur offre effectivement la possibilité de bénéficier de la mesure, les banques restreignent, elles, les ouvertures de nouveaux comptes depuis plus d’un an. La seule possibilité restant serait de contraindre la BDL et les banques à fournir les montants en espèces à cette catégorie de bénéficiaires afin qu’ils puissent ensuite les envoyer à l’étranger à travers des sociétés de transfert d’argent. Selon la source bancaire, « cela favorisera les Libanais à s’inscrire ou à inscrire leurs enfants dans des universités situées dans des pays voisins au Liban, comme la Syrie, la Jordanie ou l’Égypte, et de bénéficier des 10 000 dollars ». Cette hypothèse est cependant balayée par Oussama Abdelwahaa, argumentant que cette mesure ne s’applique qu’aux étudiants enrôlés avant ce semestre, afin d’éviter ce problème. Un garde-fou qui crée « une injustice pour les nouveaux étudiants mais qui est nécessaire pour se prémunir de ce risque », conclut-il.
Salamé presse encore les banques d’appliquer la circulaire n° 154
Durant la réunion de jeudi entre l’Association des Banques du Liban (ABL) et la Banque du Liban (BDL), le gouverneur, Riad Salamé, a insisté sur l’application de la circulaire n° 154. Publié fin août, ce texte impose aux banques locales de démarcher leurs clients qui ont transféré plus de 500 000 dollars à l’étranger entre le 1er juillet 2017 et le 27 août 2020 pour les convaincre de rapatrier au moins 15 % de ces montants dans un compte bloqué pendant cinq ans – 30 % pour les membres des conseils d’administration des banques, les grands actionnaires ou encore les personnes politiquement exposées. Le but de cette circulaire est d’augmenter les capitaux propres des banques pour pouvoir faire face aux crises du pays.
Dans son argumentaire, le gouverneur a été jusqu’à assurer que « la crise était derrière (le pays) » et que la BDL et la Commission de contrôle des banques « allaient entreprendre toutes les actions possibles légalement pour réactiver la contribution du secteur au financement de l’économie ». Des déclarations qui peuvent pour le moins surprendre compte tenu de la situation actuelle du pays, marquée par une dévaluation de la livre, des restrictions bancaires mises en place depuis un an et le spectre de la fin des subventions des biens essentiels (blé, carburant et médicaments) qui pourrait conduire à une explosion de l’inflation (+ 120,03 % en août en glissement annuel, selon les chiffres officiels).
Les participants à la réunion ont d’ailleurs pointé du doigt les nombreux problèmes que traverse le pays, comme le fait qu’aucun plan économique ne soit appliqué, ou encore l’absence de gestion du défaut de paiement des eurobonds – titres de dette en devises – sur lesquels le pays a fait défaut en mars dernier. Riad Salamé a, lui, espéré que le (prochain) gouvernement accepte sa proposition de cartes d’achat pour remplacer l’actuel système de subventions, dont une partie est détournée vers la Syrie (voir par ailleurs).
commentaires (5)
Quelle honte! Dorénavant il vaut mieux conserver son argent sous un matelas ou le déposer dans une banque à l'étranger! Et ces voleurs craignent la malhonnêteté de leurs victimes!
Politiquement incorrect(e)
17 h 33, le 03 octobre 2020