Qu’ils soient récemment installés à l’étranger ou qu’ils y vivent depuis deux ou trois ans, tous les étudiants interrogés se disent affectés par les restrictions imposées par les banques libanaises sur les transferts à l’extérieur du pays. « Riches ou pauvres, tout le monde connaît le même problème », affirme Inès Rahal, étudiante en droit à l’université Paris II Assas depuis décembre 2019. Si les étudiants confient avoir commencé à souffrir des conséquences des restrictions bancaires en octobre et novembre 2019, ils admettent qu’aujourd’hui la situation a atteint « un niveau de difficulté beaucoup plus élevé », comme l’indique Lynn Yaman, étudiante en droit à la Sorbonne, à Paris. Cette situation plonge les jeunes dans un mélange d’incertitude, d’angoisse et de frustration. Jude Hamza, étudiante en architecture à l’École nationale supérieure d’architecture Paris-Malaquais, confie : « J’ai peur qu’un jour arrive où je ne pourrai pas payer mon loyer. » La jeune étudiante bénéficie d’une bourse d’excellence qui allège ses frais universitaires. Cependant, d’autres dépenses, comme celles du loyer et de l’alimentation, lui incombent. « J’ai travaillé très dur pendant toutes mes années d’études pour pouvoir intégrer l’une des meilleures écoles d’architecture au monde, et le fait de devoir peut-être un jour abandonner tout cela parce que mes parents ne peuvent pas m’envoyer de l’argent — cet argent qui leur appartient et qui est le fruit de leur labeur — me semble si injuste... soupire-t-elle. Nous sommes passés brusquement d’une situation normale à un état de constante attention pour ne pas dépasser le budget fixé. »
Ainsi, ces jeunes sont obligés de réduire leurs achats et de sacrifier certaines activités. Un changement nécessaire pour pouvoir se procurer l’essentiel et « mettre de l’argent de côté en cas d’urgence » ; même si à Beyrouth, ils sont « habitués à (se) faire plaisir... » comme le rappelle Charbel Sfeir. Ce jeune étudiant en mode à l’Atelier Chardon Savard, une école de stylisme à Paris, raconte que lorsqu’il fait ses courses, il n’arrête pas de se demander : « Est-ce que j’achète ce produit ? Puis-je me le permettre ? »
D’autres étudiants essayent à leur manière de protéger leur santé mentale. « J’essaie de ne pas laisser la situation m’atteindre », confie Lynn Yaman. Mais ce n’est pas toujours possible. « Il y a eu des moments où j’ai paniqué, appelant mon père, ne sachant pas comment il se débrouillerait pour m’envoyer de l’argent », regrette la jeune étudiante qui vit en colocation, « ce qui (lui) permet d’économiser sur le loyer ».
Expliquer la situation aux autres
Pour payer les frais universitaires et les nombreuses autres dépenses de la vie courante, les étudiants libanais ont recours à de longs détours. Charbel Sfeir fait part de son expérience : « Nous avons eu recours à une personne en France qui a payé les frais universitaires pour nous. Mes parents lui transféreront la somme due lorsque les transferts seront facilités. »
Ces étudiants ont des rapports différents avec les propriétaires de leur logement et l’administration de leur faculté. « J’ai peur d’expliquer la situation à la propriétaire de mon studio, car elle peut très facilement trouver quelqu’un d’autre qui pourra assurer le loyer tous les mois sans problème », confie Jude Hamzé. Quant à Jacques Khoury, le fait que son propriétaire soit libanais lui facilite les choses. « Il se montre compréhensif et tolérant », précise le jeune étudiant.
Du côté des universités, la majorité des jeunes affirment qu’elles sont compréhensives. « L’université nous a accordé un délai de trois mois pour payer les frais, ce qui nous permet de nous organiser. Encore, après l’explosion du 4 août, les étudiants libanais peuvent demander différentes aides », indique Inès Rahal. Malheureusement, Charbel Sfeir, lui, n’a pas eu la même expérience. « Même après avoir expliqué à l’administration la situation au Liban, la faculté veut que je paie l’intégralité des frais dans les délais initialement prévus. »
Par ailleurs, Jacques Khoury observe que « dans les facultés publiques, les scolarités sont peu coûteuses », et que dans ce cas, les étudiants arrivent sans trop de peine à assurer le paiement. « Mes difficultés sont ainsi relativement moins handicapantes que celles des étudiants installés au Canada et aux États-Unis, qui doivent acquitter des frais d’université exorbitants et obéir à des mesures restrictives locales dues à la crise sanitaire actuelle. »
« Je me souviens du moment où j’ai vu qu’un transfert a été effectué sur mon compte, j’étais dans un restaurant et j’ai crié : yes ! Tout le monde a cru que j’avais gagné à la loterie », sourit Lynn Yaman.