L’annonce faite par l’ancien Premier ministre Saad Hariri d’accepter sous conditions l’octroi du portefeuille des Finances à une personnalité chiite a certes relancé le processus de formation du gouvernement. La réunion hier entre les deux émissaires chiites Ali Hassan Khalil et Hussein Khalil avec le Premier ministre désigné Moustapha Adib en est ainsi la première conséquence concrète. Mais de l’avis de plusieurs parties qui suivent ce dossier de près, le processus est encore long et le règlement éventuel de l’obstacle dit du portefeuille des Finances va probablement montrer qu’il en existe bien d’autres...Le processus semble donc compliqué, en dépit des efforts de la France, au point qu’au sein des deux formations chiites, un débat est mené sur la politique suivie. Une des questions discutées porte sur les circonstances de la démission du gouvernement de Hassane Diab.
Amal et le Hezbollah sont en effet en train de refaire une lecture de la période qui a précédé la démission du gouvernement Diab pour évaluer la justesse des décisions prises. Il faut rappeler à cet égard les circonstances dans lesquelles Hassane Diab a présenté la démission de son gouvernement. On se souvient qu’après le choc de l’explosion tragique du 4 août, il avait lancé l’idée d’organiser des élections législatives anticipées, provoquant ainsi la colère du président de la Chambre Nabih Berry. Ce dernier avait vu dans cette proposition une atteinte directe au pouvoir législatif et une tentative d’outrepasser la majorité parlementaire issue des élections de 2018, et en quelque sorte une forme de coup d’État politique. Jusqu’à présent, on ne sait pas avec précision qui a soufflé à Hassane Diab l’idée des élections législatives anticipées. Dans les coulisses du gouvernement, on parle d’un conseil qui lui aurait été donné par certains ministres, pour lancer la balle dans le camp du Parlement et atténuer ainsi la révolte populaire contre le gouvernement.
Mais à peine le Premier ministre avait-il lancé cette idée que le président de la Chambre a riposté en fixant une séance parlementaire plénière le jeudi 13 août pour discuter de l’action du gouvernement, notamment dans le cadre de l’explosion du port. Il était donc clair pour les milieux politiques que le président du Parlement avait l’intention de faire tomber le cabinet en pleine séance parlementaire, après l’avoir inondé de critiques de la part des députés sur un sujet aussi poignant que la tragédie du port de Beyrouth.
Le directeur de la Sûreté générale Abbas Ibrahim avait alors tenté une médiation entre Nabih Berry et Hassane Diab pour tenter d’éviter la démission programmée, mais il s’était alors heurté aux conditions posées par Nabih Berry (qui exigeait que Hassane Diab présente ses excuses au Parlement) et à l’entêtement de Hassane Diab qui refusait de s’exécuter. Ce dernier avait eu beau affirmer qu’il ne s’agissait que d’une proposition destinée à calmer la colère de la rue et qu’il ne cherchait en aucun cas à prendre la place du Parlement, mais Nabih Berry n’a rien voulu entendre. Il a refusé d’annuler la séance parlementaire, assurant qu’en évoquant les élections anticipées, Hassane Diab avait franchi une ligne rouge.
Finalement, pour éviter la chute de son gouvernement au Parlement, dans une séance qui risquait d’être houleuse et humiliante pour lui et pour les ministres, Hassane Diab a donc présenté la démission de son cabinet le 10 août, soit quelques jours avant le rendez-vous parlementaire fixé par Nabih Berry.
Cette démission a ouvert une nouvelle page dans la vie politique et mis en évidence les nombreuses failles à la fois du système et des alliances, ainsi que la fragilité des rapports de force internes.
Aujourd’hui, plus d’un mois et demi après cette démission, le pays se trouve dans une véritable impasse et sans l’initiative française, il n’y aurait aucune possibilité de sortir de la crise institutionnelle, politique, économique, sociale et financière dans laquelle il se débat.
Au sein du mouvement Amal et du Hezbollah, on se demande désormais si la décision de faire tomber Hassane Diab était bonne. D’autant que ce dernier avait été désigné par la majorité parlementaire issue des élections de 2018 et que le gouvernement qu’il avait formé était plutôt favorable à l’alliance Amal-Hezbollah, présidence de la République et Courant patriotique libre. Or, aujourd’hui, Moustapha Adib a été désigné par les anciens présidents du Conseil, qui ont envoyé une liste de trois noms, dont deux inacceptables, aux autres parties politiques et à la France. Amal, le Hezbollah et le CPL ont eu beau le désigner dans le cadre des consultations parlementaires obligatoires effectuées à Baabda, en réalité, ils n’avaient fait qu’avaliser le choix des anciens Premiers ministres. Cela signifie qu’ils ont pratiquement perdu l’initiative au profit de ces derniers et de Saad Hariri en particulier. De plus, il est clair que le gouvernement que Moustapha Adib compte former ne ressemblera pas, sur le plan des équilibres politiques, à celui de Hassane Diab. C’est donc en quelque sorte comme si Amal et le Hezbollah s’étaient tiré une balle dans le pied en sacrifiant un gouvernement sur lequel ils avaient une certaine influence, au profit d’une équation encore inconnue mais dans laquelle ils n’auront certainement pas le même pouvoir.
Ce sujet fait donc l’objet d’un débat interne au sein des deux formations chiites. Ceux qui défendent la position du président de la Chambre précisent que ce n’est pas la menace de la séance parlementaire qui a poussé Hassane Diab vers la démission, mais le fait que ses ministres commençaient d’eux-mêmes à s’en aller. Nassif Hitti avait été le premier à le faire, mais d’autres avaient suivi son exemple et au train où les événements se précipitaient, le nombre des ministres démissionnaires aurait rapidement atteint celui de 8 (le tiers du gouvernement). Ce qui aurait entraîné de facto la démission du cabinet. De plus, après la tragédie du port, la position du gouvernement était devenue intenable. Enfin, l’expérience d’un gouvernement formé par une partie au détriment des autres a montré ses limites, car le gouvernement Diab a été rapidement victime d’un boycott interne et externe. Ce qui rendait son échec inévitable...
S’il est encore trop tôt pour écrire cette page de l’histoire récente du pays, ce qui compte c’est que les différentes parties se posent des questions sur la justesse de leurs choix... et cherchent à tirer les leçons qui s’imposent.
commentaires (6)
Le gouvernement Diab a, qu on le veuille ou pas, mis sur les rails dans les 100 jours qu il s était fixé, et malgré la crise du Covid qui s est imposée en cette periode, ce qui suit: 1) Un plan complet de relance économique en coordination avec Lazard qui a eu l approbation préliminaire du FMI ( Ce plan fut attaqué de toute part par la classe politique via le parlement et par l association des banques, ce qui a saboté les négociations en cours avec le FMI). 2)Un plan complet de lutte contre la corruption: les fameux 7 points proposés par la Ministre de la Ministre de la Justice et approuvés par le CM au grand damn des parlementaires qui ont convoqué la Ministre de la justice a une séance de mise en responsabilité qui fut plus que houleuse. 3) L audit de la BDL qui fut l objet de toutes les embûches possibles et imaginables... 4) Une batterie de projets de lois que le parlement a, soit ignorés soit déformés,notamment la loi sur la levée du secret bancaire. Tout cela a valu au gouvernement Diab et a ses Ministres " pertubateurs" des attaques acharnés de la part des médias qui sont a la solde de la mafia politico financière...On se souviendra des diabiteries populistes du vendu Marcel Ghanem et Co... En conclusion, tant que cette classe politique tient les reines du parlement, il est impossible d' opérer de vrais changements. Donc, la solution ne peut venir que des urnes, et c est justement pour cela que l idee des élections anticipées fut proposée par le gouvernement Diab
Henri NAJM
19 h 40, le 25 septembre 2020