Au lendemain de l’annonce d’un nouveau délai, expirant dimanche, pour la formation d’un « gouvernement de mission » qui serait en place pour quelque cinq à six mois, le président français, Emmanuel Macron, a contacté hier son homologue libanais Michel Aoun, le président de la Chambre Nabih Berry, l’ancien Premier ministre Saad Hariri et le Premier ministre désigné Moustapha Adib, pour souligner l’importance de la mise sur pied « le plus rapidement possible » de la nouvelle équipe. La présidence libanaise a officiellement confirmé l’appel et précisé que MM. Macron et Aoun avaient discuté de l’état actuel des tractations et de « l’importance de poursuivre les efforts pour assurer la naissance du cabinet le plus rapidement possible ».
Le chef de l’État français, révèlent des sources concordantes, insiste sur le fait que le « gouvernement de mission » qu’il préconise n’est qu’une courroie de transmission qui assurera la transition du Liban vers une série de réformes, lesquelles permettront à la communauté internationale d’assurer l’arrivée d’un flux de capitaux indispensable pour son redressement économique. Dans certains des entretiens téléphoniques du président Macron, selon des sources diplomatiques, on a pu de nouveau entendre l’accent d’urgence utilisé lors du premier voyage du chef de l’État français à Beyrouth (deux jours après le drame du port), rappelant que, selon des mots prêtés au ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, « le Liban est au bord de l’abîme » et ne peut s’offrir le luxe d’une prolongation indéfinie de sa crise. M. Macron cherche à faire comprendre à toutes les parties, et d’abord au tandem chiite (Amal-Hezbollah), que son initiative « n’est pas politique, mais nationale », et qu’il n’a aucune intention de s’ingérer dans les dédales de la politique interne du Liban et des équilibres qui sont du ressort des seuls Libanais. Selon certaines indiscrétions, la France a même reproché à certaines parties libanaises d’avoir oublié l’essence de son initiative et profité de l’occasion pour pousser leurs pions sur l’échiquier interne, avec les conséquences prévisibles chez l’adversaire politique.
Toujours selon ces indiscrétions, au nom du principe de « la rotation de tous les portefeuilles » et de la non-exclusivité d’aucun d’eux, il a même été question d’attribuer le portefeuille des Finances, auquel s’accroche résolument le tandem chiite, à un sunnite et pas n’importe lequel : au neveu de Fouad Siniora en personne, Amer Bsat.
Pour sa part, la France tient à ce que son initiative aboutisse, même si cela implique d’y apporter « quelques modifications », selon des sources proches des différentes parties. Toutefois, elle se heurte dans ce domaine à une résistance du Premier ministre désigné, qui refuse d’être un autre Hassane Diab et de voir notamment son équipe potentielle et sa carrière « brûlées » par des rapports de force qui le dépassent. M. Adib aurait même été empêché de se récuser par M. Macron alors qu’il était en route pour Baabda, selon certaines sources. Ses adversaires accusent le tandem chiite de vouloir consacrer une « répartition par tiers » du pouvoir politique par le biais de la consécration du portefeuille des Finances à la communauté chiite (en lieu et place d’une parité islamo-chrétienne des ministères). Ils n’ont pas tort. Et d’ailleurs, est-ce bien le moment de chercher à consacrer un nouvel équilibre politique national, alors que le pays s’enfonce dans la crise ? Tel est le reproche fait au tandem chiite par le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, et le chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, rejoints sur ce point par beaucoup d’autres forces politiques et par une large partie de l’opinion.
Joumblatt : « Adieu au Grand Liban »
M. Geagea a qualifié d’« opération de sabotage du pays » les revendications du tandem chiite et dénoncé l’obstination de ce dernier à conserver le portefeuille des Finances, soulignant que cette prise de position « porte atteinte à l’initiative française ».
De son côté, pour dire l’inanité des efforts déployés par le Hezbollah pour arracher une coutume constitutionnelle à un moment si critique, Walid Joumblatt a publié un tweet assassin dans lequel il accuse le parti de Dieu, rejoint par d’autres forces politiques, d’être les fossoyeurs d’un Liban qui aurait refusé, à cause d’eux, la dernière chance de relèvement offerte par la France. « Demain, quand le coq chantera, peut-on lire dans le tweet, les gens de l’ancien pacte et les gens de la nouvelle coutume constitutionnelle découvriront que le Trésor est vide, que le port de Beyrouth est mort et a déménagé à Ashdod et Ashkelon, que les pipelines du Golfe ont remplacé l’IPC et le TAPLINE, et que tous les missiles et lanceurs de sectarisme de quelque côté qu’ils viennent ne protègent pas le Liban. J’ai bien peur que nous ne soyons aujourd’hui en train faire nos adieux au Grand Liban. »
commentaires (7)
Aoun peut, s'il le veut.
Esber
19 h 09, le 19 septembre 2020