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Société - Émigration clandestine

« J’ai dû jeter à la mer le corps de mon bébé » : quand fuir le Liban vire au drame

En raison de la grave crise économique, ils sont de plus en plus nombreux à tout risquer pour quitter le pays du Cèdre.


« J’ai dû jeter à la mer le corps de mon bébé » : quand fuir le Liban vire au drame

Des soldats de la Finul s’apprêtant à secourir 36 personnes à bord d’une embarcation de fortune, au large du Liban, le 14 septembre 2020. Photo tirée du compte Twitter de la Finul @UNIFIL_

« J’étais prêt à aller en prison dans n’importe quel pays plutôt que de retourner au Liban », dit d’emblée Mohammad el-Mohammad à L’Orient-Le Jour. Ce père de famille tripolitain de seulement 21 ans a embarqué le 7 septembre à bord d’un bateau pour une traversée clandestine vers Chypre. Mais l’embarcation, abandonnée par les passeurs, a dérivé plusieurs jours durant au milieu de la Méditerranée, avant d’être repérée et escortée par la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul). C’est avec sa femme enceinte et leur fils âgé de deux ans, Sufian, que Mohammad el-Mohammad avait pris le large. Mais c’est sans son enfant que le jeune père a été rapatrié au Liban. Le petit Sufian est décédé lors de la trop longue dérive de l’embarcation.

Avec l’aggravation continue de la crise économique au Liban, nombreux sont ceux qui, ayant perdu tout espoir et n’ayant pas accès aux voies d’émigration légales, tentent, par tous les moyens, de quitter le Liban pour tenter de refaire leur vie ailleurs. Et avec ces tentatives d’émigration clandestine se multiplient les drames.

Ce jeudi soir, le corps d’un homme qui avait embarqué à Tripoli pour un départ clandestin a été retrouvé à plusieurs dizaines de kilomètres, au large de Saadiyate. Il a été enterré hier dans la capitale du Liban-Nord. Environ six passagers de cette barque sont toujours portés disparus. Leurs familles avaient bloqué jeudi plusieurs rues menant à la place Abdel Hamid Karamé (al-Nour) à Tripoli, réclamant que les autorités mènent des opérations de recherches.

L’extrême pauvreté pousse des parents désespérés à tenter la folle traversée vers Chypre dans des barques de fortune. Raya Jalabi/Reuters


Il n’y a pas, aujourd’hui, de chiffre exact des départs clandestins, mais le nombre de personnes arrêtées à Chypre après une traversée clandestine à partir du Liban est en hausse. Entre juillet et septembre, 21 tentatives de migration clandestine vers Chypre, principalement de la part de Syriens, mais aussi de Libanais et travailleurs étrangers, ont été signalées, selon les sources de l’ONU. Selon l’AFP, cinq bateaux, transportant plus de 150 migrants au total, ont été repérés au cours du mois de septembre près des côtes chypriotes. Hier, le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) et le Fonds des nations unies pour l’enfance (Unicef) ont fait part de leur « profonde inquiétude » face à plusieurs tentatives d’émigration clandestine au large des côtes libanaises qui ont fait plusieurs morts, se disant « bouleversés par la mort d’une femme et d’enfants pendant ces migrations » et appelant à s’attaquer à la racine du problème, à savoir « la pauvreté et le manque d’opportunités économiques » au Liban.

De leur côté, les autorités libanaises ont sonné la mobilisation hier. Le Premier ministre sortant Hassane Diab a chargé le ministre des Affaires étrangères, Charbel Wehbé, d’établir les contacts nécessaires avec les autorités chypriotes pour suivre ce dossier, et le ministre de l’Intérieur Mohammad Fahmi de suivre l’affaire auprès des services de sécurité.

« J’ai fui le Liban dans l’espoir de pouvoir travailler ailleurs et assurer de quoi manger à mon petit, raconte Abou Sufian, la gorge serrée. Je n’avais pas de grandes ambitions. » Le rêve d’Abou Sufian était, simplement, de pouvoir acheter des friandises à son enfant, de lui offrir un paquet de chips ou un jus de fruits. Il rêvait de ne plus jamais laisser Sufian s’endormir le ventre vide. C’est la faim et la soif qui ont, finalement, emporté son fils, au beau milieu de la Méditerranée. « Je lui donnais de l’eau de mer pour étancher sa soif, mais il est tombé malade et il a fini par trouver la mort deux jours après avoir quitté le port de Minié, à Tripoli », déplore Abou Sufian. Et de poursuivre : « Pendant quatre jours, je ne savais pas quoi faire du corps de mon enfant. Je l’ai enveloppé dans un tissu blanc et je l’ai porté dans mes bras le plus longtemps possible. Mais au bout d’un moment, je devais choisir : soit je vois le corps de mon enfant se décomposer dans mes bras, soit je récite une prière et le donne à la mer. » Après un silence, Abou Sufian poursuit : « J’ai dû jeter à la mer le corps de mon bébé... »

Victimes d’une arnaque
Selon Abou Sufian, les passagers de la barque ont été victimes d’une arnaque. « Je ne connaissais pas le passeur personnellement », dit-il. C’est via des membres de sa famille et des voisins du quartier qu’il est entré en contact avec ce passeur et son équipe. « J’ai tout fait pour assurer le montant suffisant pour réserver une place à ma famille à bord du bateau et fuir ce pays », raconte-t-il. Lorsqu’ils sont arrivés au port avec leurs affaires, de l’eau, de la nourriture et du lait pour enfants, le passeur en charge les a empêchés de les prendre avec eux, assurant que la traversée ne durerait pas plus que six heures et qu’un grand bateau muni d’eau et de nourriture les attendait au large. Mais une fois en mer, au bout d’un moment, la seconde barque qui transportait les guides et les passeurs a disparu, raconte Abou Sufian, abandonnant la barque des migrants à son sort. « Nous sommes restés au beau milieu de la Méditerranée sans guide pendant huit jours », poursuit-il.

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Tentative déjouée de traversée clandestine de migrants

Aujourd’hui, le père éploré en est convaincu : le passeur a confisqué les affaires des passagers à dessein pour qu’ils meurent de faim et qu’ils soient avalés par les vagues. « De cette façon, il aurait gagné les frais de la traversée et nous aurions trouvé la mort dans le plus grand silence, au beau milieu de la mer, lâche le jeune homme, la voix étranglée. Ainsi, il échapperait à toute poursuite judiciaire. » Abou Sufian raconte que pendant ces huit jours, les passagers ont vu passer plusieurs bateaux dont un qui battait pavillon chilien. Les passagers à la dérive ont crié « Help » et « Police » en anglais, mais personne ne s’est intéressé à leur sort. La barque, qui comprenait 37 personnes à son bord dont douze enfants, a finalement été sauvée par la Finul. Plusieurs passagers sont décédés au cours des huit jours de voyage en mer dont des enfants et une femme. Lorsque le bateau a finalement atteint Beyrouth, plusieurs des autres passagers étaient dans un état critique et ont dû être transportés d’urgence à l’hôpital.

Prêt à retenter sa chance
« J’ai supplié ceux qui nous ont sauvés de ne pas nous ramener au Liban, mais ils ne comprenaient pas l’arabe. Ils ne réalisaient pas qu’ils nous renvoyaient dans le pays qui est la cause du décès de mon petit », lance-t-il. Pour financer son émigration clandestine, Abou Sufian a vendu les meubles de sa maison. Il a emprunté de l’argent à des proches et sa sœur a vendu des bijoux en or pour l’aider à assurer la somme de 10 millions de livres libanaises. « Aujourd’hui, je suis le père d’un enfant qui n’est plus et je suis encore plus pauvre qu’avant », déplore Abou Sufian. Le jeune Tripolitain est au chômage depuis plus d’un an. Avant d’être congédié, il travaillait dans un restaurant à Tripoli pour le salaire mensuel de 600 000 livres libanaises. « Je payais 450 000 livres le loyer de ma maison et il ne me restait que la modeste somme de 150 000 pour subvenir aux besoins de ma famille », ajoute-t-il.

Aujourd’hui, en dépit du cauchemar qu’il a vécu et continue de vivre, Abou Sufian se dit déterminé à retenter la traversée. « Je suis parti surtout pour assurer une vie digne à mon enfant, mais maintenant qu’il n’est plus, je n’ai plus rien à perdre », dit-il. Et de conclure : « Il est vrai que ma femme est enceinte, mais si je reste ici, les dirigeants du Liban tueront mon second enfant, j’en suis sûr. »


« J’étais prêt à aller en prison dans n’importe quel pays plutôt que de retourner au Liban », dit d’emblée Mohammad el-Mohammad à L’Orient-Le Jour. Ce père de famille tripolitain de seulement 21 ans a embarqué le 7 septembre à bord d’un bateau pour une traversée clandestine vers Chypre. Mais l’embarcation, abandonnée par les passeurs, a dérivé plusieurs jours...

commentaires (5)

Les élections sont encore loin pour aider qui que ce soit. Le peuple ne les intéresse pas c’est leur voix qui comptent. Espérons que les libanais se rappelleront de tous les malheurs qui les ont fait subir avant de glisser leur bulletins de vote, même s’ils se montrent généreux avant l’événement que tout le monde attend. Il faut qu’ils aient la claque de leur vie si jamais ils osent se représenter

Sissi zayyat

18 h 41, le 22 septembre 2020

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Commentaires (5)

  • Les élections sont encore loin pour aider qui que ce soit. Le peuple ne les intéresse pas c’est leur voix qui comptent. Espérons que les libanais se rappelleront de tous les malheurs qui les ont fait subir avant de glisser leur bulletins de vote, même s’ils se montrent généreux avant l’événement que tout le monde attend. Il faut qu’ils aient la claque de leur vie si jamais ils osent se représenter

    Sissi zayyat

    18 h 41, le 22 septembre 2020

  • L'inhumanité n'éclôt que de l'humain

    Lillie Beth

    13 h 17, le 19 septembre 2020

  • Les politiciens de Tripoli sont des plus riches du pays... Paradoxe. Triste situation.

    Sybille S. Hneine

    10 h 53, le 19 septembre 2020

  • YIA HARAM YIA LEBNEN. IL FAUT DEGAGER DE MALGRE TOUTES LES CLIQUES D,ALIBABAS QUI ONT GOUVERNE DIRECTEMENT ET INDIRECTEMENT ET LE FONT JUSQU,AUJOURD,HUI CE PAYS ET L,ONT DETRUIT ET AFFAME SON PEUPLE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 35, le 19 septembre 2020

  • J’ose esperer que nos deputes tripolitains lisent ce poignant temoignage et agissent en consequence !

    Cadige William

    08 h 46, le 19 septembre 2020

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