Le délai de quinze jours fixé par le président français, Emmanuel Macron, aux dirigeants libanais pour former un nouveau gouvernement est arrivé à expiration sans que le cabinet ne puisse naître. Où se dirige donc le Liban ? La question se pose au vu de l’attachement du tandem chiite au portefeuille des Finances, suscitant des craintes quant à un éventuel échec de l’initiative française, perçue comme la dernière chance de sortir le Liban de la crise qui le secoue. Toutefois, il serait erroné de percevoir le plan Macron sous un angle strictement local. D’autant que le chef de l’Élysée avait confié, lors de son dernier déplacement à Beyrouth, qu’il « joue tout (son) capital politique ». C’est donc pour éviter tout échec de ce plan que l’Élysée a annoncé qu’ « il n’est pas trop tard pour former un nouveau gouvernement ». Même si, dans un communiqué publié hier, la présidence française n’a pas manqué de tancer les responsables politiques libanais, disant regretter le fait qu’ils « ne soient pas parvenus à former un gouvernement dans le délai qu’ils avaient promis de respecter lors de la dernière visite d’Emmanuel Macron il y a quinze jours ».
« Force est de constater qu’ils ne sont pas au rendez-vous aujourd’hui. La France regrette que les responsables politiques libanais ne soient pas parvenus à tenir les engagements formulés au président Macron le 1er septembre 2020 selon le calendrier annoncé », souligne le texte. « Il n’est pas encore trop tard : chacun doit prendre ses responsabilités et agir enfin dans le seul intérêt du Liban en permettant (au Premier ministre désigné) Moustapha Adib de constituer un gouvernement qui soit à la hauteur de la gravité de la situation », lit-on toutefois encore. « Nous continuons à suivre attentivement la situation et à poursuivre nos contacts avec les responsables politiques libanais pour renouveler ce message d’exigence », conclut le texte. Cette prise de position française est intervenue au lendemain de concertations menées par le président de la République, Michel Aoun, avec les chefs et représentants des blocs parlementaires, lundi et mardi. Contestée dans les milieux sunnites qui y ont vu une atteinte aux prérogatives du Premier ministre désigné, cette démarche devait servir, selon les sources de Baabda, à aider Moustapha Adib à défaire le nœud chiite. Mais il n’en a rien été. Le binôme Amal-Hezbollah campe sur sa position : le portefeuille des Finances doit être attribué à la communauté chiite, et il revient aux formations de Nabih Berry et Hassan Nasrallah d’en nommer le titulaire.
Une source bien informée confie dans ce cadre à L’Orient-Le Jour que le Hezbollah a exprimé cette position à l’ambassadeur de France à Beyrouth, Bruno Foucher, qui est entré en contact « récemment » (probablement hier) avec le parti chiite. « Le Hezbollah est attaché à l’initiative française et œuvre pour son succès. Mais nous exprimons une position de principe : il ne revient pas à (l’ancien Premier ministre) Saad Hariri de nommer les représentants des chiites au sein du cabinet. Cela est de notre droit, et nous y tenons », explique un proche du Hezbollah, excluant la mise sur pied d’une équipe ministérielle dans un proche avenir. « M. Foucher, quant à lui, a assuré que l’initiative française n’est pas dirigée contre le Hezbollah », ajoute-t-il.
De même, Aïn el-Tiné, qui veut conserver le ministère des Finances, exclut la mise sur pied d’un cabinet avant que les demandes du tandem chiite ne soient satisfaites. « Nous voulons les Finances et non l’Intérieur », précise un proche de M. Berry à L’OLJ, laissant entendre qu’on a proposé l’Intérieur (un des quatre portefeuilles régaliens avec les Finances, la Défense et les Affaires étrangères) au Hezbollah, mais que cette offre n’a pas été jugée « acceptable ». Une façon pour le binôme d’exprimer son refus à toute solution qui ne prévoirait pas l’attribution des Finances aux chiites.
Hariri brise son silence
En attendant une solution, le leader du Futur, Saad Hariri, s’est invité personnellement dans la partie, pour la toute première fois depuis la nomination de Moustapha Adib, le 31 août dernier. Accusé avec ses collègues Fouad Siniora, Nagib Mikati et Tammam Salam de se tenir derrière la désignation de M. Adib, M. Hariri a ouvertement pris fait et cause pour ce dernier. « Le ministère des Finances ainsi que les autres portefeuilles ne relèvent pas du droit exclusif d’une communauté bien déterminée. Le refus de la rotation (des portefeuilles) reviendrait à faire échouer la dernière chance de sauver le Liban et les Libanais », a-t-il écrit sur son compte Twitter, dans une allusion à l’initiative française.
Sur Twitter aussi, le chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, a, pour sa part, mis en garde contre la chute du plan Macron. Décochant ses flèches en direction du binôme chiite, il a écrit : « Certains n’ont pas compris – ou ne veulent pas comprendre – que l’initiative française est la dernière chance pour sauver le Liban et empêcher sa disparition, comme avait averti le ministre français des Affaires étrangères (dans une déclaration radiodiffusée il y a deux semaines). Les grosses pointures ont repris le partage du gâteau avec de nouvelles coutumes introduites par des amateurs, sans entrer en contact avec qui que se soit. »
Les appréhensions de M. Joumblatt sont partagées par le chef des Forces libanaises, Samir Geagea. « Après que tous les partis politiques ont donné leur parole pour faciliter la formation d’un nouveau gouvernement sur des bases différentes, un cabinet de sauvetage œuvrant à redresser la situation dans le pays le plus rapidement possible et à restaurer au minimum l’activité économique, nous en sommes de nouveau face aux mêmes théories qui avaient conduit à la destruction du pays », a écrit M. Geagea sur son compte Twitter, qualifiant de « véritable mascarade » les tractations gouvernementales. « L’initiative française est une tentative considérable et sérieuse pour sauver le Liban, l’obstruction et la tentative d’y mettre fin de cette manière est un crime », a mis en garde le leader chrétien. Il a, en outre, réclamé à nouveau des élections anticipées, « seules capables de sauver le pays en produisant une nouvelle majorité parlementaire et une nouvelle classe dirigeante au pouvoir ».
Adib jette l’éponge ?
C’est donc pour donner une chance aux contacts en cours articulés autour de l’obstacle chiite, auxquels aurait pris part le directeur de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, que Moustapha Adib a ajourné à aujourd’hui son entretien – initialement prévu hier – avec le chef de l’État. Il est attendu ce matin à Baabda à 11 heures. Plusieurs scénarios sont évoqués : le premier voudrait qu’il présente à M. Aoun une mouture en dépit du veto chiite. Le deuxième est axé sur la possibilité de voir M. Adib se récuser après avoir échoué à former une équipe restreinte de quatorze spécialistes indépendants. Un troisième prévoit que M. Adib présente une mouture avant de se retirer de la scène, selon notre correspondante Hoda Chédid.
Pour le moment, les milieux de Baabda confient « ne pas savoir si M. Adib présentera une formule au chef de l’État ». D’autant que, lors de leurs trois rencontres précédentes, les deux hommes n’avaient évoqué ni les noms des ministrables ni la répartition des portefeuilles, apprend-t-on de source informée.
Fouad Siniora, qui avait pris part à une réunion des quatre anciens Premiers ministres loin des feux de la rampe, estime, lui, que Moustapha Adib jettera l’éponge « face aux pressions exercées par les alliés locaux de l’Iran », comme il le souligne à L’OLJ.
commentaires (9)
Toute négociation dont le sujet n'est pas la remise des armes du Hezbollah a l’état ne servira a rien! C'est de la pure perte de temps et ni Macron ni personne d'autre ne pourra rien y faire sans cette condition essentielle... Le fait d'avoir permit des tractations pendant une semaine supplémentaire est synonyme de l’échec de la politique de Macron. Il fallait que le Mardi les sanctions tombent sans coup férir. C'est sur que vous aurez eu alors votre gouvernement, Mercredi, comme établi par Adib. Même si d'ici a dimanche il se forme un gouvernement, du fait que le Hezbollah garde ses armes et inocule le gouvernement de conditions anticonstitutionnelles, celui-ci aura échoué avant même d'avoir vu le jour.
Pierre Hadjigeorgiou
11 h 18, le 17 septembre 2020