L’annonce du report de 24 heures de la visite du Premier ministre désigné, Moustapha Adib, à Baabda laisse supposer que des contacts intensifs devraient être menés pour éliminer les obstacles qui entravent la formation du gouvernement et pour sauver en quelque sorte l’initiative française.
En dépit des espoirs placés dans cette initiative, celle-ci s’est en effet retrouvée dans une impasse quasi totale. Dans les milieux proches du 14 Mars, on fait assumer la responsabilité du blocage au tandem chiite qui refuse de lâcher le portefeuille des Finances. Mais des sources proches d’Amal et du Hezbollah affirment que la situation est beaucoup plus complexe que cela. Selon ces mêmes sources, il y aurait deux niveaux de blocage, le premier local et le second international. Les deux se rejoignent sur un même résultat : écarter les formations chiites du gouvernement en gestation dans un retournement complet sur les équilibres politiques en place depuis les élections législatives de 2018. Sur le plan local, les sources précitées affirment que depuis sa désignation, et malgré le fait que les blocs parlementaires d’Amal, du Hezbollah et du Liban fort aient voté en sa faveur, Moustapha Adib s’est abstenu de tout contact avec eux, comme s’il n’avait aucun compte à leur rendre, ne serait-ce qu’à titre consultatif, exception faite des concertations parlementaires protocolaires qu’il avait effectuées avec tous les blocs parlementaires à Aïn el-Tiné. S’il avait agi de la même façon avec toutes les parties politiques, les deux formations chiites auraient pu avaler la couleuvre. Mais, toujours selon les mêmes sources, M. Adib se comportait comme s’il n’était redevable de sa désignation qu’aux anciens présidents du Conseil, en particulier au trio Saad Hariri, Fouad Siniora et Nagib Mikati, et qu’aux Français sur le plan international.
Pour les deux formations chiites, le processus de formation du gouvernement commençait donc à ressembler de plus en plus à un règlement de comptes politique qui se traduisait par une volonté délibérée de les écarter, tout en ouvrant la voie aux interventions d’autres parties. Cette impression s’est confirmée lorsque des informations leur sont parvenues sur l’un des entretiens du président de la République avec le président du Conseil désigné. Le chef de l’État, qui est favorable au principe de la rotation dans la distribution des portefeuilles, aurait demandé à M. Adib quel portefeuille régalien il compte donner aux chiites à la place de celui des Finances, et ce dernier aurait répondu : aucun. Pour rappel, au Liban, quatre maroquins sont considérés régaliens : les Finances, les Affaires étrangères, l’Intérieur et la Défense. Exclure les deux formations chiites, qui ont raflé les 27 sièges parlementaires de la communauté aux dernières élections, des portefeuilles régaliens a constitué pour Amal et le Hezbollah une provocation inexplicable et injustifiée. Alors qu’ils essayaient de comprendre les motivations de Moustapha Adib et de ceux qui se tiennent derrière lui, les sanctions américaines sur les deux anciens ministres proches d’Amal et du Hezbollah, Ali Hassan Khalil et Youssef Fenianos, ont été annoncées, confortant leur sentiment d’être directement visés. C’est pour cette raison qu’ils ont décidé de réagir avec fermeté et de ne montrer aucun signe de faiblesse aux Américains en refusant de céder à ce qui, pour eux, ressemblait fort à une tentative d’intimidation pour leur arracher des concessions vitales au niveau de leur participation, en tant que communauté, au pouvoir.
C’est donc à ce moment-là qu’Amal et le Hezbollah ont décidé de durcir leur position au sujet de la formation du gouvernement, annonçant leur intention de faire chuter au Parlement le gouvernement formé sans eux si le chef de l’État décidait de signer le décret. Ce qui aurait constitué une première au Liban où il n’est jamais arrivé qu’un gouvernement nouvellement formé n’obtienne pas la confiance du Parlement. Dans cette période particulièrement difficile, un tel développement risquait de provoquer des frictions communautaires sur le terrain.
Le président Aoun a alors lancé l’idée de tenter une ultime démarche pour rapprocher les points de vue en menant une série de consultations parlementaires et politiques internes, et, en même temps, en sondant les Français sur leurs véritables intentions à travers le directeur de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim. C’est qu’il est important, pour les parties concernées, de savoir si la décision d’écarter les deux formations chiites et si les manœuvres de certaines parties libanaises pour combler le vide causé par l’absence d’Amal et du Hezbollah au sein du gouvernement en gestation sont décidées en haut lieu ou si elles ont un caractère purement interne. Les déclarations du secrétaire d’État américain Mike Pompeo ces deux derniers jours, et surtout la tribune qu’il a publiée dans le quotidien français Le Figaro (dans laquelle il a critiqué le refus de la France d’isoler le Hezbollah et de le désigner dans son intégralité comme organisation terroriste), poussent à penser que l’administration américaine serait en train de mettre des bâtons dans les roues des Français pour saboter leur initiative. Selon les sources proches des deux formations chiites, les Américains auraient donc appuyé du bout des lèvres l’initiative française, tout en cherchant à l’entraver si elle n’aboutissait pas à exclure le Hezbollah et ceux qui l’appuient du gouvernement.
Si cette approche se vérifie, cela signifiera que la balle est désormais dans le camp français. Le président Emmanuel Macron, qui s’est investi dans le dossier libanais en effectuant deux voyages à Beyrouth en trois semaines et en contactant personnellement les différents protagonistes libanais pour les pousser à coopérer et à tenir leur engagement de faciliter la formation du gouvernement et le déclenchement des réformes requises, est-il prêt à tourner la page libanaise et à laisser tomber son idée d’organiser une conférence internationale sur le Liban? Moustapha Adib pourra-t-il former un gouvernement ou se prépare-t-il à se récuser ? Hier, les milieux proches de Aïn el-Tiné évoquaient des possibilités de compromis, mais dans une situation aussi complexe, c’est le résultat final qui compte.
L’annonce du report de 24 heures de la visite du Premier ministre désigné, Moustapha Adib, à Baabda laisse supposer que des contacts intensifs devraient être menés pour éliminer les obstacles qui entravent la formation du gouvernement et pour sauver en quelque sorte l’initiative française. En dépit des espoirs placés dans cette initiative, celle-ci s’est en effet retrouvée dans...
commentaires (8)
La donne a changé et ils ne sont plus en position d’exiger quoique ce soit. Ils le savent très bien au fond et ils jouent leur dernière carte pour tester les grandes puissances en essayant de gagner du temps, le temps de mettre à exécution leur projet de la terre brûlée si ces derniers continuent à croire à leur intention de sauver le pays. N’est pas bête que celui qui ne veut pas comprendre.
Sissi zayyat
11 h 53, le 17 septembre 2020