Tandis que certaines sources annonçaient, dimanche, que le Premier ministre désigné, Moustapha Adib, allait présenter, lundi matin à Baabda, une mouture de son cabinet, nombreux sont ceux qui, au même moment, estimaient a contrario que celui-ci ne présenterait pas au président son projet d’équipe ministérielle.
Ce sont les seconds qui ont eu raison. Tout comme ses sponsors, mais aussi le chef de l’État, Michel Aoun, M. Adib a préféré gagner du temps au lieu de former un gouvernement qui susciterait la colère du tandem chiite, provoquant ainsi l’échec de l’initiative française en faveur du Liban. À la veille de l’expiration du délai de quinze jours fixé le 1er septembre lors de sa venue par le président français, Emmanuel Macron, aux dirigeants libanais pour la mise en place d’un « gouvernement de mission », le binôme Amal-Hezbollah persiste et signe : le portefeuille des Finances devrait être attribué à une personnalité chiite. De même, le tiers de blocage devrait être détenu par la même communauté. Des obstacles qui entravent le processus gouvernemental, rendant nécessaire la prolongation du délai accordé par la France.
Cette prolongation, des sources proches du dossier contactées par L’Orient-Le Jour ne l’excluent pas dans la mesure où ce qui importe le plus réside naturellement dans la mise sur pied d’un cabinet, mais aussi dans le maintien de l’initiative française. Dans ces mêmes milieux, on va même jusqu’à laisser entendre que le gouvernement pourrait bien voir le jour jeudi. Ce court délai devrait être mis à profit pour tenter d’aplanir l’obstacle du ministère des Finances. En attendant, et dans une volonté manifeste de donner des signes positifs à la communauté internationale au sujet de la formation du gouvernement, le président de la République s’est entretenu hier à Baabda avec le Premier ministre désigné. À l’issue de la rencontre, ce dernier s’est contenté de déclarer à la presse que la réunion a été l’occasion de concertations supplémentaires. Il laissait ainsi entendre que l’accord définitif permettant la naissance du cabinet n’est pas encore atteint. Une source informée confie que Moustapha Adib aurait précisé devant M. Aoun qu’il a déjà préparé une formule de quatorze ministres respectant le principe de la rotation des postes ministériels et composée de spécialistes indépendants des partis politiques. Une mouture prônée par la France et la communauté internationale mais à laquelle s’oppose catégoriquement le tandem chiite, sachant qu’après un entretien téléphonique avec le chef de l’État français, durant le week-end, Nabih Berry avait annoncé son intention de ne pas prendre part à un cabinet « sur ces bases ».
Selon notre correspondant politique Mounir Rabih, à la suite des sanctions américaines ayant ciblé Ali Hassan Khalil, bras droit du président de la Chambre, puis de la rencontre entre Nabih Berry et le chef du Futur, Saad Hariri, samedi dernier, le binôme chiite aurait émis des signes traduisant son insistance pour conserver le portefeuille des Finances, pour des raisons liées à l’équilibre confessionnel et politique, comme le soulignent les milieux de Aïn el-Tiné. Mais ils tiennent à préciser que le nœud des Finances n’est pas le seul obstacle entravant encore le processus gouvernemental. Il y a aussi la volonté du chef de l’État de pousser vers un cabinet composé de 20 ministres, alors que Moustapha Adib continue de prôner une formule restreinte de quatorze ministres.
Les tractations de Baabda
Quoi qu’il en soit, et à la suite de sa réunion avec M. Adib, le chef de l’État a rencontré les représentants de plusieurs formations politiques. Le leader du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, Samir Jisr, député haririen de Tripoli, Farid Haykal el-Khazen, député du Kesrouan délégué par la Coalition nationale (groupe parlementaire rassemblant les Marada et Moustapha Hussein, député chiite indépendant de Jbeil), se sont ainsi rendus à Baabda. Quant à la Rencontre consultative, le sous-groupe de parlementaires sunnites proches du Hezbollah, elle a été représentée par Fayçal Karamé, député de Tripoli. De son côté, Assaad Hardane (Marjeyoun) a représenté le Parti syrien national social.
Selon une source haririenne, M. Aoun a profité de ces rencontres pour sonder l’avis des blocs parlementaires concernant le processus gouvernemental, ainsi que l’attribution du portefeuille des Finances aux chiites. Il les a également interrogés pour savoir s’ils acceptent que le Premier ministre nomme lui-même les représentants des partis politiques au sein de son équipe. Saad Hariri soutenant les efforts de Moustapha Adib, M. Jisr a rappelé devant le chef de l’État que ni la Constitution ni l’accord de Taff n’attribuent un portefeuille à une communauté bien déterminée et qu’il était du devoir du chef du gouvernement désigné de choisir les ministrables, ajoute la source haririenne.
Le second round des concertations de Michel Aoun se poursuivra aujourd’hui. Le chef de l’État devrait donc rencontrer Nagib Mikati, ancien Premier ministre et actuel député de Tripoli, le chef du bloc parlementaire du Hezbollah, Mohammad Raad, Hagop Pakradounian, député du Metn représentant le parti Tachnag, et Talal Arslane, chef du Parti démocratique libanais. Au vu de la tournure confessionnelle qu’a pris la lutte pour les postes ministériels, ce dernier s’est ouvertement invité dans la partie, plaidant dans un tweet pour qu’un portefeuille régalien soit attribué aux druzes.
Quant aux Forces libanaises, dont les relations sont rompues avec la présidence de la République, elles boycotteront ces tractations. « Nous nous sommes déjà exprimés concernant le gouvernement. Nous avons déjà dit que nous ne voulons pas y participer, ni nommer des ministrables », rappelle un responsable au sein du parti. Il faisait ainsi allusion aux propos tenus par Georges Adwan, député FL du Chouf, à l’issue des consultations parlementaires non contraignantes tenues à Aïn el-Tiné le 2 septembre.
De même, le Parti socialiste progressiste, dont le leader Walid Joumblatt est en déplacement à Paris, ne se rendra pas à Baabda aujourd’hui. Cité par notre correspondante Hoda Chédid, Hadi Abou el-Hosn, député joumblattiste de Baabda, explique que « ces concertations sont une entorse à la Constitution et une atteinte à l’accord de Taëf. Il faut mettre fin à ce genre de manœuvres et former un gouvernement qui opérerait les réformes le plus rapidement possible », ajoute-t-il.
Enfin, toujours selon Hoda Chédid, le chef de l’État s’est entretenu par téléphone avec Nabih Berry qui pourrait se rendre à Baabda aujourd’hui.
La pression française
Entre-temps, face aux atermoiements locaux au sujet du cabinet, la France, dont le président Emmanuel Macron avait affirmé « jouer son capital politique au Liban », poursuit sa pression sur la classe politique libanaise. Hier, la porte-parole du Quai d’Orsay, Agnès von der Mühll, a estimé que « les différentes forces politiques libanaises doivent honorer » au plus vite « leurs engagements en favorisant la formation d’un nouveau gouvernement ». « La priorité au Liban doit aller à la formation rapide d’un gouvernement de mission qui puisse mettre en œuvre les réformes indispensables au relèvement du pays », a-t-elle déclaré en réponse à une question sur un éventuel prolongement des discussions en vue de la constitution de la nouvelle équipe. « L’ensemble des forces politiques libanaises ont souscrit à cet objectif. Il leur revient de traduire sans tarder cet engagement en actes. C’est leur responsabilité comme l’a souligné le président de la République lors de sa visite et comme nous continuons de le rappeler aux autorités libanaises », a-t-elle encore dit.
commentaires (24)
Est-ce que “tfeh” est politiquement correct ?!
Ayoub Elie
22 h 47, le 16 septembre 2020