Vingt-sept ans et un avenir prometteur qu’il n’aura pas eu le temps de concrétiser. Les autorités iraniennes en ont décidé autrement. Navid Afkari, champion de lutte gréco-romaine, a été pendu samedi matin dans une prison de la ville de Chiraz, dans le sud du pays. Motif de cette exécution? Le meurtre présumé d’un homme, Hassan Turkman, au cours de la vague de contestation antigouvernementale qui avait pris place en 2018. Le régime accuse également le jeune lutteur d’avoir participé à des manifestations illégales, assimilées à des « émeutes », d’avoir insulté le guide suprême Ali Khamenei et d’« inimitié avec Dieu ».
Le mouvement protestataire avait, il y a deux ans, débuté dans l’Est iranien, à Machhad, deuxième ville du pays. Porté par des slogans contre la corruption, des conditions socio-économiques difficiles et des pénuries d’eau, il s’était rapidement propagé à une quarantaine de villes dont la capitale, Téhéran. Les revendications des Iraniens n’étaient pas étrangères à Navid Afkari et à ses deux frères, Vahid et Habib. Tous trois travaillaient comme ouvriers du bâtiment à Chiraz. Tous trois s’étaient joints à leurs compatriotes. Mais d’après leur mère, Bahieh Namjoo, des agents de sécurité en civil se sont par la suite présentés au domicile familial et ont emmené Navid et Vahid. Plus tard, ce sera au tour de son troisième fils. Vahid Afkari est aujourd’hui condamné à 54 ans de prison, pour entre autres complicité de meurtre, tandis que Habib doit croupir 27 ans derrière les barreaux. Selon l’avocat de Navid Afkari, Hassan Younessi, les autorités ont dénié à son client le droit de voir sa famille une dernière fois, comme cela est pourtant prévu par la loi. Officiellement, la peine capitale a été appliquée comme une rétribution aux proches de la victime présumée. Mais pour M. Younessi, une rencontre avec la famille de la victime aurait dû avoir lieu hier pour « demander pardon » et ainsi éviter le pire.
« Ce cas a été très politisé. Une exécution ne se déroule pas si vite d’habitude et il reste la possibilité d’un nouveau procès. En général, dans le cas d’un meurtre, quand il y a un plaignant, la justice laisse le plus de temps possible à la médiation », explique Tara Sepehri Far, chercheuse sur l’Iran au sein de Human Rights Watch (HRW).
La mise à mort du lutteur a pris de court la communauté internationale qui s’était mobilisée avec ferveur au cours des derniers jours pour appeler les autorités du pays à renoncer à l’exécution du jeune homme. Mardi dernier, la World Player Association, un syndicat qui rassemble près de 85 000 athlètes, avait appelé à l’expulsion de la République islamique des compétitions sportives mondiales si la sentence était maintenue. Le président du Comité international olympique, Thomas Bach, avait écrit aux autorités iraniennes, leur demandant de faire preuve de pitié tout en assurant respecter la souveraineté du pays.
Aveux forcés
Comme toujours concernant le sort des condamnés, ce sont deux narratifs qui se sont confrontés plusieurs jours durant. Les autorités ont eu recours aux médias officiels pour propager leur version des faits en convoquant de manière intensive le registre de l’émotion. Elles ont, à cet égard, diffusé à la télévision d’État de la République islamique (IRIB) le 5 septembre une émission de onze minutes figurant, en larmes, les parents de Hassan Turkman qui y affirmaient que leur fils avait été assassiné et qu’ils avaient droit à une juste rétribution. Le programme présentait également Navid Afkari déclarant avoir poignardé Hassan Turkman dans le dos, sans aucune explication supplémentaire. Pour le média officiel, il s’agissait d’un « conflit personnel », mais aucun détail n’est fourni et l’affaire, telle que décrite, est restée cernée de flou.
Du côté des activistes et des ONG, on dénonce en revanche un aveu forcé visant à justifier la condamnation à mort et à détourner l’attention d’allégations graves de torture et de mauvais traitements. M. Afkari a déclaré dans une bande sonore sortie clandestinement de prison avoir été torturé jusqu’à ce qu’il accepte de confesser le crime. HRW indique que le jeune homme, dans une lettre manuscrite datant du 13 septembre 2019, a détaillé la violence subie dans deux centres de détention de Chiraz, comprenant des coups de matraque ou de bâton aux jambes, aux mains et à l’abdomen. On lui aurait également versé de l’alcool dans le nez et mis la tête dans un sac en plastique au point qu’il s’est senti suffoquer.
Amnesty international a rappelé dans un communiqué publié quelques jours avant l’exécution de M. Afkari que les autorités iraniennes collaborent depuis longtemps avec la télévision officielle pour produire et diffuser des déclarations forcées de personnes victimes de violations des droits humains. Dans le cas du lutteur, les zones d’ombre restent nombreuses. Hassan Turkman avait, dans un premier temps après sa mort, été présenté par les médias proches des services de renseignements comme un membre des forces de sécurité intérieure, avant d’être décrit comme un employé d’une société d’approvisionnement en eau. « Le pouvoir judiciaire ne donne pas beaucoup d’informations à cet égard, mais ils allèguent que le coup de poignard a eu lieu parce que Navid Afkari aurait pris Hassan Turkman pour un membre des forces de sécurité », commente Tara Sepehri Far.
Dans un rapport publié en juin, la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) ainsi que l’organisation Justice for Iran rapportent qu’en dix ans, les médias officiels iraniens ont diffusé plus de 355 aveux forcés, une accusation que rejettent fermement les autorités. Selon Amnesty International, plus de 251 personnes ont été exécutées l’an passé. Le pays caracole à la deuxième place du classement mondial en termes de mises à mort, juste après la Chine.
La pendaison de Navid Afkari intervient alors que le président des États-Unis, Donald Trump, s’était lui-même exprimé sur le sujet, appelant sur les réseaux sociaux les leaders iraniens à « épargner la vie de ce jeune homme ». Elle survient dans un contexte où Téhéran est étranglé par les sanctions américaines dont les conséquences économiques sont aggravées par la crise sanitaire liée au coronavirus. « L’exécution a eu lieu au mépris des protestations internationales. Le pouvoir essaye d’utiliser la politisation de l’environnement à l’extérieur pour réprimer la critique légitime contre ses actions à l’intérieur du pays », résume Tara Sepehri Far.
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Endoctrinée, endoctrinée, endoctrinée....... L''humanité l'a toujours été. Sa véritable nature enfouie sous les montagnes toxiques de l'apologie de notre si grande complexité. Celle d'insatiables avidités. Dans L'Oeuvre de Dieu, la Part du Diable semble l'emporter dans ces territoires, là bas mais aussi ailleurs, hier, aujourd'hui, demain encore, baignant dans les eaux troubles des religions.
Lillie Beth
11 h 47, le 15 septembre 2020