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Culture - Témoignages

Les voix des justes face à l’hécatombe de Beyrouth...

Voici les témoignages d’amitié, de fraternité, de compassion, de solidarité et d’empathie d’un nombre d’écrivains et d’intellectuels étrangers et libanais.

Les voix des justes face à l’hécatombe de Beyrouth...

Comme Thèbes rasée, comme Carthage détruite, comme Nagasaki bombardée, Beyrouth a été éventrée et pulvérisée par un immense champignon aux allures atomiques. Au cœur du port d’une Méditerranée qui bouillonne et gronde déjà, et surtout à proximité de paisibles citoyens. Une masse imposante de produits hautement explosifs a été criminellement stockée, au mépris de la sécurité des Libanais, dans le silence et l’indifférence de tous ceux qui détiennent le pouvoir.

Impossible de passer l’éponge cette fois car il y a responsabilité commune : celle de tout homme, de toute femme du gouvernement, de la tête aux pieds de la pyramide, en passant par ces parlementaires saisis soudain de mutisme et d’aphasie. L’hécatombe a eu lieu et la tragédie collective s’est installée entre misère, vallée de larmes, corps mutilés et lambeaux de chair dans les destructions de pans entiers de Beyrouth.

Les Libanais, qui ploient sous leur calvaire depuis des années, ont dit et crié leur colère… malgré les armes de la répression.

Une fois de plus, les tenants du pouvoir veulent que ce drame passe en toute impunité, sans conséquence sur leurs intérêts qu’ils aimeraient préserver pour l’éternité…Face à ce drame d’une ampleur inégalée, nous avons voulu interroger des intellectuels. Recueillir leurs mots sur le carnage à Beyrouth. La parole est à eux, qui savent tendre la main aux autres, être à leur écoute et mettre un peu de baume sur des cœurs blessés et meurtris. Le verbe est aux justes de bonne volonté. Voici leurs témoignages…

Dominique Fernandez (membre de l’Académie française, Prix Goncourt et Médicis) : « Beyrouth dévastée, Beyrouth en ruine ! C’était donc vrai, cette nouvelle incroyable ?

Une ville déjà si meurtrie, soumise à une nouvelle et plus terrible épreuve ? J’aime Beyrouth, j’y suis souvent allé, j’y ai des amis très chers, je pleure avec eux sur le martyre d’une cité qui était la perle de l’Orient. Des innocents sont morts, des immeubles éventrés, des quartiers soufflés par l’explosion, les sans-abri se comptent par centaines de milliers. Je m’associe à leur détresse. Et comment ne pas penser aussi à la destruction du patrimoine architectural, aux dommages que le palais Sursock et d’autres demeures historiques ont subis ? Le Liban est cher au cœur des Français, et ceux qui l’ont visité me chargent d’être leur porte-parole pour dire au peuple de Beyrouth leur chagrin et leur pitié. »

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Sophie Fontanel (romancière et écrivaine) : « C’est impossible ! Je voudrais le dire le plus simplement du monde : même si j’ai intégré depuis longtemps les tourments libanais, Beyrouth a toujours représenté pour moi un abri. C’est là que ma famille a trouvé refuge en fuyant le génocide arménien au début du siècle dernier. À Beyrouth, elle a pu reprendre haleine. C’est là qu’on lui a dit : “Soyez les bienvenus. Le cauchemar est terminé.” C’est là que ma grand-mère a perfectionné son français, ce qui allait lui permettre de débarquer un jour à Marseille avec des bribes de confiance en elle. C’est là, dans ce Beyrouth adoré, qu’on roule des r comme nulle part ailleurs, et comme pour arrondir les angles. C’est là que, aujourd’hui encore, on accueille de nouvelles générations d’exilés. Là que les cœurs sont ouverts. C’est pour ça, quand c’est arrivé, je me suis dit : “C’est impossible. Ça ne colle pas.” Cette ville ne peut pas être ainsi pulvérisée, ça ne se peut pas ! Les sanglots des proches au téléphone, l’avenir découragé, les vieillards dans la désolation de l’âme, les plafonds éventrés... Tout cela est contre nature. Quelque part, l’âme libanaise luit. Et elle vaincra. En attendant, c’est moi qui lui ouvre les bras. Juste retour des choses. Nous vous aimons. »

Alexandre Jardin (romancier, réalisateur, Prix Femina) : « Quand le Liban explose, c’est un morceau de la France qui saigne. Quand notre deuxième pays perd du terrain, c’est la France qui s’amoindrit. Quand le Liban remonte la pente avec la France, c’est nous tous qui remontons. Je souhaite de tout mon cœur français que notre effort soit maximal. Sommes-nous frères, cousins ?

Une chose est sûre, nous sommes de la même famille. »

Theresa Révay (écrivaine, traductrice) : « Nous portons tous en nous un rêve de Beyrouth. Comme une intuition. Son évocation résonne chez les êtres sensibles, qu’ils soient voyageurs, poètes ou historiens. Il y a toujours quelqu’un qui s’y rend ou qui en revient. C’est une ville au cœur du monde, aussi incontournable que les tragédies qu’elle endure hélas de siècle en siècle. J’ai regardé, effarée, les images dévastatrices de début août. Cet effroyable champignon de fumée. Pendant de longs mois, j’avais arpenté en esprit ses quais, ses ruelles et ses places ; j’avais étudié les photographies en noir et blanc d’une époque révolue. Mon rêve de Beyrouth est celui d’il y a cent ans. À travers l’héroïne de mon dernier roman, j’ai tenté de rendre hommage au martyre du peuple libanais lors de la grande famine de 1915. J’ai des amis chers qui portent cet héritage beau et terrible à la fois. J’aurai aussi la joie de compter bientôt dans ma famille une jeune Libanaise. Ce jour-là, le cœur plein d’émotion, je viendrai célébrer ses noces sur cette terre si singulière, dont le nom est aussi “renaissance”. »

Catherine Hermary-Vieille (romancière, Prix Femina) : « De la poussière, du sang, les appels des blessés. Quelques secondes plus tôt, le temps qu’il faut pour dire un mot d’amour, le ciel était bleu dans ce bel été méditerranéen, les lauriers en fleurs, les passants nonchalants. On entendait des rires d’enfants, de la musique venant des cafés.

L’apocalypse, une partie de la ville ravagée, anéantie, des joyaux historiques réduits à l’état de carcasse, partout des débris de vitres brisées, des encadrements de fenêtres, des portes arrachées de leurs gonds, des tuiles soufflées des toits, partout des décombres.

Beyrouth ne pleure pas encore, Beyrouth est pétrifiée. Un tel malheur dans une ville qui survivait déjà au jour le jour ? Une telle blessure ? Une telle douleur ? À cause de ce hangar qui abritait des tonnes et des tonnes de matière explosive, abandonné, oublié en pleine ville par ceux chargés de protéger leur peuple ?

Le monde entier est stupéfait. Pourtant, il est habitué aux guerres, le monde, aux violences, mais ce désastre dépasse l’imagination. L’âme d’une ville brisée, et quelle ville ! Beyrouth, la perle de l’Orient. La perle est broyée, mais le peuple, les Libanais, les Libanaises font de suite front. Pas un ne flanche. Ils sont dans ce pays de lait et de miel depuis toujours et ils y resteront pour toujours ancrés. Ils sont nos racines, notre culture, notre âme à tous. Moïra, fatum, le destin du Liban, c’est l’avenir, il y aura toujours un cèdre debout. »

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Philippe Rey (éditeur) : « Depuis un an, et particulièrement depuis le 4 août, nous sommes nombreux en France à nous sentir libanais. Nous admirons la capacité de résistance et de protestation d’un peuple qui, quoi qu’il arrive, sera toujours debout. Nous en parlons beaucoup entre nous, nous nous demandons comment agir à notre niveau, mais nous sommes si loin... Je voudrais ici dire combien mes pensées vont vers ces centaines de milliers de personnes qui ont perdu leur logement ou leur emploi, ces pères et mères de famille démunis, ces personnes âgées isolées et sans soutien... Mais aussi vers ma famille libanaise de Beyrouth et de Zouk, vers mes amis : Malaké et les libraires d’Antoine, Lady Yvonne et son fils Roderick qui a l’immense tâche de réparer le palais Sursock cher à mon cœur, Myriam et Georges qui, après la terrible guerre en Syrie, se retrouvent dans un Beyrouth troublé, mon auteure Carole Dagher qui m’a fait découvrir la splendide figure de Fakhreddine II, père du Liban, qui surmonta en son temps une si forte adversité et qui demeure un modèle aujourd’hui pour ses descendants qui veulent défendre leur pays et leur civilisation. Je crois en la force de rebond du peuple libanais, unique au monde, qui, par sa diversité, préfigure l’avenir de nos sociétés. J’appelle nos démocraties européennes à le soutenir et le protéger, et je lui envoie mes modestes mais bien affectueux encouragements. »

Myriam Antaki (romancière) : « L’enfant sans mains regarde la mer !

Le leurre des couleurs l’effraie ! Comment ce champignon blanc qui s’ouvrait plus grand que le ciel, plus beau que dans son livre de contes est devenu, par une sorcellerie de couleurs macabres, l’encre noire de la mort !

L’enfant sans mains regarde la mer, il ne comprend rien et cherche sa mère. Elle doit être partie pour lui chercher ses mains, mais il a mal de tout ce sang qui coule de lui ! Il a peur des pirates qui viendraient du fond des vagues, devenues soudain si brunes ! Pourtant son père lui racontait que les pirates étaient de simples voleurs qui pouvaient aussi ravager la terre ! Depuis trente ans, ils pillaient les fleurs du jardin, le lierre sur les murs, les bruits de la ville, les éclats de rire des passants ! Lui a trois ans et quatre jours ! C’est sûrement plus que trente ans !

L’enfant sans mains regarde l’infini et attend. Il est désormais sans nom, sans religion, sans parents !

Une ombre aussi ensanglantée que lui le porte pour le secourir, le sauver… Il sera peut-être l’enfant de demain, l’enfant de la paix. Ces quelques mots pour dire la douleur qui ouvre mais aussi l’espérance d’un peuple qui pleure pour dire qu’il vit encore. »

Michel de Grèce (écrivain et historien) : « Beyrouth sèche ses larmes. Beyrouth explose. Ce coup spectaculaire, dévastateur, atterrant, s’ajoute à une longue suite d’épreuves que depuis des décennies ce pays malheureux et merveilleux subit.

Cette bombe, au propre et au figuré, semble achever ce pays, naturellement fait pour l’harmonie et son hospitalité légendaire. Or ce qu’on pourrait croire son coup de grâce n’en est pas un, c’est au contraire le gong qui annonce son redressement. Je connais le Liban depuis 60 ans. J’y ai toujours été heureux et je m’y sens comme chez moi, reçu avec une extraordinaire générosité, entouré de ce peuple chaleureux, entreprenant, actif, gai. Mais derrière ce sourire, les Libanais et donc le Liban offrent un courage, une résistance que rien n’entame, et que j’ai pu mesurer. Toujours décidés à se relever, à reconstruire, à revivre. Toujours tournés vers l’avenir qu’ils créent de leurs propres mains.

Je suis infiniment triste pour Beyrouth, ville de mon cœur, et pour le Liban.

Mais je ne suis absolument pas pessimiste. Mon espoir pour ce pays et ses habitants est illuminé par ma confiance en eux, plus forte que jamais.

Beyrouth ne meurt pas. Beyrouth renaît. »

Ferrante Ferranti (photographe, architecte) : « En 1995, à l’occasion d’un Salon du livre qui traduisait les élans de reconstruction d’une élite fière et volontaire, je découvris une Beyrouth dévastée. Les bannières d’une exposition qui vantait les trésors patrimoniaux du Liban ondulaient dans la nef inondée de l’église Saint-Georges exposée à tous les vents. Je ne revins qu’en 2009 avec pour mission privilégiée de photographier le palais Sursock, fleuron de l’architecture beyrouthine miraculeusement épargné par la guerre. Il narguait de toute sa splendeur les grues des chantiers environnants, au cœur d’une ville où quelques demeures décaties résistaient aux immeubles flambant neufs et inhabités. La ruine de la Maison jaune, avenue de Damas, devait alors devenir le symbole de la ville ressuscitée !

Puis la rencontre avec le photographe Serge Najjar, chantre poétique d’une ville en pleine transformation, me permit de côtoyer une génération d’artistes avide de témoigner d’un présent toujours plus fragile et éphémère. La tragédie du 4 août – que les réseaux sociaux ont gravée avec horreur dans les yeux de la planète mais avant tout dans la chair de tout un peuple – a prouvé, hélas, qu’il était bien plus vulnérable encore. À vous mes amis libanais, qui m’avez accueilli avec l’hospitalité légendaire de l’Orient, mais aussi à tous ceux qui, tous âges confondus, assoiffés de justice et de respect, m’ont démontré sur la place des Martyrs un certain 1er novembre 2019 leur force et leur résilience, j’exprime ma compassion et mon admiration pour votre sol. »

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Marc Held (architecte, designer, photographe ) : « Mes chers sœurs et frères du Liban, comment ne pas être déchiré, désespéré après ce qui vient de vous arriver ? Le malheur, la violence, la misère sont partout, je le sais, mais lorsque vos proches, vos très proches sont frappés, la douleur est plus grande encore. Avant de vous rencontrer, avant d’être accueilli par vous comme si je rentrais chez les miens, je n’avais pas réalisé à quel point nous appartenons à la même fratrie. En découvrant chez vous, mes amis, une si profonde culture commune mais associée à une chaleur des sentiments et à une générosité trop souvent disparues ici, j’ai compris que vous étiez en quelque sorte comme des Français mais en mieux. Comme le disent du fond du cœur les enfants d’aujourd’hui : “Mes chers sœurs et frères, comme je vous aime !” »

Hassan Ajami (philosophe de langue arabe et poète scientifique) : « L’explosion n’a pas eu lieu seulement à Beyrouth mais dans le cœur et l’esprit de chaque Libanais. Et elle n’a pas tué seulement ceux qu’elle a tués mais a tué aussi chaque Libanais. Cette explosion était le dernier message d’adieu pour le rêve des Libanais d’être dans une véritable patrie qui gère le bien de tous les citoyens et respecte leurs droits. L’explosion de Beyrouth est le symbole même de la corruption. La corruption et le confessionnalisme sont des jumeaux qui naissent ensemble et gouvernent ensemble. Pour cela, l’explosion du Liban n’est que le fatal résultat d’un système dictatorial libanais par son confessionnalisme. La nation n’est que droit et obligation. Si les deux sont absents, c’est que tout disparaît. La patrie n’est que la volonté et les aspirations des citoyens qui se réalisent. Pour cela, la patrie est une vision du futur, avec ses projets et ses réalisations. Et cela ne peut être qu’avec les décisions et la volonté de la population. De là, les peuples qui échouent à concrétiser leurs décisions dans le futur sont voués à vivre sans patrie. Pas de salut au Liban sauf en se libérant de son système et la création d’un État basé sur le droit au lieu de la gouvernance confessionnelle et ses diktats. La différence entre État et patrie, c’est que l’État est un système politique sujet à être changé, tandis qu’une patrie, ce sont les droits inaliénables et intouchables des citoyens. »

Comme Thèbes rasée, comme Carthage détruite, comme Nagasaki bombardée, Beyrouth a été éventrée et pulvérisée par un immense champignon aux allures atomiques. Au cœur du port d’une Méditerranée qui bouillonne et gronde déjà, et surtout à proximité de paisibles citoyens. Une masse imposante de produits hautement explosifs a été criminellement stockée, au mépris de la...

commentaires (1)

Que ça fait du bien de lire ces témoignages d’intellectuels surtout lorsque le silence assourdissant des intellectuels libanais se fait de plus en plus pesant pour tous les libanais qui attendaient un manifeste, une tribune, un mot , ou n’importe quoi qui témoigne de leur empathie et de leur solidarité avec leur compatriotes qui souffrent, où qu’ils se trouvent. Où est leur révolte? Pourquoi aucun ne dénonce ce qui se passe dans leur mère patrie? Pourquoi ce silence coupable qui laisse toute la place aux obscurantistes et vendus d’occuper la majeure place dans les médias? On dirait qu’ils sont devenus muets et sourds comme nos irresponsables et dépourvus de toute empathie envers leurs lecteurs et compatriotes d’antan. Nous avons une bonne mémoire ne l’oubliez pas. Ça n’est pas la peine de publier des livres plus tard relatant les catastrophes en déclamant votre patriotisme et l’ attachement à votre pays, on ne vous croirait pas car vous n’êtes pas crédibles.

Sissi zayyat

21 h 10, le 11 septembre 2020

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Commentaires (1)

  • Que ça fait du bien de lire ces témoignages d’intellectuels surtout lorsque le silence assourdissant des intellectuels libanais se fait de plus en plus pesant pour tous les libanais qui attendaient un manifeste, une tribune, un mot , ou n’importe quoi qui témoigne de leur empathie et de leur solidarité avec leur compatriotes qui souffrent, où qu’ils se trouvent. Où est leur révolte? Pourquoi aucun ne dénonce ce qui se passe dans leur mère patrie? Pourquoi ce silence coupable qui laisse toute la place aux obscurantistes et vendus d’occuper la majeure place dans les médias? On dirait qu’ils sont devenus muets et sourds comme nos irresponsables et dépourvus de toute empathie envers leurs lecteurs et compatriotes d’antan. Nous avons une bonne mémoire ne l’oubliez pas. Ça n’est pas la peine de publier des livres plus tard relatant les catastrophes en déclamant votre patriotisme et l’ attachement à votre pays, on ne vous croirait pas car vous n’êtes pas crédibles.

    Sissi zayyat

    21 h 10, le 11 septembre 2020

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