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Économie - Finance

Crise : Riad Salamé toujours sur la défensive

Le gouverneur de la Banque centrale a indiqué que le traçage des fonds et la légalisation du contrôle des capitaux ne sont pas de son ressort.

Crise : Riad Salamé toujours sur la défensive

Cible des critiques depuis le début de la crise qui a éclaté il y a un an, le gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, ne démissionnera pas. Jamil Saïdi/Reuters.

Le gouverneur de la Banque du Liban (BDL), Riad Salamé, en place depuis 1993 et dont la gestion de la situation financière et monétaire du pays a été la cible de critiques virulentes depuis le début de la crise qui a éclaté il y a un an, ne démissionnera pas. C’est en tout cas ce qu’il a assuré face à la journaliste Hadley Gamble – qui l’avait déjà rencontré par le passé – dans une interview d’une demi-heure diffusée hier sur la chaîne américaine CNBC, une semaine après un autre entretien accordé celui-ci à la chaîne Sky News Arabia.

Le gouverneur a une nouvelle fois répété que la crise n’avait pas été provoquée par les choix de politique monétaire de la Banque centrale et que ces dernières avaient au contraire permis de « maintenir le pays à flot » depuis la fin de la guerre civile en général et ces derniers mois en particulier, marqués par de « nombreux chocs » survenus ces douze derniers mois.

Il a cité les sanctions américaines visant Jammal Trust Bank annoncées en août 2019 ; la fermeture des banques dans le sillage du début de la contestation contre la classe dirigeante qui a démarré le 17 octobre dernier ; le défaut annoncé en mars sur le paiement des eurobonds (obligations d’État en dollars) ; l’impact du Covid-19 sur le tourisme, une des principales sources de devises du pays, qui en a besoin pour financer ses importations ; et la double explosion du port de Beyrouth le 4 août.

« Pas un criminel »

« Je ne pense pas être un criminel (…) mais je suis le gouverneur qui a essayé, avec les moyens que nous avons, de maintenir le système. Nous y sommes parvenus mais il y a eu des dommages collatéraux », a-t-il répondu d’emblée à la première question de la journaliste. Il a cité parmi ces « dommages » le « développement d’un marché noir du dollar », à qui il attribue la majeure partie de la responsabilité de la chute de la livre face au billet vert à des niveaux jamais vus – environ 7 500 livres pour un dollar hier chez les revendeurs illégaux, contre 3 900 pour ceux agréés et une parité officielle de 1 507,5 livres toujours maintenue pour une partie des opérations bancaires. Il y a une semaine, il avait estimé à 4 millions de dollars par jour le volume des transactions transitant par le marché noir, un montant qu’il avait alors qualifié de « marginal » et dont il n’avait pas donné de précision sur la façon dont la BDL avait pu le calculer.

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Le gouverneur a ensuite martelé qu’il n’avait pas l’intention de quitter son poste. « Je ne veux pas démissionner car je poursuis avec ce que j’ai en tête, une stratégie pour sortir de cette crise, et je suis désolé des rumeurs qui circulent tous les jours sur ma démission », a-t-il affirmé. Un peu plus tôt lors de l’entretien, il avait en outre jugé que « démissionner dans un contexte de crise » s’apparentait à une « fuite ». Le gouverneur n’a toutefois donné aucune indication concernant sa stratégie. Dimanche soir, il a notamment annoncé travailler sur un système de « cartes d’achats » pour remplacer les subventions sur le taux de change dont bénéficient les importations de certaines denrées alimentaires. La BDL a également publié fin août des circulaires critiques pour le secteur bancaire sur lesquelles Riad Salamé est revenu plus en détail au fil de l’entretien.

« Les Libanais ne devraient pas croire que c’est la BDL qui est responsable de (la crise financière). Nous n’avons pas créé le déficit (budgétaire, NDLR), nous avons toujours appelé à une réduction de ce déficit. Nous n’avons pas non plus créé le déficit de la balance courante (la somme entre la balance commerciale, celle des revenus et celle des transferts courants, NDLR) », s’est-il encore défendu, considérant que ces deux déficits avaient fait perdre « 81 milliards de dollars au pays sur les cinq dernières années ».

Il a une fois de plus considéré que la loi libanaise et plus particulièrement le code de la monnaie et du crédit, qui définit les contours de la mission de la BDL, ne lui conféraient aucune autorité pour refuser de financer le gouvernement dans ces conditions. Contactée, une source financière a qualifié cette position comme « symptomatique d’une classe dirigeante libanaise qui a tendance à s’obstiner dans la même voie alors que tous les indicateurs démontrent que les décisions prises ont des conséquences de plus en plus néfastes ». « Mais le gouverneur a raison quand il dit que les problèmes du pays ne peuvent pas être réglés uniquement avec les outils de politique monétaire et qu’il dénonce l’absence d’efforts déployés par les autorités pour réduire les déficits structurels du pays », conclut-elle.

Circulaires n° 154 et 567

Riad Salamé a également défendu sa position vis-à-vis des banques qui ont vivement critiqué en interne les dernières décisions prises par la Banque centrale concernant l’ajustement de leurs ratios de liquidités ou encore le rapatriement d’une partie des fonds transférés hors du pays entre juillet 2017 et fin août 2020. Justifiant ces mesures par la nécessité pour les banques d’être financièrement capables de répondre aux demandes de leurs clients, il a ajouté que ces nouvelles dispositions fixaient des objectifs et donnaient la liberté aux banques de choisir les moyens de les atteindre. Une source bancaire rappelle que ce n’est pas le gouverneur seul qui pilote la rédaction et la publication de ces circulaires mais le conseil central de la BDL, dont la composition a été partiellement renouvelée par le gouvernement sortant de Hassane Diab.

Plus précisément, les nouveaux règlements imposent aux banques locales de demander à leurs clients ayant transféré plus de 500 000 dollars à l’étranger entre le 1er juillet 2017 et fin août de les convaincre de rapatrier au moins 15 % de ces montants dans un compte bloqué pendant cinq ans. Cette proportion monte à 30 % pour les membres des conseils d’administration des banques, les grands actionnaires ou encore les personnes politiquement exposées. Le point de départ de la période couverte n’est pas anodin, car c’est en effet entre 2016 et 2019 que les dernières ingénieries financières lancées par la BDL avec certaines banques du pays pour doper ses réserves de devises ont eu lieu (en juillet 2017, les bénéficiaires sont supposés avoir réglé leurs impositions sur les bénéfices réalisés lors de l’année précédente). Ces ingénieries fondées sur des échanges de titres de dette libanaise ont permis aux banques d’attirer des capitaux en proposant des rendements élevés sur les dépôts issus de l’étranger.

Les nouveaux textes repoussent aussi l’obligation pour les banques d’augmenter leurs capitaux de 20 % par rapport à leurs niveaux à fin 2018 – une demande formulée en novembre 2019 mais qui n’a pas été suivie par une majorité des banques –, en précisant que les établissements qui ne l’auront pas fait d’ici à février 2021 seront exclus du marché. Ils exigent en outre des banques de maintenir des liquidités dans leurs banques correspondantes à hauteur de 3 % de l’ensemble de leurs dépôts, entre autres.

Ces dispositions, qui ont été pointées du doigt par plusieurs experts – notamment l’avocat aux barreaux de Beyrouth et de Paris, Nasri Diab, dans une récente analyse –, sont réparties entre plusieurs articles contenus dans les circulaires n° 154 et n° 567 publiées fin août. L’Association des banques du Liban (ABL) a pour sa part adressé une série de questions à la BDL concernant les modalités d’application d’une partie des mesures prévues, à savoir : les moyens de pression concernant le rapatriement, la question des comptes joints de personnes non résidentes ; la question des comptes des entreprises. L’ABL a également souligné que ces circulaires évincent le peu de confiance restant dans le secteur bancaire et dit craindre que leur mise en application expose les banques à des poursuites au Liban comme à l’étranger.

« Suivre l’argent »

Le gouverneur s’est enfin défendu sur plusieurs dossiers mis à sa charge. S’agissant du traçage des fonds transférés à l’étranger depuis le 17 octobre 2019, soit quand les restrictions bancaires ont commencé à se généraliser, il a affirmé qu’il n’était pas en mesure de le faire. Lorsqu’un transfert est demandé, « nous ne pouvons pas suivre l’argent car nous ne traitons pas d’opération pour des tiers. Nous transférons les fonds du compte de la banque au Liban à celui qu’elle possède à l’étranger, mais nous n’avons aucune visibilité sur sa destination passé ce point », a-t-il exposé. En juillet, l’ancien directeur général du ministère des Finances, Alain Bifani, avait assuré qu’une « analyse des données des transactions bancaires des neuf mois précédents montrait qu’entre 5,5 et 6 milliards de dollars » avaient été transférés en contrebande hors du pays par « des banquiers qui n’autorisent pas aux déposants de retirer 100 dollars » de leurs propres comptes.

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Vers une légalisation du contrôle des capitaux d’ici à un mois ?

Il a aussi indiqué que la légalisation du contrôle des capitaux n’était pas du ressort de la BDL, mais de celui du Parlement. En réalité, la loi libanaise ouvrait la possibilité à la Banque centrale de restreindre la circulation des capitaux pour protéger la monnaie locale et le système financier, une prérogative exceptionnelle et limitée dans le temps – le temps justement que le Parlement réagisse. Le gouverneur a en outre évoqué le fait que les dépôts des banques avaient baissé de « 31 milliards de dollars en un an », que 7 milliards de dollars avaient été retirés en espèces sur la même période et que le portefeuille de crédit des banques a diminué de 18 milliards de dollars. Il a enfin assuré que la BDL avait transféré plus de dollars aux banques « entre 2017 et juin 2020 » qu’elle n’en avait reçu de leur part, évoquant un excédent de 11,3 milliards de dollars – en devises. Contactés, deux banquiers n’ont pas pu retrouver ce chiffre, l’un d’entre eux indiquant toutefois qu’il devait s’agir du solde des transactions courantes entre la BDL et les établissements bancaires, avant de rappeler que la première devrait dans l’absolu plusieurs dizaines de milliards de dollars aux secondes liées à des certificats de dépôts à terme par encore arrivés à échéance.

Le gouverneur de la Banque du Liban (BDL), Riad Salamé, en place depuis 1993 et dont la gestion de la situation financière et monétaire du pays a été la cible de critiques virulentes depuis le début de la crise qui a éclaté il y a un an, ne démissionnera pas. C’est en tout cas ce qu’il a assuré face à la journaliste Hadley Gamble – qui l’avait déjà rencontré par le passé...

commentaires (9)

Il la dit aux autorites mille fois....

ASSOCIATION PHILIPPE JABRE

14 h 09, le 09 septembre 2020

Tous les commentaires

Commentaires (9)

  • Il la dit aux autorites mille fois....

    ASSOCIATION PHILIPPE JABRE

    14 h 09, le 09 septembre 2020

  • Tous les libanais sensés ont défendu votre poste et non votre personne car ils savaient ce qui se tramait derrière. Le pouvoir voulait vous remplacer par un de leur pion pour continuer le massacre. Ceci dit lorsque vous vous débiner en disant que vous n’avez pas autorité à refuser des sommes réclamées par le pouvoir est un grand mensonge pour les libanais comme moi qui n’ont aucune notion d’économie étatique ou de gestion de fonds à grande échelle. Mais cependant un simple bon sens. Comment continuer à avancer de l’argent à qui que ce soit lorsque cet argent n’existe plus? Votre devoir était de dire nous n’avons plus de sous. Nous sommes endettés et avons des échéances à respecter pour honorer nos engagements pour que ce pays puisse continuer à fonctionner et à être crédible pour demander des prêts. Vous ne l’avez pas fait. Donc en tant que gouverneur bien avisé vous avez manqué à votre devoir de protéger ce pays du désastre annoncé et ce en connaissance de cause. POURQUOI? Personne ne pouvait vous tenir pour responsable pour l’assèchement des fonds, par contre continuer à creuser les crédits et dépenser l’argent que nous n’avons pas est de votre responsabilité quoi que vous prétendez. Alors arrêtez vos blabla et dénoncer les personnes qui ont mis ce pays dans cet état et avouez votre part de responsabilité car vous êtes responsable de ce drame aussi.

    Sissi zayyat

    12 h 21, le 09 septembre 2020

  • je le repete, R Salameh & Co - presque Kelloun- sont coupables au moins quelque part . Soit on les fait tous payer soit on les disculpe tous. POINT ! PERIOD ! AFFAIRE CONCLUE !

    Gaby SIOUFI

    11 h 52, le 09 septembre 2020

  • Il est facile de critiquer derrière son écran ce monsieur mais il lui a fallu du cran pour slalomer entre le Hezbollah et les Syriens pour ne pas désintégrer le système bancaire Libanais et cela malgré toutes les menaces et pressions de toutes sortes il a su résister et faire appliquer ses prises de positions comme Rafic Hariri qui même pour respirer devait demander l’autorisation aux Syriens et à leurs acolytes Libanais .Ce qui lui a permis de faire renaître Beirut et la sortir des ruines de la guerre mais hélas rapidement ré enseveli par les velléités de guerre du camp pasdarani !

    PROFIL BAS

    11 h 29, le 09 septembre 2020

  • "... Je ne pense pas être un criminel ..." - combien de gens coupables pensent la même chose? 99%? 99.9%?

    Gros Gnon

    10 h 32, le 09 septembre 2020

  • nous payons, pour une des plus grosses fautes de monsieur Salame, celle d'avoir accepte, a la demande de monsieur Rafic Hariri, de dollariser la dette, alors que monsieur Michel el Khoury avait refuse de le faire, d'ou sa demission en 93.

    Citoyen lambda

    08 h 49, le 09 septembre 2020

  • Alors

    Citoyen lambda

    08 h 44, le 09 septembre 2020

  • "Le gouverneur de la Banque centrale a indiqué que le traçage des fonds et la légalisation du contrôle des capitaux ne sont pas de son ressort". C'est un peu facile ca comme réponse. C'est la débandade complète. Et vous êtes toujours en place à essayer de justifier toutes les magouilles passées et présentes. Démissionnez!! Balancez tout le monde!! The game is over. Vous avez été tous trop loin. Qu'on puisse enfin y voir clair. Ca pourra pas j'espère être pire.

    Sybille S. Hneine

    08 h 30, le 09 septembre 2020

  • Mr SALAMÉ En premier lieu je tiens à vous remercier du plus profond de mon Cœur ce que vous avez fait et ce que vous ferez pour essayer de sauver la Monnaie de notre PAYS .Ceci je répète est un coup monté pour vous injecter de la place ou vous etes et ça je le soupçonnais depuis que l article (d un protège un dénommé C....de la clique qui est au pouvoir avait écrit sur ce journal il y a quelques mois ). Son mentor voulait le mettre à votre place et n arrive pas . Malgré que je risque de perdre 90% de mon patrimoine dans cette crise et 60:années de travail je vous en supplie rester ou vous êtes et essayer de faire le Maximun. Pour soulager le pauvre peuple LIBANAIS . Avec vous les Émigrés reprendrons confiance dans notre si beau Pays et les fonds rentrerons à nouveau . Ne laissez pas notre si beau Pays venir un 3 eme après Iran et Venezuela Que Dieu vous aide dans votre Tâche et vous Benisse Albert. FAHD

    Albert Fahd

    07 h 33, le 09 septembre 2020

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