
Moustapha Adib s’exprimant à l’issue des consultations non contraignantes à Aïn el-Tiné. Hassan Ibrahim/Parlement libanais
On aurait cru que le ton ferme que le président français, Emmanuel Macron, a adopté face aux chefs de file qu’il avait rencontrés mardi à la Résidence des Pins ainsi que les engagements que les dirigeants libanais ont pris devant lui permettraient la formation rapide du prochain gouvernement. Une équipe ministérielle que la communauté internationale attend d’ici à une quinzaine de jours. Hélas, encore une fois, on semble loin du compte.
Quelques heures après le départ du président Macron pour Bagdad, les tiraillements politiciens ont repris de plus belle, menaçant de retarder le « gouvernement de mission » pour lequel plaide et œuvre depuis le 6 août le président français. Et pour cause : un nouveau round du traditionnel règlement de comptes politiques entre le président de la Chambre, Nabih Berry, et le leader du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, s’est annoncé hier. « Le contreseing chiite au ministère des Finances est une question de principe. Et le Premier ministre désigné connaît bien le tissu politique libanais », a affirmé Ayoub Hmayyed, député berryste de Bint Jbeil, à la chaîne LBCI. Il s’exprimait en marge des consultations parlementaires non contraignantes que Moustapha Adib a menées hier à Aïn el-Tiné (et non au Parlement qui a subi d’importants dégâts à la suite de la double explosion du 4 août), lançant ainsi officiellement les tractations gouvernementales. Il y avait rencontré, outre les blocs parlementaires, le président de la Chambre et Tammam Salam, ancien chef de gouvernement.
C’est ainsi que M. Hmayyed a fait savoir que sa formation insiste pour obtenir le portefeuille des Finances. Aux côtés de l’Intérieur, de la Défense et des Affaires étrangères, ce ministère est qualifié de régalien. Ces quatre postes sont généralement détenus par les sunnites (Intérieur), les maronites (Affaires étrangères), les grecs-orthodoxes (Défense) et les chiites (Finances). Au-delà de cette répartition communautaire, et en l’absence de réformes du système confessionnel en vigueur, les chiites considèrent qu’ils sont exclus de tout contrôle du travail de l’exécutif. En obtenant cette fameuse « troisième signature » des décrets, aux côtés de celles du chef de l’État et du Premier ministre, les chiites se voient associés à ce processus de contrôle.
Quoi qu’il en soit, venu à la tête d’une délégation du groupe parlementaire Le Liban fort, le leader du CPL n’a pas tardé à répondre à son collègue de Bint Jbeil. Ne voulant pas être tenu pour le chef de parti qui impose des conditions au Premier ministre désigné et entrave sa mission, Gebran Bassil a soigneusement choisi ses mots pour évoquer la question du ministère des Finances, sans s’en prendre directement au président de la Chambre. « Devant le Premier ministre, nous avons formulé le souhait que soit respecté le principe de la rotation des ministères comme ce fut le cas en 2014 (sous le gouvernement Salam) », a-t-il déclaré à l’issue de la réunion avec Moustapha Adib, avant d’ajouter : « Aucun ministère ne devrait être consacré à une communauté religieuse ou un parti politique. »
Ces propos s’annoncent comme le prélude d’un bras de fer qui pourrait opposer MM. Berry et Bassil autour du portefeuille des Finances. Mais certains milieux politiques rappellent dans ce cadre que M. Bassil et son parti, qui brandissent aujourd’hui la rotation des postes ministériels, ont géré le ministère de l’Énergie et celui des Affaires étrangères pendant de longues années et sous plusieurs gouvernements, comme s’ils étaient leur chasse gardée. Il reste que le chef du CPL, et dans une volonté de se conformer à l’initiative française lancée par Emmanuel Macron, a tenu à affirmer que son parti n’a aucune demande concernant la future équipe. « Il nous importe que le prochain gouvernement réussisse et que ses membres soient dotés d’expérience, d’aptitudes, de productivité et d’honnêteté », a dit M. Bassil, insistant sur l’importance de la coopération entre le cabinet et le Parlement.
Le mouvement Amal et le Hezbollah se sont efforcés, eux aussi, d’assurer qu’ils faciliteront la tâche à M. Adib. « Nous sommes prêts à collaborer avec le Premier ministre, parce que nous sommes conscients de la difficulté de la situation », a ainsi déclaré Mohammad Raad, chef du bloc parlementaire du Hezbollah, à la tribune à Aïn el-Tiné, appelant à la mise en œuvre des réformes faisant l’objet d’un consensus généralisé.
Une équipe d’experts indépendants
Plusieurs partis et députés indépendants se sont montrés favorables hier à un gouvernement d’experts politiquement indépendants, qui n’aurait d’autre mission que la mise en œuvre des réformes structurelles exigées par la communauté internationale et le mouvement de contestation. C’est le cas du bloc du Futur, dont le chef, Saad Hariri, s’est absenté, en dépit de son appui à la nomination de Moustapha Adib. C’est donc Bahia Hariri, députée de Saïda, qui a exprimé cette position au nom du parti. « Nous sommes pour un cabinet de spécialistes dans les plus brefs délais, parce que le pays n’a pas le luxe du temps », a-t-elle déclaré à sa sortie de Aïn el-Tiné.
De même, la Rencontre démocratique au nom de laquelle s’est exprimé Hadi Abou el-Hosn, député joumblattiste de Baabda, a appelé à la mise sur pied d’un cabinet de spécialistes le plus rapidement possible. M. Abou el-Hosn a, en outre, énuméré quelques secteurs que le prochain gouvernement devrait réformer. Il s’agit notamment de celui de l’électricité, un secteur qui doit être doté d’un autorité de régulation, et des finances publiques. Une liste à laquelle s’ajoutent la réforme du secteur bancaire et des douanes ainsi que la mise en application des permutations et nominations judiciaires, un dossier qui avait longtemps opposé le chef de l’État, Michel Aoun, et la ministre sortante de la Justice, Marie-Claude Najm, au Conseil supérieur de la magistrature.
Tout comme les joumblattistes, les Forces libanaises ont dressé une liste des secteurs que l’équipe de Moustapha Adib devrait réformer. Selon Georges Adwan, député FL du Chouf, il s’agit notamment de l’électricité, des télécoms, de la lutte contre la contrebande et la corruption, sans oublier l’audit juricomptable de la Banque du Liban.
Prenant la parole à l’issue de la rencontre du bloc FL avec le Premier ministre désigné, Georges Adwan a fait savoir que son parti ne participera pas à la prochaine équipe et ne proposera pas de noms de ministrables. Il a prôné, en outre, une équipe de spécialistes indépendants. De son côté, Chamel Roukoz (député indépendant du Kesrouan) s’est déclaré hostile à la façon dont M. Adib a été désigné, dénonçant « une imposition »; une remarque qui sonne comme une critique du forcing d’Emmanuel Macron pour la mise sur les rails des tractations gouvernementales.
S’exprimant en fin de journée, Moustapha Adib a, lui, dit espérer pouvoir former « rapidement un gouvernement homogène d’experts indépendants qui parviendrait à regagner la confiance des Libanais et de la communauté internationale ».
commentaires (18)
Macron parti, les tiraillements irresponsables (des irresponsables qui nous gouvernent) refont surface.
DJACK
20 h 05, le 05 septembre 2020