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Culture - Tour d’horizon

« Vous parlez de résilience ? La nôtre est un cadavre ! »

La directrice générale de l’Unesco Audrey Azoulay a clôturé sa visite à Beyrouth en rencontrant les artistes et les architectes qui l’ont exhortée à sauver « l’esprit de Beyrouth ».

« Vous parlez de résilience ? La nôtre est un cadavre ! »

La directrice générale de l’Unesco a clôturé sa visite à Beyrouth en écoutant les points de vue des architectes et des artistes. Photo Marwan Assaf

Lors de sa visite au Liban, la directrice générale de l’Unesco, Audrey Azoulay, a rencontré, dans les jardins du musée Sursock lourdement endommagé, un groupe d’architectes qui lui ont exposé le projet Built Beirut Initiative pour la reconstruction des quartiers dévastés. Elle s’est également entretenue avec des membres de la scène artistique et culturelle qui lui ont confié les problèmes auxquels ils sont désormais confrontés.

La première préoccupation qu’on retrouve dans la bouche de tous les artistes concerne l’urgence de rebâtir l’ensemble du tissu urbain socio-économique des secteurs de Gemmayzé et Mar Mikhaël, où ils avaient installé leurs ateliers. « Nous sommes peut-être la seule communauté non confessionnelle et apolitique, partageant une même croyance : le respect de l’œuvre. C’est cette communauté qui a été attaquée. Quelle sorte de ville aurons-nous si les artistes d’aujourd’hui, si les lieux d’expression, dans toute leur diversité, n’y ont plus leur place ? » fait observer l’un d’eux, non sans rappeler dans la foulée que « grâce aux secteurs de l’art et de la restauration, on a évité la destruction du patrimoine bâti de ces quartiers, où les bailleurs de fonds se ruent aujourd’hui, menaçant de chambouler le paysage historique d’une zone qui a su garder son âme ! »

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Autre problème soulevé, celui de la liberté d’expression, de plus en plus en péril au Liban. Réclamant le soutien de l’Unesco, un homme de théâtre pointe du doigt certains gouvernants qui « s’acharnent à censurer nos opinions parce qu’elles sont l’antithèse de leur culture. L’Unesco doit inscrire dans son programme le binôme reconstruction et liberté ». Malgré les effets d’une crise économique sans précédent, l’art, dans toute sa diversité, ne cesse de s’épanouir avec un dynamisme à toute épreuve, aussi est-il « crucial de placer cette communauté sous la protection de l’Unesco », plaide un autre artiste, affirmant que « si elle disparaît, il n’y aura plus d’interlocuteurs et des valeurs communes avec l’Occident et ce ne sera plus jamais le même Liban ».

L’un des participants à cette réunion lance : « Vous parlez de résilience ? La nôtre est un cadavre. Tout le monde a perdu espoir. Nous avons mis 15 ans pour construire un théâtre, il a été détruit en trois secondes. »

Le directeur d’une école de musique, qui a vu trois de ses antennes gravement endommagées, affirme que « les étudiants n’ont plus ni la force de se concentrer ni l’enthousiasme de jouer. Ils sont à bout de force et certains d’entre eux ont décidé de quitter le pays ».

« De plus en plus, des jeunes, qui sont la valeur ajoutée du Liban, partent s’installer en Europe ou au Canada », enchaîne un autre, avant de se lancer dans une diatribe contre les politiques, enjoignant la directrice générale de l’Unesco à être « la force de dissuasion contre les prédateurs et les oligarchies économiques, qui empêchent la mise sous étude de cette zone et sa reconstruction. Nous vous sollicitons de pallier l’absence de l’État en créant une structure pour rassembler les fonds nécessaires à la réhabilitation des bâtiments et entreprendre la bonne gouvernance de cette opération ».

En ce qui concerne les problèmes politiques et l’incapacité du gouvernement, abordés par la société civile, Audrey Azoulay s’est voulue claire : « Si on parle de la perdition des bâtiments, je peux répondre. En revanche, la politique est votre combat. Il y a des choses que je peux faire, il y a des choses que je ne peux pas dire ou faire. » Et d’ajouter : « L’Unesco est une force médiatique et morale. » Comprendre : sans pouvoir de sanction...

En première ligne, Beirut Heritage Initiative

La rencontre d’Audrey Azoulay avec les artistes a été suivie par une réunion avec les architectes membres de l’Apsad (Association pour la protection des sites et demeures anciennes), de l’ACA (Arab Center for Architecture) et de Built Heritage Rescue 2020 (BHR 2020), en présence du directeur général des Antiquités Sarkis Khoury, de l’ambassadrice déléguée permanente du Liban auprès de l’Unesco à Paris Sahar Baassiri, du président de l’ordre des ingénieurs et architectes de Beyrouth Jad Tabet, les membres du comité de Beirut Heritage Initiative (BHI), dont l’action a été présentée par l’ancien ministre de la Culture Rony Arayji.

M. Arayji a tenu tout d’abord à préciser que le patrimoine architectural souffrait déjà de négligence avant d’être dévasté par la catastrophe du port. « En 2006, nous avons beaucoup travaillé pour les préserver, avec Sarkis Khoury, un homme dont je salue l’honnêteté et la transparence, qualités rares chez nos fonctionnaires. Mais pour revenir à l’actualité, il nous faut des moyens financiers pour reconstruire ce qui a été détruit par la double explosion, a dit l’ancien ministre. C’est pourquoi nous avons créé la BHI avec la collaboration totale de la DGA, de l’ordre des ingénieurs et architectes, de la municipalité de Beyrouth, du mohafez, ainsi que du barreau, qui réglera légalement les problèmes entre propriétaires et locataires. » Afin que toutes les énergies soient canalisées vers le même but, nous travaillons sur le terrain avec l’Apsad, l’ACA et BHR 2020. La Fondation nationale du patrimoine, qui a à son actif la restauration du musée national de Beyrouth, après la guerre de 1975-1990, offrira son infrastructure à la réception des fonds. M. Arayji a également indiqué que la BHI a établi une procédure pour l’emploi des donations, ainsi que leur utilisation à bon escient. « Nous avons monté une structure légale, professionnelle, qui obéira aux standards les plus élevés de la transparence et de la bonne gouvernance. Nous avons pris l’engagement de démontrer que la corruption et la “malgérance” ne sont pas une fatalité au Liban. » Et l’ancien ministre de la Culture de préciser qu’un audit international procédera à la vérification des dépenses, tandis qu’une société internationale réceptionnera les travaux.

Félicitant l’assemblée pour « cette belle initiative », Audrey Azoulay a souligné que dans le contexte si compliqué du Liban, le souci de l’Unesco était de « garantir tout à la fois le professionnalisme et la bonne gouvernance. Soyez assurés que nous ferons de notre mieux pour vous aider « ».

Placez Gemmayzé et Mar Mikhaël sous étude

Un exposé sur l’évolution du vieux Beyrouth depuis le XIXe siècle, notamment des secteurs de Gemmayzé et de Mar Mikhaël, et les principales caractéristiques de leur architecture, a été présenté par l’architecte urbaniste et militant pour la sauvegarde du patrimoine, Fadlallah Dagher. « Les habitants de ces quartiers sont à l’origine majoritairement chrétiens. En restant chez eux durant la guerre civile, ils ont réussi à préserver leur patrimoine », a-t-il expliqué. Puis dans les années postguerre, avec l’installation des ateliers d’architectes et artistes, des galeries, des restaurants et bars, ces quartiers sont devenus très dynamiques. « Aujourd’hui, à la suite de la catastrophe, cette population est en rupture avec son environnement, et il nous faut très vite trouver les moyens d’éviter son exode » et faire barrage aux spéculations immobilières. Aussi, l’architecte a-t-il recommandé de placer ces quartiers sous étude.

L’opportunité de créer des espaces publics

« Est-ce qu’il y a eu des mesures de protection de ces quartiers prises au niveau national ou local ? » a voulu savoir Mme Azoulay. Fadlallah Dagher explique alors qu’en 1995, le ministre de la Culture (à l’époque Michel Eddé) a demandé un recensement des bâtiments anciens qui a été fait à moitié et qui, par la suite, a été décrié par les promoteurs immobiliers. Les rares ministres de la Culture qui ont pris conscience de l’importance de cet héritage ont poursuivi le travail. Un projet de loi a été même déposé par le ministre Arayji au Parlement, où il dort toujours dans les tiroirs.

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Khaled Rifaï, architecte à la Direction générale des Antiquités, a alors signalé qu’un accord établi depuis 2010, entre la DGA, la municpalité de Beyrouth et le mohafez, a permis de geler la démolition des anciennes bâtisses. « L’accord stipulait que tout projet de transformation, de réhabilitation ou opération de démolition nécessitent l’obtention préalable d’un permis délivré par le ministère de la Culture et de la DGA », a souligné M. Rifaï. « Certains propriétaires ont toutefois eu recours au Conseil d’État pour casser la décision du ministère », a rétorqué Jad Tabet.

L’architecte urbaniste Habib Debs a, quant à lui, articulé son exposé sur l’opportunité de réactiver les projets du plan vert de Beyrouth, élaboré avec la région de l’Île-de-France, notamment la protection des coulées vertes et des espaces publics (tels les escaliers, la gare, etc.) du secteur de Mar Mikhaël. « Nous avions repéré les lieux pour créer ces espaces communs, mais les projets dorment à la municipalité. Nous avons aujourd’hui l’opportunité de les réactiver. »

Le soir même, Audrey Azoulay a appelé solennellement à protéger de la spéculation immobilière – par des mesures administratives et réglementaires – les quartiers historiques. Assurant que l’Unesco s’engageait à apporter son expertise et à mobiliser des financements pour la réhabilitation des bâtiments touchés, elle a annoncé que l’initiative Li Beyrouth (pour Beyrouth) a été lancée via l’Unesco pour lever les fonds nécessaires à la réhabilitation des secteurs éducatif et culturel. La réunion de la coalition mondiale pour l’éducation prévue aujourd’hui, le 1er septembre, sera d’ailleurs dédiée au Liban. Quant à la conférence des donateurs en soutien au patrimoine et à l’industrie créative, elle aura lieu dans le courant du mois de septembre.

Lors de sa visite au Liban, la directrice générale de l’Unesco, Audrey Azoulay, a rencontré, dans les jardins du musée Sursock lourdement endommagé, un groupe d’architectes qui lui ont exposé le projet Built Beirut Initiative pour la reconstruction des quartiers dévastés. Elle s’est également entretenue avec des membres de la scène artistique et culturelle qui lui ont confié les...

commentaires (1)

Il faudrait pouvoir laisser de coté municipalité et Mohafez qui par définition sapent Beyrouth, pour y mener leurs juteux projets , forêt des pins, hippodrome etc.....

Christine KHALIL

07 h 38, le 01 septembre 2020

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Commentaires (1)

  • Il faudrait pouvoir laisser de coté municipalité et Mohafez qui par définition sapent Beyrouth, pour y mener leurs juteux projets , forêt des pins, hippodrome etc.....

    Christine KHALIL

    07 h 38, le 01 septembre 2020

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