Les dégâts et les milliers de victimes de la double explosion du 4 août, résultant notamment du stockage d’une énorme quantité de nitrate d’ammonium dans un hangar du port de Beyrouth, imposent de s’attarder sur la question de l’effectivité de la gestion des risques au Liban. Et plus particulièrement sur les actions préventives requises pour minimiser, voire éviter, les risques générés par ce type d’activités, et ce indépendamment de la question de l’identification précise des responsables qui relève, elle, de l’enquête diligentée par le parquet.
Un plan de prévention et de gestion des catastrophes est non seulement nécessaire, mais dorénavant vital pour le Liban. Or, jusqu’à maintenant, c’est plutôt une mentalité fataliste, poussant à la déresponsabilisation et à la procrastination permanente, qui a prévalu au niveau étatique. Pourtant, les lois existent et il est de la prérogative, voire de l’obligation, de tous les dirigeants en place de les appliquer en priorité !
Infractions légales
Par exemple, dans le cas du stockage des produits dangereux, les responsables des douanes ne peuvent en aucun cas tolérer cette pratique, et ce en vertu de l’article n° 205 du code des douanes qui stipule explicitement qu’ « il n’est pas possible de stocker dans les entrepôts publics les marchandises et produits suivants : …la poudre à canon, les explosifs, …les matériaux inflammables, …et des produits dont la présence dans l’entrepôt l’expose à des dangers ou qui peuvent nuire à la qualité d’autres produits et marchandises »...
Malheureusement, étant donné que les douanes n’ont pas voulu – ou pu – respecter cette interdiction de stockage, d’autres lois s’imposaient pour garantir la prévention des risques du site. Ainsi, selon le décret n° 4917 du 24/03/1994 et portant sur la classification des installations dangereuses, nuisibles et nocives pour la santé, le stockage de plus de 100 tonnes de nitrate d’ammonium est considéré comme relevant des installations de classe A qui, du fait de leur dangerosité, doivent être tenues à l’écart des habitations. L’administration est chargée d’évaluer chaque cas spécifique et de juger si la distance de son emplacement est suffisante pour prévenir toute atteinte à la sécurité et à la qualité de l’air, et pour éviter les nuisances.
Or, contrairement à ce qui est exigé par la législation, l’énorme quantité de nitrate d’ammonium a été entreposée dans un site d’activités portuaires stratégiques avec un stock de feux d’artifice… à moins de 500 mètres des habitations et sans aucune mesure de prévention des risques d’incendie qui soit adaptée aux matières dangereuses. Notons qu’aucun système d’alerte permettant d’avertir la population d’un danger imminent sur une zone donnée et de l’informer sur la nature du risque n’avait été installé, ce qui aurait pu sauver bien des vies, sacrifiées par négligence.
De même, selon le décret n° 8633 du 9/08/2012 concernant les procédures d’évaluation environnementale, les entrepôts ou les conteneurs de matières dangereuses nécessitent obligatoirement un examen environnemental préliminaire. Or, aucune étude d’impact n’a été effectuée, aucun contact avec le ministre de l’Environnement n’a été établi, comme le prévoit pourtant l’article 43 de la loi n° 444 du 29/07/2002 sur la protection de l’environnement. Cet article stipule que « si l’exploitation d’une installation classée est une source de nuisance pour l’une des composantes de l’environnement, l’autorité locale devrait avertir le ministère de l’Environnement pour établir les investigations nécessaires et avertir l’exploitant, celui-ci devant prendre les mesures nécessaires pour assurer la prévention de ce risque et son élimination à son compte ».
Le ministre de l’Environnement, de son côté, a la responsabilité de mener une enquête qui vise à évaluer l’impact de l’activité de ladite installation sur l’environnement et devrait – après avoir ou non averti l’exploitant – prendre les mesures nécessaires pour la protection de l’environnement, et ce à la charge de l’exploitant. Cette évaluation environnementale et cette investigation auraient sûrement alerté les autorités et les auraient poussées soit à prendre des mesures décisives concernant le risque de stockage du nitrate d’ammonium sur le port, soit, du moins, à élaborer un plan de prévention.
Absence de dispositif de haute sécurité
Si cette matière ainsi stockée au port n’avait pas pu être réexportée, la direction du port et celle de la douane auraient, d›une part, dû de toute manière garantir l’application de l’article 121 de la décision du 26/01/1966 sur la certification du système des ports libanais publiée, qui stipule que « les matières dangereuses doivent être gérées selon les règles générales d’emballage, de manutention et d’entreposage ». D’autre part, elles auraient dû assurer une délimitation des zones à risque d’explosion, en conformité aux normes en vigueur ; et adapter tout matériel présent dans ces zones au type d’explosion prévisible selon les données techniques connues en matière de prévention des risques. Ou alors demander sa relocalisation dans un site dédié en dehors de l’agglomération afin de garantir la sécurité de cette infrastructure prioritaire, et des usagers de l’autoroute et des habitations limitrophes. Elles auraient également dû assurer une signalisation spécifique des produits dangereux, ainsi que l’installation d’extincteurs fixes et le stockage d’eau en grande quantité pour faire face au risque incendie dans un entrepôt contenant du nitrate d’ammonium, conformément aux normes internationales. Elles auraient enfin dû mettre en œuvre un plan d’intervention d’urgence préalable à des incidents adapté en fonction du site.
Dès lors que les activités portuaires ainsi que l’aménagement et la taille du site rendaient cette délimitation impossible, la direction du port, ainsi que celle des douanes, les décideurs publics locaux et toutes les parties informées jusqu’au plus haut niveau de l’État auraient dû exiger la mise en œuvre immédiate d’un dispositif de haute sécurité du site opérationnel 24h/24, en attendant de trouver une solution pour déplacer ces matières dangereuses dans un site adapté hors agglomération.
Nul ne saurait ignorer la loi, en particulier s’agissant de décideurs publics et de responsables d’une installation classée. Même en cas d’ignorance de ces dispositions, les autorités publiques auraient pu facilement consulter des experts pour prendre rapidement les décisions adéquates plutôt que d’attendre qu’une catastrophe majeure se produise, braquant tous les regards du monde sur un Liban qui meurt de la négligence et de la corruption.
Juriste experte en gestion des risques et développement durable. Doctorante en droit de l’environnement à l’Université de Sophia Antipolis (France) et enseignante à l’Université La Sagesse.
c est un crime horrible, un terrorisme d Etats,, un génocide organisé contre les dernières parties du Liban qui fonctionnaient a merveille...et surtt Chrétiennes.
07 h 31, le 31 août 2020