Une fois n’est pas coutume… Réagissant, un peu tardivement, à la légitime colère populaire qui grondait dans les rues après les explosions de Beyrouth, Hassane Diab (démissionnaire depuis hier soir) a soulevé samedi deux questions pertinentes que tous les Libanais se posent depuis ce funeste 4 août et qu’il laisse en « héritage » au nouveau gouvernement qui doit être mis en place : pourquoi ce stock de nitrate d’ammonium a-t-il été maintenu pendant six ans au port de Beyrouth ? Et à qui profitaient les quantités gigantesques de ce produit chimique ?
Le chef du gouvernement sortant a certes posé les bonnes questions, mais il s’est arrêté à mi-chemin. D’autres zones d’ombre doivent être en effet impérativement élucidées pour dévoiler les causes réelles de cette tragédie et en déterminer les responsabilités. D’entrée de jeu, pourquoi, et pour qui, cette cargaison a-t-elle été débarquée au Port ? Qui est, ensuite, la partie qui pendant six ans a imposé aux hauts responsables concernés d’observer le mutisme le plus total – une ligne rouge – au sujet de la présence de cette cargaison potentiellement explosive, sous certaines conditions physico-chimiques, comme l’ont signalé non moins de cinq notes officielles adressées aux dirigeants, la dernière en date remontant au 20 juillet dernier ?
Plus grave encore : nombre d’experts scientifiques relèvent que le nitrate d’ammonium en tant que tel ne peut produire une catastrophe telle que celle qui a détruit plusieurs quartiers de Beyrouth que s’il est soumis à une forte pression et à un grand choc explosif. La question fondamentale qui se pose de ce fait est de savoir qui est responsable du maintien dans l’enceinte portuaire de ce facteur extérieur au nitrate d’ammonium qui a abouti à un cataclysme dont la puissance s’est fait ressentir jusqu’à…
Chypre ?
L’éclaircissement de l’ensemble de ces points obscurs nécessite à l’évidence une enquête scientifique et approfondie qui ne peut que s’étaler dans le temps. Mais indépendamment du volet juridico-sécuritaire, deux conclusions macro-politiques se dégagent du séisme du 4 août.
La rude et meurtrière épreuve qu’ont subie la semaine dernière les Libanais, et qu’ils continuent d’endurer, est d’abord l’une des conséquences directes de l’implication forcée du Liban dans les conflits régionaux. Déjà confrontée à une crise économique et financière dévastatrice provoquée – en sus du clientélisme et de l’affairisme aveugle de la classe dirigeante– par cet ancrage à la politique des axes, la population libanaise est en droit de clamer aujourd’hui haut et fort « halte » aux aventures guerrières transnationales. Le Liban n’est absolument plus en mesure de faire encore les frais de la « guerre des autres » sur son territoire et de consentir davantage de sacrifices pour assouvir les ambitions hégémoniques de puissances et de forces régionales, comme cela fut le cas au cours des dernières décennies, surtout à la suite de la débâcle arabe de juin 1967 et de l’émergence de l’OLP comme acteur déterminé à imposer sa liberté d’action.
Mais sur un plan strictement local, l’apocalypse du 4 août a constitué la manifestation la plus dure et la plus sévère du dysfonctionnement des institutions et de l’appareil étatiques, comme le montre le climat chaotique qui a marqué hier la situation gouvernementale avant l’annonce de la démission de Hassane Diab. Un tel dysfonctionnement est lui-même l’un des effets les plus pervers du comportement d’un parti qui au fil des ans s’est transformé en une structure para-étatique globale, laquelle a inhibé à plusieurs niveaux l’action de l’État, déjà fortement handicapée par la ligne de conduite d’une certaine catégorie de « responsables » politiques sans foi ni loi. Cette dichotomie dans l’exercice du pouvoir pourrait expliquer le diktat des lignes rouges et le « laisser faire, laisser aller » dans l’affaire du port de Beyrouth.
Les Libanais étaient jusqu’à la semaine dernière dans l’attente désespérée d’une aide économique occidentale. Aujourd’hui, le pays est passé à un nouveau stade et c’est d’une aide à la reconstruction dont il s’agit désormais. La tragédie du 4 août a provoqué un cataclysme politique et la nouvelle donne qui émergera des ruines d’Achrafieh, de Gemmayzé, de Mar Mikhaël et de Saifi devrait mettre le holà aux deux facteurs interne et externe qui ont abouti au drame de mardi dernier.
Au plan régional, un forcing pour juguler et freiner l’ancrage aux conflits régionaux s’impose plus que jamais si nous désirons éviter que d’autres régions subissent le même sort que le port de Beyrouth. Et parallèlement, au plan interne, il ne saurait être question d’un retour en arrière dans les pratiques du pouvoir. La priorité aujourd’hui doit être la réalisation d’un profond changement dans la gestion de la chose publique, plutôt qu’une tentative chimérique de remise en cause du système politique dans son ensemble. La définition d’un nouveau contrat social implique en effet un dialogue en profondeur et rationnel qui ne pourrait être mené que dans une atmosphère sereine qui puisse tenir compte des réalités sociétales complexes profondément enracinées depuis des siècles dans le tissu social libanais.
Deux questions: (1) pourquoi personne n’enquête sur ce soi-disant dépôt de "feux d’artifices” dans le même hangar qu’une substance hautement explosive, et (2) pourquoi les responsables du Ministère des Transports qui ont initialement demandé la séquestration de cette substance ne sont pas également mis en état d’arrestation et interrogés? Hmmm?
14 h 02, le 12 août 2020