Rechercher
Rechercher

Société - Témoignages

À travers le monde, les Libanais de la diaspora entre angoisse et engagement

Rongés par le sentiment d’impuissance et de culpabilité, des Libanais établis un peu partout à travers le monde racontent à L’Orient-Le Jour comment ils ont vécu l’explosion du port de Beyrouth et les jours qui ont suivi.

À travers le monde, les Libanais de la diaspora entre angoisse et engagement

Dimanche 9 août, des Libanais de Paris exprimaient leur tristesse, leur colère et leur soutien au Liban, place du Trocadéro. Benoît Tessier/Reuters

« Je n’arrête pas d’y penser. » Près de 48 heures après le drame du port de Beyrouth, les images de l’explosion qui a ravagé une bonne partie de la capitale tournent toujours en boucle dans la tête de Hala Fayad. Et les larmes ne sont pas loin, elle qui n’a pas pu dormir la nuit suivant le drame. La jeune femme de 35 ans venait de sortir de son immeuble parisien et était au téléphone avec sa mère à Beyrouth, quand l’explosion a eu lieu. « On était en train de rire toutes les deux quand la ligne, sur WhatsApp, a coupé. Quand elle est revenue, ma mère hurlait. J’ai cru que mon père était mort. J’ai failli m’évanouir, je criais “maman, maman” dans les rues de Paris », se rappelle la jeune femme, la voix encore marquée par l’émotion. Sa mère lui dit qu’un obus est tombé sur la maison avant que la ligne ne coupe à nouveau. Hala essaie de rappeler. En vain. Personne ne répond. Quelques minutes plus tard, elle apprend que l’explosion a eu lieu au port, et non rue Monnot, où habitent ses parents. Elle apprend aussi que la maison, endommagée par le souffle de l’explosion, n’a plus ni portes ni fenêtres.

Depuis, rongée par le sentiment d’impuissance et la culpabilité de ne pas être aux côtés des siens, elle reste scotchée aux nouvelles. « S’il n’y avait pas mon fils pour me retenir, je serais déjà partie au Liban, malgré le refus de mon père, qui a commencé le soir même à nettoyer et réparer la maison, accrochant du plastique et du tissu sur les fenêtres sans vitres. » Hala, elle, sait qu’elle ne reconnaîtra plus le quartier dans lequel elle a grandi et vécu jusqu’à ses 22 ans.Comme elle, nombreux sont les Libanais de la diaspora qui ont redouté le pire au moment de l’explosion. En pleine conversation téléphonique pour préparer le projet d’émigration d’une amie, Paulette Ndayra, qui habite au Canada depuis 2011, a entendu une détonation et des cris avant la connexion ne coupe. « Quinze minutes ont passé comme un siècle, comme un enfer tandis que tous les scénarios possibles s’enchaînaient dans ma tête. Je pleurais, je tremblais… Mon seul souci était d’avoir des nouvelles de mon amie et de mes proches », explique cette femme de 39 ans, qui finira par réussir à contacter son amie – saine et sauve.

Lire aussi

Mardi 4 août, peu après 18h, Beyrouth : en quelques minutes, tout bascule

Elena Habre, âgée de 31 ans et consultante à New York, se trouvait en Espagne au moment de l’explosion. La maison familiale, à Achrafieh, celle où elle a grandi, a subi d’importants dégâts. « J’ai appris qu’il y avait eu une explosion via l’alerte mobile de L’Orient-Le Jour, dit-elle. Au départ j’ai pensé : “encore un attentat”. » Ce n’est qu’une fois qu’elle a réussi à joindre sa mère qu’elle a réalisé la gravité de la situation. « Elle criait à l’autre bout du fil, je ne comprenais pas ce qu’elle disait mais j’avais saisi que c’était grave. » Son père, qui se trouvait dans notre maison de montagne, n’avait pas encore appris la nouvelle. « C’est moi qui l’ai informé, raconte la jeune femme. Les 90 minutes qui ont suivi, mon frère et moi étions en train d’essayer de retrouver l’employée de maison. Tout ça au téléphone... » Sa mère et l’employée de maison s’en sont finalement tirées avec des blessures. Les maisons et bureaux de nombre de ses amis sont endommagés. « Le moins que je puisse dire, c’est que je suis dévastée et j’ai le cœur brisé, dit Elena Habre. Je suis en colère, blessée et je sens que nos vies n’ont pas de valeur. »

La tristesse des Libanais, rassemblés dans les jardins de Kensington, à Londres, au lendemain de la double explosion du port de Beyrouth. Tolga Akmen/AFP

« Ça avait l’air surréel »

Quand Abdallah Tabet, qui vit à Philadelphie, a vu les premières vidéos de l’explosion sur les réseaux sociaux, il a d’abord pensé qu’elles étaient fausses. « Ça avait l’air surréel, j’ai dû les visionner plusieurs fois », dit l’architecte paysagiste de 39 ans. « Plus je découvrais les destructions, les blessés et les morts, plus mon estomac se contractait et mon corps me faisait mal. Alors que ma journée de travail était bien remplie, je n’arrivais plus à fonctionner. J’essayais de rester fort, et en contact avec mes proches et mes amis… Jusqu’à ce que je craque et que je fonde en larmes. » Pour lui, c’est la « providence » qui a fait que ses amis et sa famille soient sains et saufs. « Comme ma mère le dit : “on est embarrassés de mentionner des vitres brisées au moment où d’autres ont perdu beaucoup plus”, dit Abdallah Tabet. Nous avons été chanceux et nous prions pour les autres. » Rongés par un sentiment d’impuissance tandis qu’ils sont séparés de leurs proches par des milliers de kilomètres, les Libanais établis à l’étranger font tous part de leur besoin de rester constamment informés depuis une semaine – à défaut de pouvoir continuer à mener leur vie normalement. « On se sent coupables d’être loin, chanceux d’être ici, coupables de se sentir chanceux d’être ici », explique Wendy Sfeir, qui réside à Abou Dhabi. « Je suis tout le temps connectée sur les réseaux sociaux, je pleure en voyant les images et les vidéos partagées. Ça fait deux jours que je n’arrive pas à bien dormir », rapporte Sabine Alam, une Libanaise de 27 ans qui vit à Québec depuis 2017. Un sommeil que Hicham Kanafer peine également à trouver. « Dormir en sécurité me fait culpabiliser, le moindre bruit m’angoisse, je culpabilise d’avoir quitté Beyrouth », confie-t-il depuis le Canada.

« J’en ai assez de cette torture émotionnelle »

Le traumatisme de cette explosion vécue à distance en a réveillé d’autres, profondément enfouis et qui se sont accumulés depuis la guerre civile – avant de finir par exploser à la figure de tous les Libanais le 4 août. « Je me sens enragée de savoir que depuis 1970, chaque génération de Libanais est traumatisée. Je suis totalement déchirée quand j’entends mon père me dire “Ne t’inquiète pas, il y a quelques dommages à la maison mais nous allons bien” », confie Clio Sabbagha, 25 ans, qui réside au Canada depuis sept ans. « En 2020, nous ne sommes pas supposés survivre, nous devrions vivre », fustige-t-elle. « J’en ai assez de cette torture émotionnelle », lance également Ray Kazan, qui s’est installé au Canada en janvier dernier après quatre ans à Dubaï. « J’en suis arrivé à un point où je n’ai plus envie de me soucier du Liban, je veux juste que mes amis et ma famille soient près de moi », affirme-t-il.

Contacté deux jours après l’explosion, Jean-Luc el-Kayem dit être choqué, totalement déstabilisé. « D’habitude, lorsque je reçois des mauvaises nouvelles du Liban, je suis en colère. Cette fois-ci, j’étais triste, terriblement triste. Cette explosion, c’était comme le coup de grâce infligé aux Libanais », déplore le jeune homme de 35 ans qui travaille à Paris dans le secteur de la santé publique. Pour les aider, il fait des dons à des associations et veut envoyer de l’argent à ses proches directement. « Je ne veux pas que ça passe par le gouvernement ou des intermédiaires officiels », insiste-t-il.

Des Libanais massés, le 6 août, devant le consulat de leur pays, à New York, le 6 août. Eduardo Munoz Alvarez/AFP

Agir

Jessica-Maria Nassif a, elle aussi, décidé d’agir. En vacances à Paris chez sa mère pour une semaine, l’artiste designer de 29 ans ne pouvait pas rester les bras croisés face à la situation. Avec trois compatriotes, elles réfléchissent aux moyens d’aider les Libanais sur place. Depuis plusieurs jours, elles contactent des associations et des jeunes bénévoles pour recueillir leurs besoins. Ceux-ci leur envoient une liste de médicaments ou produits médicaux : bandages, Bétadine, sérum physiologique... Après le lancement d’un appel, elles réceptionnent les dons chez elles. « Le téléphone sonne sans discontinuer et beaucoup de gens donnent. » Jessica-Maria prépare des valises avec ce qu’elles ont pu récupérer et cherche des volontaires pour les acheminer à Beyrouth et les donner aux associations. « On essaie juste de faire ce qu’on peut, à notre échelle », explique la jeune femme, qui lance ce genre d’initiative pour la première fois.

Sur les réseaux sociaux, les opérations solidaires se multiplient au sein de la diaspora libanaise. Certains offrent des billets d’avion Paris-Beyrouth. D’autres lancent des appels pour récolter des fonds et organisent des veillées d’hommage au peuple libanais, à Montpellier ou à Lyon. Des médecins veulent se rendre au Liban pour mettre leurs compétences à disposition des victimes. C’est le cas de Marc Lessert (Nseir en libanais). Avec un groupe de médecins franco-libanais, il est prêt à se rendre à Beyrouth « par tous les moyens ». « La direction de l’hôpital nous a imposé deux semaines de vacances, avant l’arrivée de la seconde vague de Covid-19 attendue. En voyant les images inimaginables de l’explosion, j’ai ressenti le besoin d’aider personnellement et directement les Libanais », explique le jeune médecin qui officie au service de réanimation de l’hôpital de Versailles. Après des contacts avec l’ambassade de France au Liban et des médecins à l’Hôtel-Dieu, Marc Lessert n’est plus certain de son utilité sur place : « Plusieurs sons de cloche me sont parvenus. Les hôpitaux sont débordés mais ils auraient besoin de matériel et pas de médecins. » En attendant, le jeune médecin de 28 ans se tient prêt. Il a pris des billets d’avion et s’envolera pour le pays du Cèdre dès que les médecins sur place en feront la demande.

Pendant que l’impressionnant système d’entraide se met en place du côté de la diaspora, la tristesse a fait place dans le même temps à la colère « contre le système, les politiciens, leur incompétence », lance Abdallah Tabet. « Qu’est-ce qui a déclenché l’incendie ? Qui ? Combien de fois Beyrouth doit-elle subir cela ? »

Les questions se bousculent aussi dans la tête de Mira Feghali, 32 ans, installée à Syracuse (New York). « Qu’est-ce qui s’est passé ? Est-ce que c’est une attaque ou un accident ? Et si j’avais été là-bas avec mon nouveau-né ? Est-ce que nous sommes prédestinés, nous libanais, à vivre continuellement des guerres et la misère ? » se demande la jeune femme, récemment devenue maman. « Penser au Liban qui souffre encore et encore m’est insupportable, dit-elle encore. Le simple fait de regarder ma ville bien-aimée en flammes me brise le cœur et l’âme. » Si sa famille et ses amis sont sains et saufs, les deux maisons de sa cousine à Achrafieh sont détruites. Pour Mira Feghali, les jours qui ont suivi la double explosion étaient « extrêmement durs ». « Je recevais sans cesse des nouvelles sur des décès et des personnes affectées par cette tragédie », dit-elle, tout en assurant : « Je ferai tout ce que je peux pour aider mon pays et les Libanais de là où je me trouve. Le Liban ne sera pas vaincu, il se relèvera et nous nous battrons pour notre pays jusqu’à notre dernier souffle. »

Le Samuel de Champlain Bridge, à Montréal, illuminé aux couleurs du drapeau libanais, le 7 août. Sébastien St-Jean/AFP

Une marche de soutien au Canada

Un groupe de Libanais du Canada organise, le dimanche 16 août, une marche de soutien au Liban et aux victimes de la double explosion du 4 août au port de Beyrouth. Le rendez-vous est donné devant le consulat du Liban, 40 chemin de la côte Sainte-Catherine, à Outremont, à 17h30, heure locale.

Pour plus d’informations contactez le 00 1 514-662-2185.

« Je n’arrête pas d’y penser. » Près de 48 heures après le drame du port de Beyrouth, les images de l’explosion qui a ravagé une bonne partie de la capitale tournent toujours en boucle dans la tête de Hala Fayad. Et les larmes ne sont pas loin, elle qui n’a pas pu dormir la nuit suivant le drame. La jeune femme de 35 ans venait de sortir de son immeuble parisien et était...

commentaires (1)

LA DIASPORA VEUT VOIR SA PATRIE LIBRE ET DEMOCRATIQUE SANS MILICES IRANIENNES ET SANS TOUS LES ABRUTIS PASSES ET PRESENTS ET LEURS FILS, GENDRES, FRERES ET PARENTS QUI ONT GOUVERNE ET GOUVERNENT ENCORE. UN CHANGEMENT RADICAL. LA GOUVERNANCE DEMOCRATIQUEMENT AUX MAINS DU PEUPLE.

LA LIBRE EXPRESSION

10 h 18, le 11 août 2020

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • LA DIASPORA VEUT VOIR SA PATRIE LIBRE ET DEMOCRATIQUE SANS MILICES IRANIENNES ET SANS TOUS LES ABRUTIS PASSES ET PRESENTS ET LEURS FILS, GENDRES, FRERES ET PARENTS QUI ONT GOUVERNE ET GOUVERNENT ENCORE. UN CHANGEMENT RADICAL. LA GOUVERNANCE DEMOCRATIQUEMENT AUX MAINS DU PEUPLE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 18, le 11 août 2020

Retour en haut