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Moyen-Orient - Éclairage

L’acharnement contre Khaled Drareni est emblématique de la répression contre les médias algériens

Quatre ans de prison requis par le parquet contre le journaliste, figure de la presse libre et indépendante.

L’acharnement contre Khaled Drareni est emblématique de la répression contre les médias algériens

Des participants au Hirak algérien soulevant le journaliste Khaled Drareni sur leurs épaules, alors qu’il venait d’être brièvement détenu par les forces de sécurité à Alger, la capitale, le 6 mars 2020. Ryad Kramdi/AFP

« Confinés ou journalistes ? » s’était interrogé le célèbre caricaturiste algérien Ali Dilem par le biais d’un dessin, publié dans le journal Liberté le 18 mai, dans lequel deux personnages apparaissaient, l’air anxieux, derrière une fenêtre qui pourrait tout aussi bien être celle d’une maison que celle d’une prison. Quelques coups de crayon, quelques mots, résumant la situation de la presse en Algérie aujourd’hui, qui n’a fait que se détériorer à mesure que le coronavirus s’est propagé.

Le cas du journaliste Khaled Drareni – contre qui le parquet algérien a réclamé lundi quatre ans de prison ferme et 100 000 dinars algériens d’amende assortie d’une privation des droits civiques pendant une période de quatre ans – illustre l’offensive du pouvoir au temps du coronavirus pour en finir avec la presse libre et indépendante. M. Drareni est jugé par visioconférence depuis le centre pénitentiaire de Kolea, près de la capitale, Alger, où il a été placé en détention préventive le 29 mars dernier.

Officiellement, l’homme de 40 ans est accusé « d’incitation à un attroupement non armé et atteinte à l’intégrité du territoire national », suite à sa couverture, le 7 mars dernier à Alger, d’une manifestation du Hirak, vaste mouvement populaire sans précédent, qui avait pris d’assaut les rues du pays à partir de février 2019, et ce pendant près d’un an, jusqu’à sa suspension il y a quelques mois en raison de la pandémie.

Arrêté le 7 mars dernier avec Samir Benlarbi et Slimane Hamitouche, deux figures du Hirak, ils font tous trois face aux mêmes chefs d’inculpation, à une différence près : si MM. Benlarbi et Hamitouche ont été remis en liberté provisoire le 2 juillet, M. Drareni n’a pu bénéficier de la même clémence. Et pour cause, le journaliste – fondateur et directeur du site d’information en ligne Casbah Tribune, correspondant en Algérie de la chaîne de télévision française TV5 monde et de l’organisation internationale Reporters sans frontières – est un symbole.

« Khaled n’est pas une figure du Hirak, c’est une figure du journalisme et de la presse libre et indépendante. C’est encore plus inquiétant pour le régime. Un Hirak peut s’essouffler, mais quelqu’un qui est en train de fonder une culture de presse libre, indépendante, impartiale et professionnelle, c’est une menace sur le long terme », avance Souhaieb Khayati, directeur du bureau Afrique du Nord de Reporters sans frontières (RSF). « Il était devenu le journaliste de référence pour ses collègues, mais aussi auprès des médias internationaux en raison de sa couverture du Hirak en Algérie. Sur toute une année, il a couvert toutes les manifestations, mêmes celles pro-régime », ajoute-t-il.

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Ni militant ni blogueur, Khaled Drareni s’était par ailleurs prononcé à la mi-mars en faveur de l’arrêt momentané du soulèvement pour cause de Covid-19. « Implicitement, il a appelé à ce qu’il n’y ait plus de manifestations pour préserver la santé des Algériens et des Algériennes. Le régime en a profité au même moment pour l’incarcérer au détriment de toutes les recommandations de l’OMS et des agences onusiennes qui sont claires concernant les incarcérations et préconisent de les limiter au maximum », commente M. Khayati.

L’AFP rapporte les propos d’un reporter sur place selon qui le journaliste a rejeté en bloc au cours de l’audience les accusations dont il fait l’objet, objectant n’avoir fait que son « travail en tant que journaliste indépendant ». RSF, qui mène une campagne internationale en sa faveur, a appelé lundi dernier à l’abandon de toutes les charges pesant contre M. Drareni.

« Notre requête est claire et simple : cesser toute poursuite contre Khaled Drareni. Le dossier est d’une vacuité... Il n’y a rien, absolument rien, sur les 11 pages transmises hier par le ministère public », résume M. Khayati. « Ce que l’on demande, c’est sa libération, et que cessent toutes les poursuites à son encontre. Nous comptons sur le bon sens du pouvoir judiciaire algérien parce que c’est le dernier recours. Quand on se retrouve dans une situation aussi hallucinante, on espère que le bon sens finisse par triompher. »

« Intelligence avec des parties étrangères »

Le harcèlement judiciaire à l’encontre de Khaled Drareni s’inscrit dans un contexte où le pouvoir tente de se saisir de la pandémie de coronavirus pour museler un peu plus les voix dissidentes. Le journaliste Moncef Aït Kaci, ex-correspondant de France 24, et le caméraman Ramdane Rahmouni avaient été arrêtés et placés en détention préventive durant 24 heures avant d’être relâchés fin juillet face aux critiques. Ali Djamel Toubal, correspondant du groupe de médias privés Ennahar a été, quant à lui, condamné le 14 juillet à 15 mois de prison ferme par la cour d’appel de Mascara dans le Nord-Ouest, pour avoir, entre autres, diffusé des images de membres des forces de l’ordre commettant des violences contre les manifestants. Le journaliste de la chaîne de télévision Echourouk News a été condamné le 28 juin à une peine de trois ans de prison dans une affaire de droit commun liée à son travail d’investigation. Quelques jours plus tôt, le 24 juin, c’est le directeur de Radio-Sabarcane et militant pro-Hirak Abdelkrim Zeghileche qui a été de nouveau incarcéré à Constantine, dans le Nord-Est. Selon le classement mondial annuel établi par RSF, l’Algérie a perdu 27 places en cinq ans. Figurant à la 119e place en 2015, elle se trouve aujourd’hui à la 146e.

Les autorités profitent de la situation pour censurer l’accès aux journaux électroniques algériens pour ceux qui résident dans le pays. Le 9 avril, deux médias en ligne, Maghreb émergent et Radio M, ont ainsi été bloqués en Algérie. Plus tard au cours du même mois, ce sera au tour du média Interlignes de subir le même sort. En mai dernier, le journal satirique en ligne el-Manchar a annoncé sa fermeture pour échapper à la « répression ». « Le climat de répression des libertés, les incarcérations de citoyens à la suite de leurs activités sur les réseaux sociaux nous ont conduits à réfléchir sur les risques que nous encourons, a-t-on pu lire sur la page Facebook du média. Nous avons résisté pendant cinq ans(...) Nous nous retrouverons dans une Algérie meilleure (...) où cette peur n’existera pas. »

Pour justifier leurs attaques répétées contre la presse indépendante, les autorités n’hésitent pas à qualifier toute voix critique d’agent de l’étranger. Le chef de l’État, Abdelmadjid Tebboune, en fonctions depuis décembre 2019, s’en était même allé jusqu’à accuser le 1er mai le journaliste Khaled Drareni « presque d’intelligence avec des parties étrangères ».

Une rhétorique que remettent en question Pierre Audin, fils du militant anticolonial Maurice Audin, et Christophe Deloire, secrétaire général de RSF, dans une tribune qu’a publiée le quotidien français Le Monde le 30 juillet : « La fidélité au combat pour l’émancipation suppose de manière évidente le respect de la liberté d’expression, particulièrement de la liberté de la presse, qui permet de vérifier l’existence de toutes les autres », avaient-ils écrit, soulignant que les motifs d’« atteinte à l’intégrité du territoire national » et d’« incitation à attroupement non armé » « font tristement écho à la logique coloniale ». Le verdict de la justice a été renvoyé au lundi 10 août, selon les avocats et des journalistes sur place.

« Confinés ou journalistes ? » s’était interrogé le célèbre caricaturiste algérien Ali Dilem par le biais d’un dessin, publié dans le journal Liberté le 18 mai, dans lequel deux personnages apparaissaient, l’air anxieux, derrière une fenêtre qui pourrait tout aussi bien être celle d’une maison que celle d’une prison. Quelques coups de crayon, quelques mots,...

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